This is the End(2)

riyet

Benjamin reste coi, médusé face à l’apparition publicitaire. Il s’était attendu à beaucoup de choses, mais pas à ça en allant en allant au travail ce matin. Le poisson jaune, poisseux et dégoulinant, continue inexorablement d’avancer, nageoire après nageoire, crachant un flot ininterrompu de balles. "Il recharge jamais cet enculé ?" se demande Benjamin en l’observant ainsi continuer d’arroser, un sourire gaillard aux lèvres. "Tu cheat mec ! C’est quoi ces munitions infinies ?" S’affaissant, dos contre la rambarde, il fait mine de réfléchir. "Mais qui peut le battre ?" se dit-il à demi-voix juste pour le plaisir. Il sourit, très fier de pouvoir sortir une phrase pareille dans le feu de l’action. Un peu à la façon de John Mc Lane dans Die Hard. Fini de rêvasser. Qui ou quoi que soit son assaillant, ce n’est pas avec sa bite ou son couteau qu’il en viendra à bout. Rampant à quatre pattes, il s’extirpe de sa cachette en direction de la première sortie qu’il peut trouver. Hors de portée des balles, il se relève et se met à courir, portable à la main. Composant le numéro de la police machinalement, il jette un coup d’œil alentour. Pas âme qui vive. A peine deux cadavres gisant dans une flaque de sang. Il ne finira pas comme ça. Le numéro de ne compose même pas. Incrédule, il regarde son téléphone lui annoncer « Réseau Saturé ». "Mais nique ta maman, portable de merde !" crie-t-il à son smartphone innocent. Il est entrain de passer les tourniquets lorsque les tirs cessent. Plus aucun bruit à part les pas de Benjamin qui résonnent dans la station déserte. Il faut qu’il sorte le plus vite possible. Ici il se sent piégé comme un rat. Enchaînant escaliers et escalators, il finit par déboucher sur l’esplanade de la Défense.

Enfin à l’air libre. Le vent, le Soleil, des cadavres. Des centaines de corps gisent dans leur beaux costumes, avec leurs cravates, leur chemisiers, leur gel dans les cheveux. Des cadavres corporate. Pas un bruit, pas un mouvement à part quelques feuilles de quotidien emportées par le vent. Par où aller ? Il déambule au trot, un peu au hasard. Qu’est-ce qui à bien pu se passer ? Entouré par ces gens silencieux dans cet espace démesuré, il se sent tout à coup très seul. Le réseau est toujours saturé. "Croustibat n’a pas pu faire ça tout seul", se dit-il a voix haute en marchant en rond. Il y en a forcément d’autres…La seule possibilité que d’autres poissons Findus puissent se planquer quelque part avec une arme d’assaut, le terrifie. Il s’arrête et tente d’imaginer une équipe de poissons mutants mitraillant tout ce qui bouge à la sortie du RER. Ils rient tous très fort, avec un cigare à la bouche, un rire de dément, et les douilles giclent dans tous les sens.

Perdu dans ses pensées, Benjamin ne remarque pas le petit point rouge qui tremblote sur sa poitrine. Il va mourir s’il ne bouge pas tout de suite, mais il est trop occupé à penser à des trucs idiots avec son imagination dérangée. Quelqu’un quelque part est en train de le viser avec un fusil sniper. Avant qu’il ait eu le temps de faire le moindre mouvement, quelque chose bondit et le plaque au sol. La baie vitrée derrière lui explose en milles éclats. "Putain de sa mère !!" éructe-t-il avec une voix de fille en tombant au sol. Il n'a pas le temps de réaliser la situation qu'on l'interpelle. "Ferme ta gueule gros lard et viens te planquer avec moi." Lui crie une petite asiatique à la voix nasillarde adossée derrière un pilier d’immeuble juste à côté. Benjamin rampe à toute vitesse, arrosé au petit bonheur la chance par une pluie de coups de feu. Son visage est un masque digne de la comedia del arte. Des yeux comme des fentes et une sorte de sourire constipé aux lèvres. Il gémit comme un petite fille apeurée. A force de contorsions, il arrive enfin à couvert et rejoint son sauveur. Poussant un bref soupir de soulagement, il se tourne vers elle pour la remercier. "Merci petite chinoise, tu m’as sauvé la vie ! Où est ta Maman ?" Elle lui répond du tac au tac non sans lui envoyer au passage une taloche sur le crâne. "J’ai 29 ans connard et j’ai un nom. C’est Jenny."

Cette fille ne parle pas, elle scande, avec une voix de poissonnière sur le marché. Comme si chacune de ses phrases annonçait une réduction exceptionnelle sur le kilo de sole. Les oreilles de Benjamin ont du mal à s’en remettre. C’est la première fois qu’il entend quelqu’un lui parler aussi fort que lui. "Moi c’est Ben." lui répond-il en hurlant, histoire de lui montrer qui a la plus grosse voix. "Eh ! Ben et Jenny, remarque-t-il soudain, comme la glace! C’est pas trop badass ça ?" Benjamin n’a toujours pas compris qu’il y a un temps pour les calembours et un temps pour survivre. Jenny quant à elle, ne semble pas relever son trait d’esprit, trop occupé à réfléchir. "Qu’est-ce que tu fous ici bordel ? Il y a des bonhommes Cétélem planqués partout dans les immeubles." A ces mots il s’imagine le bonhomme en verdure, allongé sur le sol, le Soleil se reflétant dans ses lunettes noires, il les scrute implacablement à travers la lunette de son fusil sniper. Il trouve ça trop cool, dommage qu’il soit la cible. Jenny a continué de parler mais il n’écoutait pas. "Moi j’étais au café dans cet immeuble là, dit elle en montrant l’immeuble non loin, et puis y a trois types déguisés en Cétélem qui ont débarqués. Enfin quand je dis déguisé, c’était trop vrai et trop bizarre en même temps. Leur regard flippant, leurs sourires, c’étaient vraiment des buissons en forme de bonhomme. Ils sont arrivés et ont commencés à flinguer tout le monde à notre étage avec des pistolets automatiques, des fusils à lunettes en bandoulière dans leur dos. Je leur ai balancé quelques collègues à moi pour les occuper. Cette pute de Sylvia de la prod, Marc et Andrew de la compta, et un type que je connaissais pas. Tu aurais vu leurs yeux. Les yeux de ces buissons ambulants, pendant qu’ils vidaient leurs chargeurs sur eux. Des yeux rieurs, des bouches énormes largement ouvertes en sourires déments. Moi j’en ai profité pour filer par les escaliers." Elle à un certain sens de la survie la petite se dit Ben en l’écoutant finir son histoire. Il lui raconte rapidement ses déboires avec le poisson de la marine. "Y a Croustibat aussi alors ?" répond-elle machinalement. "Mais c’est quoi ce bordel putain ? enchaine Ben. Comment ça se fait que les bonhommes de pub apparaissent comme ça les un après les autres pour dézinguer tout le monde ici ?" Jenny affiche un regard sombre, elle semble avoir décrypté quelque chose dans la succession de ces évènements étranges. Ses yeux bridés, deviennent encore plus bridés. "Moi je crois savoir ce qui se passe annonce-t-elle. Tu sais quel jour on est ?" Benjamin répond par la négative d’un signe de tête. "On est le 21 décembre 2012 gros !! Putain c’est la fin du monde !"

Roland Emmerich peut aller se rhabiller, c’est la pub qui va tous nous crever. A suivre…

Signaler ce texte