" toc-toc "

snurcky127

La nuit était rapidement tombée sur le centre ville. Claire sortit de la banque, releva son col de manteau et frissonna sous l’air piquant de Janvier. Nouvelle employée à l’agence, elle ne pouvait pas se permettre de refuser des heures supplémentaires. Le directeur l’avait bien compris et en abusait littéralement depuis qu’elle avait rejeter ses avances. Elle remonta son sac sur son épaule. Elle maudissait ce centre ville où il était impossible de se garer. Priorité aux piétons, ville sans pollution… Du coup, tous les matins, elle laissait sa voiture sur un des grands parkings gratuits situés en périphérie du centre. Au meilleur, elle marchait dix minutes, au pire, elle en avait pour vingt. Ce matin, évidemment les parkings les plus proches étaient déjà bondés et elle s’était rabattue sur celui au bord de la Seine, le plus éloigné et le plus sinistre de tous. Elle accéléra sa marche, passant devant les boutiques aux stores baissés. Il n’y avait pas un chat et elle n’entendait que le bruit de ses talons sur le trottoir. Une brume épaisse venant du fleuve s’emparait de la ville et déformait les contours, estompant doucement le réel. Claire avançait au radar, devinant le chemin.

Elle sentit les vibrations de son portable contre sa cuisse, elle avait un message. Elle continua sa route d’un pas allant, ignorant l’importun. Deuxième vibration. Elle s’arrêta, maudissant le harceleur. Après une courte lutte, elle parvint à extraire son téléphone de son pantalon. Ses gants retardaient sa progression. Elle s’étonna du premier message.

«  Tac - tac…. Tac - tac… Tac - tac… » Numéro masqué, évidemment. Elle s’empressa de lire le second.

«  Fait le bruit de tes escarpins sur l’asphalte » Fébrilement, Claire releva la tête et regarda autour d’elle, scrutant la pénombre. Elle ne discernait personne dans cette purée de pois. Gardant le portable dans le creux de sa main, elle se remis rapidement en route, tous ses sens en alerte. Elle fit presque un bond lorsqu’elle sentit sur sa paume vrombir son téléphone. Cette fois, elle ne s’arrêta pas et continua vers le parking tout en découvrant le nouveau message.

«  Toc - toc… Toc - toc… Toc - toc… » Elle savait que dans quelques secondes, elle en recevrait un autre. Pas une lumière, pas un bruit, pas un signe de vie autour d’elle. Un vrai cauchemar. Elle commençait vraiment à paniquer. Elle accéléra son allure au maximum que ses chaussures le lui permettaient. Elle ressentit le bourdonnement de son portable comme une piqûre.

«  Fait le bruit de ton cœur contre tes côtes » Claire s’affolait. Elle avait quitté le centre ville et s’engouffrait à présent dans la ruelle qui la mènerait enfin à sa voiture. Qui était ce pervers qui s’amusait ainsi avec elle ? Il avait son numéro, il la connaissait donc. Elle était persuadée qu’il était là, caché par le brouillard et l’obscurité, à l‘épier. Le souffle court, elle courait pratiquement. Elle pouvait maintenant apercevoir le parking devant elle. Juste la route à traverser. Elle sentit alors son corps décoller, une sensation de vide, de vertige et le contact avec le bitume. Une vive douleur s’empara de sa cheville droite. Elle était étalée de tout son long et malgré l’humidité du sol, elle ressentait une chaleur lancinante sur toute la moitié du corps qui avait amorti sa chute. Elle restait là, hébétée. Elle vit alors son portable, tombé devant elle, sautiller sur le trottoir. Les larmes lui montaient aux yeux. Elle se ramassa péniblement, constata rapidement les dégâts. Son pantalon était déchiré un genou, son talon droit était cassé. Lorsqu’elle passa furtivement sa main sur sa joue, elle sentit des picotements. Elle regarda ses doigts gantés couverts de sang. Son portable vibrait à nouveau. Une boule de colère lui remonta dans la gorge. Elle se débarrassa de ses chaussures et les fourra dans son sac. Elle attrapa ce maudit portable et lut le message. Les larmes ruisselaient toujours sur ses joues ensanglantées.

«  Quel vol plané, chérie ! » Claire essuya ses pleurs du revers de son manteau. Il n’allait pas la laisser tranquille, cet enfoiré.

«  Ca va ? Si il y a bien quelqu’un qui doit te faire mal ce soir, c’est moi. » Dans un excès de rage, elle lança son portable loin devant elle. Elle le vit rebondir sur la route et s’éclater en plusieurs morceaux. Elle regardait les débris fixement, l’angoisse montait à présent en elle, la saisissant. Elle avait de plus en plus de difficulté à respirer. Elle compris alors qu’elle venait de détruire sa seule bouée de sauvetage. Elle ne pourrait plus prévenir personne, elle était seule face à son tortionnaire.

Elle traversa la route, espérant qu’une voiture passerait à ce moment mais elle n’eut pas cette chance.

Sa cheville la faisait atrocement souffrir et chaque pas était un supplice. Elle reprenait légèrement confiance. Sa voiture était la seule sur le parking et elle ne distinguait personne. Elle boita péniblement jusqu’à son véhicule. Elle porterait plainte dès demain matin. Tant pis si on la prenait pour une dingue, ou une hystérique. On n’avait pas le droit de jouer avec les gens ainsi.

Arrivée devant sa voiture, elle regarda avec inquiétude dans l’habitacle. Elle souffla, soulagée. Personne n‘y était dissimulée, ni à l’arrière, ni dans le coffre. Elle chercha nerveusement ses clés dans son sac encombré. Pressée, elle jeta ses escarpins par terre. De toute façon, ils étaient foutus. Elle ne trouvait pas ses clés. La pression montait à nouveau. Elle vida avec anxiété le contenu de son sac sur le capot. Rien. Pas de clés. Elle pleurait à nouveau, pieds nus et ses vêtements mouillés, elle grelottait de froid et de peur. Son cerveau ne fonctionnait plus normalement, elle était incapable de penser. Elle allait mourir givrée devant sa voiture. Soudain, l’illumination. Elle se mit compulsivement à rire, pleurer. Son visage était en ruine, entre les larmes, le sang et la morve. Mais elle s’en foutait, elle se rappelait à présent. Ses saloperies de clés étaient dans la poche de son manteau.

Elle s’en empara avec fièvre. Elle les pointa et appuya sur le boitier. A l’instant où elle entendit le bip salvateur d’ouverture des portes, elle sentit une main s’agripper brutalement à sa cheville foulée et enfoncer profondément ses ongles dans sa chaire meurtrie. Elle poussa un hurlement qui déchira les ténèbres qui, pour seule réponse, lui renvoya son écho. Claire secoua énergiquement sa jambe afin de se détacher de cette emprise inconnue. Celle -ci céda sous les à - coups effrayés de la jeune femme. Instinctivement, elle courut derrière elle, se dirigeant vers la Seine. Chaque enjambée lui arrachait une grimace de douleur. C’était comme si, une lame s’enfonçait un peu plus à chaque fois que son poids pesait sur sa cheville. Elle ne se retournait pas, courant droit devant, tentant de mettre un maximum de distance entre elle et son agresseur. Claire sortit du parking, traversa une petite ruelle déserte et perdit pieds. Le sol s’était comme évanoui sous elle. Elle comprit aussitôt que la morsure de l’eau glacée saisit tout son corps. Elle était tombée dans la Seine. Dans sa fuite désespérée, elle avait oublié le fleuve. Doucement, ses membres s’engourdissaient, elle ne ressentait plus la douleur du froid et de sa cheville. Elle n’avait plus la force de crier et dans un dernier effort elle se retourna et fixa la rive. Elle discerna une forme immobile, visiblement humaine, certainement son bourreau, qui la regardait se noyer. Etrangement, elle avait l’impression de le connaître. Elle rassembla le peu de force qui lui rester et se concentra. Mais oui, c’était Mlle Gavier ! Elle travaillait au guichet d’accueil de la banque. Elle n’eut pas le temps de chercher la raison de cet acharnement meurtrier. Une délicieuse torpeur l’envahissait. Claire avait juste envie de dormir, en paix. Elle ferma précautionneusement ses yeux et se laissa immerger dans les eaux sombres de la Seine.

Mlle Gavier regardait froidement le spectacle, les mains dans les poches. Elle attendit plusieurs minutes après que Claire eut disparut. Pour être sûre qu’elle s’était bien débarrassée de cette petite pute. Elle restait un peu surprise de la bêtise de sa collègue. Elle s’était elle - même jetée à l’eau. Elle n’en espérait pas tant. Au départ, elle voulait juste lui faire peur mais Claire avait été plus que réceptive. L’idée lui était venu lorsqu’elle l’avait vue sortir de la banque, si précieuse. Depuis qu’elle était arrivée à la banque, le directeur n’avait d’yeux que pour Miss Claire. Il l’avait largué, elle, comme une malpropre, sans explications. Et depuis, il lui parlait comme à une vulgaire employée, oubliant qu’ils avaient couchés ensemble pendant pratiquement deux ans.

Elle se retourna, et remonta vers le parking. Avec minutie, elle ramassa les bouts du portable sur la route, remis les affaires éparpillées dans le sac à main, attrapa les chaussures restées au pied de la voiture. D’un pas nonchalant, elle regagna à nouveau le bord de Seine. Elle déposa à terre, là où Claire avait sombrée, son sac et ses escarpins.

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