Toi aussi, tu périscope ?

Cher Périscope,

Tu es donc arrivé à corrompre la jeunesse en si peu de temps. Peut-être étaient t-ils sur la mauvaise voie depuis le départ ? À les voir évoluer dans un environnement urbain d'ores et déjà sur-codé, flanqués d'extensions mécaniques au bout de chaque articulation, c'est tout un monde qui s'écroule au plus profond de moi-même. Serais-je donc jaloux de cette possibilité d'expansion infinie que leur offre leurs gadgets derniers cris? Non. C'est simplement un refus pur et simple de l'échange que je constate amèrement. De moins en moins de personnes regardent devant eux, au sens premier du terme, à l'instar de cette bande de potes, croisée au hasard, les yeux rivés sur UN smartphone, comme face à miroir. Ils "périscopaient" alors avec d'autres individus à travers le monde... Bah alors, pourquoi s'insurger? Ce sont juste des jeunes qui passent du bon temps avant de reprendre les cours ! OK. Comment mieux anesthésier les capacités cérébrales d'une personne autrement qu'en le gavant d'images, qui plus est des images censées représenter la réalité réellement réelle? Pardon, messieurs les progressistes, je ne voulais en aucun cas remettre en question vos technologies...

"À 200 vues, je montre mes seins !". Ce qu'on pensait ne voir que dans les tréfonds du deep-web est dorénavant à la vue de tous. Si je prendrais partie, je dirais que nos chères petites têtes blondes ont tout à craindre de cette application mêlant vulgarité et bêtise (Comme dirait NTM, "laisse pas traîner ton fils !"). Mais là n'est pas mon message ! Je me contente de pointer du doigt cette mécanique qui se veut souterraine mais dont les émanations putassières ont de plus en plus tendance à remonter à la surface. Chaque ado qui possède cette application a une Télé-Réalité virtuelle dans sa poche, sans le paravent médiatique, cela va de soi. Qui est le plus à plaindre, dans ce cas? Le voyeur, qui n'a que ça à faire d'observer la vie des autres, au lieu de s'intéresser à d'autres choses, ou le mec, la nana, qui se donnent en spectacle devant d'illustres inconnus? À quand le FAQ aux toilettes? Se sentir intéressant devant un public alors qu'on est sur le trône, n'est-ce pas là la plus délectable des sensations?

Dernier point de cette prodigieuse invention. Les cœurs qui défilent à droite, venant des spectateurs mêmes. Impression d'être aimé. De l'amour de partout ! Futile, peut être, mais de l'amour quand même ! Un grand homme ne nous enseigne t-il pas de nous aimer nous-mêmes avant d'aimer autrui? Cela nécessiterait de fait une aventure spirituelle, fruit d'une réflexion prolongée sur soi, son entourage, la société, le cosmos... Connais-toi toi-même et tout le baratin, comme dirait les d'jeuns. N'empêche que c'est la base. Et qu'on l'oublie trop souvent. 

Cette lettre ouverte finira sans doute de me faire passer pour un réac confirmé, réfractaire à tout progrès actuel et campé sur ses positions. Mais je me devais de te parler, Periscope, avec des paroles, non des bavardages. Car c'est ça ton domaine. Le bruit. Le vain. L'apparence. Le vrai défi serait de te consacrer un livre, pour tenter de tirer substance de ton vide inhérent. Quand on va sur Périscope, c'est qu'on a la flemme. Quand on écrit à propos de Périscope, c'est qu'on est désabusé. Même combat ?

À toi de me le dire, mon brave.