Tomber les masques

Déborah

Quand Kayla Williams fait la rencontre d'un certain Noah, les masques vont tomber et les confessions s'enchaîner. L'amour lui tombera dessus, sans crier gare, alors qu'elle n'avait pas déposé son CV.

« Banal, tout est trop banal! Notre vie est trop quelconque, sans le moindre intérêt! Regarde le ciel, d'un bleu tellement parfait qu'il me semble irréel passant du bleu à l'orange à la tombée de la nuit, accompagné de temps à autre par des nuages cotonneux, d'un blanc immaculé aux contours parfaitement définis, se mouvant dans le firmament au gré du vent et se teintant d'une légère couleur grise à l'approche de la pluie, apparaissant et disparaissant sans crier gare. Même le ciel change! Alors pourquoi pas ma vie...

- Tu sais Kayla, moi j'aime bien notre vie, notre petit train-train quotidien, sans problèmes, sans embrouilles, sans le moindre souci. Mais toi, il t'en faut toujours plus, toujours plus de changements, toujours plus de surprises, et quand bien même cela arrive, tu n'en es toujours pas satisfaite. Tu restes une éternelle insatisfaite, et ça, personne ne pourra rien y changer.

Je le sais bien, je n'arrive pas à me contenter de ce que la vie m'offre. Je ne suis jamais rassasiée. J'aime les débordements, les imprévus. Et à présent, plus les jours passent, et plus je me lasse de cette situation. Avoir une vie parfaite, un petit-ami parfait, une famille parfaite, ce n'est pas pour moi...

- Alors tu serais prête à tout envoyer bouler, tout quitter, pour satisfaire ne serait-ce qu'un tout petit peu ce besoin de nouveauté? m'avait-elle rétorqué vexée.

- Je n'ai pas dit ça... Je dis juste que ça ne me ferait pas de mal un peu de changement, mais en presque 16 ans d'existence, ma vie est restée la même, alors il ne faut pas que je me fasse de faux-espoirs... avais-je déclaré en un soupir, allongée dans l'herbe, tout en faisant face au soleil qui allait bientôt se coucher. »

Finalement, pour avoir du changement, j'en avais eu... A tel point que j'avais fini par le regretter, par me sentir coupable, par vouloir revenir en arrière, vouloir revenir sur mes paroles passées.. Aujourd'hui, le ciel hurle. Aujourd'hui, le ciel pleure. Le ciel est triste, tout comme moi. Et vous savez pourquoi ? Parce qu'il en a marre de ce monde de merde où tout peut basculer du jour au lendemain, sans prévenir. Il a peur de tout cela le ciel. Tout comme moi. Il pleure pendant des heures, et rêve que cette terre devienne heureuse et protège les enfants insouciants de la mort. Hélas, nous vivons dans un monde à la con où la mort plane au-dessus de nos têtes à chaque instant. Autrefois, j'étais une enfant heureuse. Jusqu'à ce que je me rende compte que cette période d'insouciance était terminée. Maintenant que j'ai grandi, vécu un peu plus, je peux dire que la vie est bien plus belle les yeux fermés. Juste pour rêver, juste pour me souvenir. Je me rappelle de tous les moindres détails de ce passé si proche, mais je ne me souviens plus comment être heureuse, alors je ferme à nouveau les yeux, et je fais semblant.

Après ce terrible événement, je suis passée par toute sorte de phases, le choc, le déni, la colère, la tristesse et enfin la dépression. Seulement, au plus grand désarroi de ma mère, je ne suis jamais vraiment sortie de cette dernière phase, restant durant longtemps enfermée dans mon mutisme. Et quand j'ai compris que mon état inquiétait fortement mon entourage, j'ai fait mine de sortir la tête de l'eau , de passer à autre chose. Oui, j'allais mal. Oui, j'étais triste. Tellement triste. Mais j'estimais que personne n'avait besoin de le savoir si c'était pour en souffrir, alors je souriais. Ils ont cru à ma soudaine transformation, alors qu' en réalité, mes sourires n'étaient que mensonges, de nuit comme de jour, je falsifiais ma bonne humeur, mon bonheur n'était en aucun cas authentique. Mais, ils n'y avaient vu que du feu, ils étaient tombés dans mon manège la tête la première ne se doutant pas une seule seconde que derrière mes sourires se trouvait encore la petite fille brisée des premiers jours, se disant seulement que je m'étais finalement reconstruite avec le temps. Ils ne se sont rendus compte de rien, mais je ne peux leur en vouloir, après tout, il s'agissait de l'effet escompté. J'avais espéré leurrer mes proches, et ça avait marché...

Avec mes amis, c'était pareil. J'avais le visage fatigué, cerné, mes yeux bleus se battaient sans cesse pour rester ouverts, mais j'étais censée être la petite rigolote du groupe. Alors je jouais mon rôle à la perfection, le sourire aux lèvres, je riais aux éclats pour un oui ou pour un non, et personne ne se demandait à quoi je passais mes nuits. A dormir évidemment, pensaient-ils. Si seulement c'était le cas... Malheureusement, mes nuits étaient bien plus mouvementées, pleurant toutes les larmes de mon corps, et me levant chaque matin avec des yeux rouges et particulièrement gonflés. Mais le lendemain, je tentais éperdument de masquer tout cela devant mes camarades avec une phrase que j'avais pris l'habitude de leur répondre: « Je suis un peu fatiguée, c'est tout. Je ne dors pas très bien en ce moment. » , et c'est ce qu'ils gobaient tous, sans exception.

Quand un miroir se brise, on entend un bruit assourdissant que tout le monde remarque, ainsi que des milliers de petits tintements cristallins. Mais le problème, c'est que lorsqu'une personne se brise de l'intérieur, on n'entend strictement rien... C'est le néant total. Les cris et les pleurs sont étouffés dans l'obscurité de la nuit dans un silence de plomb avec la Lune pour seul témoin. Et c'est exactement ce qu'il s'est passé pour moi. J'ai sombré une nouvelle fois dans mes vieux démons sans que personne ne le remarque, sans personne pour m'épauler.

Seulement, lorsqu'elle a fini par partir, elle aussi, voulant fuir cette partie de notre vie, me laissant seule avec une famille brisée et un petit ami nouvellement violent sur les bras, je n'ai plus su faire semblant, j'ai préféré faire partager ma tristesse pour que tous les gens croisant ma route, choisissent d'être heureux encore un peu.

J'ai mainte et mainte fois pensé à en finir avec tout ça, avec cette vie de merde.... Pas pour faire mal à ceux que j'aimais, non, rien à voir. Seulement, pour arrêter de souffrir, on est prêt à tout, même à mettre fin à notre misérable vie, peu importe les conséquences. Mais je ne l'ai pas fait. A chaque fois que je prenais les pilules de médicaments dans ma main, je me disais que cette fois-ci serait la bonne, que je pourrai enfin quitter ce monde pourri, mais à tous les coups, je repensais à mes proches et je me disais que je ne pouvais pas leur faire cela, ils n'avaient rien demandé eux. Puis un jour, quelqu'un m'a ouvert les yeux et m'a dit que si je n'étais pas morte ce jour-là, c'était parce que ce n'était pas encore prévu au programme, j'ai alors décidé de survivre pour eux, jusqu'à ce que la mort vienne reprendre son dû.

Puis j'ai commencé à rêver, rêver de mon futur, sans jamais passer à l'action, sans jamais aller de l'avant. En fin de compte je me suis juste servie de l'avenir pour échapper à mon présent. Mais ça n'a pas vraiment marché. Séance de psy, sur séance de psy, la réalité m'a vite rattrapée, je ne voyais mon avenir que bloqué dans l'obscurité. J'étais là, seule, sans personne pour me soutenir, pour me comprendre, pour m'aider à extérioriser ma peine ainsi que ma culpabilité ne serait-ce qu'un tout petit peu. Je me sentais inlassablement seule, tel un grain de sable sur le sommet d'une montagne. Ne pouvais-je donc pas être heureuse moi aussi, pouvoir enfin passer à autre chose?

Et c'est toute cette histoire qui a poussé ma mère à prononcer ces mots.

« Tu n'es pas la seule à souffrir! Moi aussi.. Et eux souffrent autant que toi, si ce n'est même plus, et pourtant, ils essayent d'aller de l'avant. Tu sais Kayla, Pierre et moi, on fait tout pour que tu sois heureuse, mais tu te détruis! Tu te détruis aussi bien de l'intérieur que de l'extérieur, et par la même occasion, tu te f...

- C'est bon, tu ne veux pas écrire ma biographie tant qu'on y est ?

- Je ne te reconnais plus, ma puce. Tu t'éloignes de moi de jour en jour. Je ne veux pas te perdre toi aussi... avait-elle repris plus doucement.

- Et donc ta seule manière pour te rapprocher de moi et me faire aller de l'avant, c'est de m'envoyer ailleurs chez un père que je ne connais même pas?! Qui d'ailleurs, rappelons-le, t'a trompée avant de finir alcoolo!

- Il a changé, il a décidé de faire des efforts, pour toi, pour pouvoir te rencontrer... Tu ne peux pas lui enlever ce droit, il reste ton père, malgré toutes les actions qu'il a pu commettre. Je ne tdemande pas de l'apprécier, mais au moins de faire des efforts. Et puis je pense que t'éloigner un peu d'ici et de tous ces problèmes quelques temps ne peut que t'être bénéfique. »

Voilà comment je me retrouve à présent devant cet homme imposant qui m'est tout bonnement inconnu, son âge marqué par quelques cheveux gris ainsi que de légères rides aux coins des yeux. Puis je lui tends respectueusement ma main, et je me présente à lui, avant de serrer la poigne ferme de cet homme censé être mon père, son sourire contrastant à la perfection avec son imposante carrure. Et c'est en franchissant le seuil de la porte, que j'ai l'étrange impression qu'une nouvelle vie s'offre à moi sur un plateau d'argent.


Signaler ce texte