Touche à Touche Part 5

Mini Pouce

Je crois qu’il n’a rien trouvé d’étrange lorsque je me suis présentée pour la leçon la semaine d’après. Lui rien mais moi je l’ai trouvé tellement différent, il avait cette attitude distance et froide qu’il avait pu avoir lors de notre première rencontre, il se contentait de me donner mon travail sans avoir la moindre attention, je suppose que mon agacement fut très vite visible, je ne pouvais pas contrôler mes nerfs et je devenais très sensible, chaque faute de ma part était une véritable torture pour le piano sous mes doigts. Si bien que mon comportement ne mis pas longtemps à l’énerver.

-          Je pense Lili que nous en avons finie avec la leçon d’aujourd’hui, vous reviendrez quand vous aurez décidé de ne plus torturer mon piano.

Sans rechigner, j’ai pris ma veste et je suis sortie, complètement perturbée par sa manière d’agir.

Comment avais-je pu imaginer qu’il pouvait être en train de… de quoi ? De me draguer, de faire exprès de me charmer ?

Non il sait que je suis mariée et je sais qu’il n’y a rien de plus, pourquoi est ce que je suis en colère ? Je ne comprenais pas d’où pouvait venir cette haine au plus profond de moi. Je savais que mon couple manquait de passion, mon mari est un homme parfait et pourtant ça ne m’a jamais suffit, alors aujourd’hui je le ressens, je me laisse prendre au piège d’une histoire qui n’est pas la mienne. Ma place est auprès de ma famille, pourquoi devrais-je rêver mieux.

La semaine qui passa fut formidable, du moins pour mon mari, j’ai tentais mille et une astuce pour redonner un peu de joie à mon couple, entre dîné en tête à tête, sortie au cinéma, jusqu’aux jeux sous la couette, tout se passait plutôt bien. J’avais tout de même ce dégout au fond de moi, cette impression de jouer un jeu stupide qui ne me correspondait plus. Cette couverture fonctionnait à merveille pour mon mari et pourtant je n’étais pas comblée, je rêvais d’autre chose, mais jamais je n’aurais pu sacrifier mon couple et surtout ma famille pour cette passade futile.

Tout était prétexte à l’agacement, je ne supportais plus mon quotidien, et il m’arrivait régulièrement de me retrouver aux larmes pour un rien, dernier exemple en date mon gratin qui avait un peu trop cramé dans le four…

La séance arriva comme chaque semaine, cette fois-ci j’étais anxieuse, j’appréhendais cette leçon parce que je ne voulais pas que la seule chose qui me sorte de mon ordinaire se transforme en catastrophe juste parce que j’avais peut-être imaginé un peu plus que la réalité.

Je suis entrée dans la maison sans un mot, sans un sourire. Je suppose qu’il a compris tout de suite mon état d’esprit et il n’a rien osé dire. Je me suis assise sur le banc noir devant le piano, je n’avais jamais remarqué qu’il était plutôt confortable, je n’ai pas eu besoin de le régler à ma hauteur, sans doute qu’il m’attendait.

J’ai pausé mes doigts sur le piano, j’ai caressé doucement les touches devant moi, elles étaient douce comme j’avais pu le rêver toutes ces années, je suis restée un moment à contempler mes doigts qui mimait les mélodies, et puis j’ai pris mon courage à deux mains, j’ai joué les quelques morceaux que Jimmy avait pu m’apprendre. Il y avait maintenant 3 mois que je venais presque chaque semaine pour apprendre à jouer, et je ne mettais pas encore rendu compte que j’étais capable de jouer du piano. Bien entendu mon répertoire était plutôt restreint et mes doigts encore bien trop hésitant mais j’avais progressé, je jouais.

Je me suis arrêtée d’un coup sec, j’ai regardé en face de moi, à force de déposer son verre de whisky sur le piano on pouvait apercevoir une auréole  sur le bois, rien de très voyant mais ça suffisait à ce que je l’observe et que je l’imagine là chaque soir devant son piano avec l’alcool qui lui aurait un peu monté à la tête, juste de quoi lui donner le courage de ces musiques trop triste, celles qui vous prennent aux tripes.

-          Vous n’aurez bientôt plus besoin de moi, vos doigts ont pris goût au piano.

-          Peut-être que si, peut-être que vous ne vous rendez pas compte que c’est important pour moi ces leçons.

-          Si bien sur je le ressens, tout comme je ne suis pas insensible à la peine qui semble vous envahir ce soir. Un verre de vin ? Après tout, je peux jouer au professeur, au psychologue, c’est vous qui payez, c’est donc à vous de choisir à quoi je peux vous servir.

La stupidité de sa phrase et surtout le sourire idiot qu’il avait pu esquisser en la disant avait suffit à me faire rire. Je me retrouvais assise à nouveau près de lui, mon verre de vin à la main.

-          Vous préférez qu’on parle de piano, ou peut-être d’autre chose ?

-          A vrai dire j’ai l’impression de ne pas être d’une très bonne compagnie ce soir, voir même depuis quelques temps.

-          Je vous avoue que ça ne me pause pas de problème, je ne vous vois pas tous les jours !

Il cherchait à tout pris à me faire rire, ça n’avait rien de drôle mis à part son air un peu embêté et maladroit.

-          Avez-vous toujours été pianiste ?

Ma question avait eu l’effet d’un courant d’air, je sentais qu’il était gêné et j’ai surtout pu apercevoir le frisson qui venait de le parcourir.

-          Non, je joue depuis que je suis enfant, j’ai joué longtemps pour les autres et finalement un jour j’ai tout arrêté pour faire un métier plus normal, un métier pour moi.

-          Vous a-t-on forcé à jouer, vos parents ?

-          Pas vraiment

-          Alors qui a bien pu vous forcer à jouer ?

-          J’ai joué par amour, j’en ai fait ma vie pour plaire à une femme, chose suffisamment stupide quand cette femme ne vit que pour jouer. Son bonheur est dans sa réussite, dans le regard des gens qui l’écoutent.

Je lui avais posé mes questions sans avoir voulu être indiscrète, j’étais tellement curieuse et intriguée qu’à aucun moment je ne me suis doutée que je pouvais l’offenser, c’est seulement quand je me suis rendue compte que son regard était perdu dans le vide que j’ai arrêté de lui poser toutes mes questions.

Le silence n’a pas duré plus de quelques minutes, mais ce silence n’avait rien d’embarrassant, nous étions plongés tous les deux dans nos idées, nos pensées, et pourtant le fait de ne pas être seul était tout à fait rassurant.

-          Vous pouvez jouer pour moi s’il vous plaît ?

-          Vous voulez qu’on échange les rôles ?

-          Oui ce soir c’est à vous de jouer et moi d’écouter, rien de plus.

En compagnie de son verre, il est allé s’installé devant le piano, après avoir réglé le siège à sa hauteur, il hésita quelques minutes avant de s’exécuter. Je ne pourrais pas dire ce qu’il jouait, mais c’était beau, mélancolique à souhait, tout ce qui me plaisait. J’étais impressionné par la stabilité de sa main, il n’y avait que ses doigts qui bougeaient, son corps était lui habité de la musique, il vivait la chanson.

Je me suis levée pour allé m’assoir à côté de lui sur le banc, je regardais  ses mains s’accomplir sans aucune difficulté devant l’instrument, il n’y avait pas une erreur, on aurait dit qu’il était habité par la musique. A la fin de la chanson, il saisit mes mains dans les siennes et me regarda gentiment.

-          Vous aussi vous allez pouvoir le faire, je ne vous quitterais pas avant de vous voir jouer ce morceau.

Sa main ne lâchait pas la mienne, il caressait doucement la paume de ma main avec ses doigts, il souriait légèrement, avant de se lever il remettait l’une de mes mèches derrière mon oreille. Mes cheveux cachaient légèrement mon visage, et ce soir j’avais décidé de ne pas les enlever, je voulais me cacher, me réfugier et puis je ne voulais pas qu’il aperçoive mon regard perdu.

Après quelques minutes où je suis restée seule à penser, je suis allée le rejoindre sur le canapé.

-          Vous savez, un jour vous vous rendez compte que votre vie n’est pas tout à fait ce que vous espériez, mais faire machine arrière est impossible. Certains ne pourraient pas comprendre, je devrais m’estimer heureuse, j’ai tout ce dont j’aurai pu rêver. Tout sauf la passion… je me suis lassée au fil du temps et aujourd’hui je cherche un moyen de donner un sens à ma vie.

J’avais du mal à retenir les larmes qui me montaient aux yeux, c’était stupide mais j’avais besoin de confier à quelqu’un ce trop plein, et lui était la personne idéale, il ne me connaissait pas assez pour me juger ou pour prendre le parti de mon compagnon. Je parlais tout en ayant l’impression d’être complètement perdue, mon regard était dans le vide depuis le début de la soirée.

C’est à ce moment là qu’il décida de me prendre dans ses bras, j’y étais tellement bien, son parfum était boisé, et ses bras suffisamment puissant pour m’enrouler et me donner le sentiment d’être protégée. Il ne disait pas un mot, son silence respectait ma douleur.

Après une vingtaine de minutes dans ses bras, j’ai pris mon manteau et je me suis échappée à mon tour, je ne voulais pas qu’il me mette discrètement à la porte comme il savait le faire.

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