LUNDI
desmarais
J'viens d'avoir vingt-cinq ans et quelque chose a changé. J'veux dire, physiquement. Je passe des heures devant la glace à essayer de savoir quoi, mais je comprends pas. Pourtant quand j'suis allée chez le coiffeur la dernière fois, il m'a pas cru. « La réduction s'applique toujours pour les moins de 20 ans ? » j'ai dit. Le type m'a regardé longuement. Dans le fond de l'oeil. Comme pour me sonder l'âme. Pourtant j'suis une sacrée menteuse, j'vous jure. D'abord j'ouvre de grands yeux vitreux, si vitreux qu'on dirait qu'ils sont plein de flotte et que si je penche un peu la tête ça va déborder. Puis je m'attife avec cette bouille de môme boudeuse qu'a l'air de demander « Comment on fait, au juste, avec la vie ? » et la plupart du temps, ça marche. Mais là, non. Le gars était pas dupe et j'ai dû payer plein pot. Alors j'ai sorti ma carte de crédit et je l'ai levée au ciel. Genre solennellement. Comme un toast à mon découvert. Vivre sans argent c'est vivre héroïquement, je dis toujours. Sans rire. Si je faisais un prêt à la banque, ce serait pour aller grailler au Flore ou n'importe quel autre bouge de Saint-Germain des Prés. J'suis une sorte de mystique, voilà. Je suis une mystique. Je pourrais au moins me prendre un job cet été. Pour me remettre à flot, ce genre d'idées qui courent dans la tête de ma mère. Mais ça m'empêcherait de profiter des piscines de rosé et du soleil sur la terrasse. Alors je dis toujours non. Par principe. On parle du travail comme d'un moyen d'accéder aux loisirs, c'est pas vrai ? Moi j'ai déjà les loisirs, qu'est-ce que j'ai besoin d'aller travailler. Allez, ça va, je sais bien que ça durera pas. On m'a assez répété que j'étais une putain d'enfant gâtée. Que j'avais de la chance, que y'en a plein qui rêveraient d'être à ma place. Moi, ça me donne juste envie de gueuler, de tout gâcher. Pour la beauté du geste, quoi, vous comprenez. Bref, je suis sorti de là avec une nouvelle tête. Une tête qui, vraisemblablement, faisait mon âge. L'air conne. À me demander comment j'avais pu creuser plus loin mon découvert alors qu'avant d'entrer dans ce foutu salon j'avais moins de vingt ans. Ouais putain, l'air conne.
Un passage de ta nouvelle m’a fait penser à un phrase de B. Lavilier qui le sens de la formule : « dans la vie mon garçon, tu choisis… tu travailles ou tu gagnes de l’argent ? » Pas mal, non ?
· Il y a plus de 7 ans ·Hervé Lénervé
Aha ! Sacré Bernard ! ;)
· Il y a plus de 7 ans ·desmarais
tout ça pour une coupe de cheveu
· Il y a plus de 7 ans ·Hi Wen