Tout ou rien

luxaeterna

Un petit aperçu d'une de mes nouvelles :)

- Troisième corps, annonça le commissaire Duler d'un air grave.

38 ans, aide-comptable, célibataire. Aucun passé judiciaire. Pas le genre à chercher les emmerdes. Malgré tout, trouvé mort cette nuit vers cinq heures trente, 31 rue Jacoulet.

 

Joss mina un triste sourire en guise de réponse.

 

- Arme du crime : toujours la même, croix de fer, énuméra Duler d'une voix  monotone semblant presque lassée. Motif : inconnu. 

 

- Point commun avec les autres victimes ? proposa Joss sans grande conviction.

 

Duler fit non de la tête. 

- Enfin, on espère que l'on trouvera bientôt un...

 

- C'est un malin ! s'écria soudain une voix aigüe et suave suintant la jeunesse près des punaises du tableau de liège. Ça fait déjà trois, et impossible de trouver un seul indice. L'homme aux crimes parfaits, ce gars. Je vous le dis, moi, c'est un malin !

 

- Il n'y a pas de crime parfait, rétorqua Duler. Monsieur...? 

 

- Turnier, commissaire. Officier Turnier. 

 

- Bien. Il vous faudra apprendre que l'on ne coupe pas la parole à son commissaire, Turnier.

 

- Officier Turnier, commissaire. 

 

Duler lui lança un regard de braise. Il ne supportait pas l'insolence. Il pointa sa main tremblante vers la porte à sa droite. 

 

- Dehors, sévit-il d'un ton sec qui n'invite pas à répondre. 

 

Turnier attendit quelques secondes, stoïque, sous le regard de toute la nouvelle Assemblée de Police de Paris réunie. Puis, les yeux rougis par la honte et la haine, il se leva brusquement. Il tapa violemment son genou droit contre le pied du bureau puis claqua la porte derrière lui. Ça n'allait pas être facile avec lui, pensa Duler. 

 

- Bien. Où en étions-nous ? reprit-il, le regard perdu.

 

- On en était à qu'on n'a rien pour coincer ce type, dit une voix grave dans le fond qui ne voulut pas montrer sa provenance, par peur peut-être. Une voix septique, un poil provocateur, mais fébrile. Une voix trahissant l'admission récente et incertaine à la nouvelle équipe.

 

Tout le monde respectait et craignait le commissaire.  Tout le monde sauf Turnier, apparemment. Duler n'était ni fier ni gêné par cette dévotion. Parce que la vérité, c'est que Duler s'en fout de ses collègues. Duler est là pour faire son travail. Il aime assembler une à une les pièces d'un puzzle aux mille formes. 

 

- Mmh... répondit-il seulement. 

 

Puis, il attrapa son chapeau melon au rebord clair sur le porte-manteau, ainsi que sa longue veste noire. Sur le pas de la porte, il se retourna soudain. 

 

- Demain matin, je veux au moins un indice sur mon bureau. 

 

Et sur ces paroles non sans pression, Duler sortit. Il prit les escaliers, comme tous les jours. Duler ne prenait jamais l'ascenseur. "On ne me fera pas monter dans un de ces trucs tant que je tiendrai sur mes deux pieds", affirmait-il souvent. Une fois en bas des quatre étages, Duler s'arrêta devant le portail. Les majuscules noires "Brigade Criminelle" étincelaient au Soleil. Elles semblaient presque innocentes sous ses doux rayons. Il venait de descendre quatre étages, soit trente-deux marches. Si l'on considère que l'on passe environ une demi-seconde sur chaque marche, Duler avait mis seize secondes à descendre, soit plus de quinze secondes, soit plus du quart d'une minute. Donc Duler venait de gâcher plus du quart d'une minute de sa vie. Et même plus, si l'on ajoute le temps à penser à toutes ces marches et à tout ce temps perdu. Et Duler réalisait chaque jour, en bas des escaliers, la lenteur et l'importance de seize secondes dans une vie. Tant de choses peuvent se passer en seize secondes. 

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