Train-train quotidien???

emmi

Ce soir j’ai rendez-vous avec mon destin. Ne dit-on pas qui vivra verra ? Et bien moi ce soir je prends le train. Non, il ne s’agit pas d’un acte héroïque, loin de là. En tous cas en temps habituel. Il s’agit, au contraire, d’un acte quotidien pour certains, mais qui, dans la lumière de l’actualité, est devenu un acte de résistance.

 Depuis des mois, on se prépare à un séjour, que ce soit pour raisons perso, boulot, repos et puis soudain une angoisse germe au sein même de ces beaux projets. Dans nos pays civilisés, faut avouer qu’on n’a pas trop l’habitude. D’ailleurs cela parait tellement irréaliste qu’on vérifie quatre fois notre source croyant à un canular, mais non c’est bien ça : menace terroriste sur le réseau ferroviaire. Mais alors que faire ?

 Forcément, on n’a pas envie de se montrer parano : on ne va pas reculer, avancer un quelconque prétexte pour annuler, louer une voiture, préférer l’avion… Pourtant on y pense, on y pense même très fort. On redevient superstitieux, on croit aux signes. Comme dans les catastrophes d’avions, on se surprend à rêver d’embouteillage, d’une maladie subite, d’une cause extérieure (indépendante de notre volonté, n’est-ce pas !) qui nous empêcherait de prendre le train escompté.

 Ensuite vient le cortège des dernières fois : si ça se trouve je n’ai plus qu’un jour devant moi. Est-ce que c’est possible que rien ne puisse l’annoncer cette fin irrémédiable ? Certains mots résonnent comme dotés d’un trop grand coffre tout à coup… demain, bientôt, on verra bien… Ca aussi on le sait cela relève de la paranoïa, de la paranoïa et du ridicule, mais aussi de l’humain. Difficile d’esquiver de telles pensées même pour un optimiste forcené.

 Les étapes suivantes sont celles des regrets que l’on pourrait évoquer au déclin de sa vie, des proches que l’on a irrésistiblement envie d’embrasser, de voir, d’entendre… mais aussi des statistiques que l’on cherche à établir pour se rassurer.

 Tout cela s’entremêle, s’entrechoque dans nos cervelles et ce jusque sur le quai. Et puis là, on se sent ragaillardi. Bizarrement tous ces gens postés là pour les mêmes raisons que soi, qui semblent si confiants en l’immuabilité des choses, ça donne envie d’y croire. D’autant plus que même la compagnie y met du sien en annonçant ses sempiternels retards ici accueillis avec soulagement.

 On entre dans le train mécaniquement, dans le chaos et on redevient le prédateur à la recherche d’une place disponible. Les habitudes reviennent au galop : les regards en coin vers les voisins, les sonneries intempestives de portables, les défilés dans les couloirs… On se retrouve surpris à l’arrivée comme au réveil d’un mauvais rêve, on regarde son voisin comme s’il s’agissait d’un survivant et on se lève guilleret… en essayant de ne pas penser au retour.

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