Transit

zoulikha

Le train entra en gare. Sur les vitres se dessinaient les visages des autres passagers, dans la pénombre. Elle essayait de lire leurs pensées, d'imaginer l'histoire de leur voyage. Où allaient-ils ? Certains feraient signe à leur proche sur le quai et rentreraient chez eux après ce voyage pénible. D'autres se perdraient dans cette ville étrangère, sans repères. Elle était de ces autres.

Elle parcourut le tunnel jusqu'à la gare, se perdit dans la foule, emprunta les escaliers et tenta de garder l'équilibre sur les escalators, près de ces gens pressés qui ne cessaient de bousculer son sac. A la sortie, la nitescence du jour la surprit. Eblouie, elle se protégea les yeux de sa main gauche et tourna sur elle-même pour deviner les lieux. Elle détestait avoir l'air perdu d'une étrangère. Sans trop savoir où se diriger, elle emboîta alors le pas urgent des autres passagers et finit par repérer un parc. L'ambiance y était plus paisible, elle profita de cette tranquillité nouvelle pour reprendre souffle sur un banc quelques instants. Malgré l'heure avancée de l'après-midi, le soleil tapait encore et elle s'abandonna un instant à la chaleur et la volupté de ses rayons, en basculant la tête en arrière.

Elle vérifia son portable. Il n'avait pas appelé. Elle fixa l'écran nu pendant quelques minutes et composa son numéro. Sonneries. Messagerie. Elle hésita, puis d'une voix fébrile : « Bonjour … où êtes-vous ? … Je suis arrivée. Rappelez-moi. »

Elle sentit les battements de son cœur s'accélérer. Elle aurait dû attendre, bien sûr. Pourquoi diable avait-elle fait ça ? Brusquement, elle coupa son portable, enleva la batterie et l'enfouit dans sa poche. Qu'il appelle, elle ne répondrait pas, elle ne répondrait plus, à personne. Soudain, le piaillement des oiseaux l'agaçait et les cris des enfants qui s'agitaient autour des balançoires attisaient sa rogne. Elle sentait battre ses tempes.

Quand un ballon vient heurter son pied, elle se résigna, se reconnecta à la réalité pour sentir après peu son portable vibrer.

« Oui ? Ah. Bien. Non, ça ne fait rien. Au revoir. »

Il ne viendrait pas. Elle resterait là, dans cette ville étrangère, sans repères. Un ami à lui était mort au combat, il devait se rendre à ses funérailles, rejoindre le cortège, dans une autre ville. Il prendrait le train.

Elle ne savait que faire de ce motif, quel crédit lui attribuer mais elle sentait ses espoirs déchus lui serrer la poitrine.

Déboussolée et honteuse, elle se dirigea vers la gare. Il était trop tard pour reprendre le train désormais, elle devrait passer la nuit ici. Dans cette ville étrangère, sans repères. Le hall était bondé, elle trouva un siège vide près d'un groupe de voyageurs un peu trop enthousiastes et y prit place. Elle resta assise là pendant plusieurs heures. Immobile, elle faisait mine d'attendre, comme ces gens qui l'entouraient, dont elle devinait encore les pensées. Elle soupirait de la fatigue, de l'attente trop longue, consultait sa montre puis le tableau des départs, comme ces gens qui l'entouraient. Dans cette salle de transit, entre deux trains, elle attendait lentement de faire le deuil d'une partie de sa vie.

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