Transmission

alexleze

Ce récit a été imaginé durant la période de confinement due à la pandémie de COVID-19. D’ailleurs, l’intrigue est directement inspirée par cette actualité mais n’en reste pas moins une pure fiction.


District de Jiangxia, Wuhan, Hubei, Chine

 

C'était une fin de journée agréable et Qiao, doctorante en virologie, se rendait à pieds au supermarché pour y faire quelques courses avant de rentrer chez elle après une harassante journée de travail au laboratoire.

Elle s'apprêtait à rejoindre la route principale quand elle remarqua le van, moteur tournant, garé sur le bas-côté à une dizaine de mètres devant elle. Soudain, la porte latérale coulissa et un homme en combinaison anthracite en descendit, masque à gaz pendu autour du cou et casquette vissée sur la tête. Il héla l'étudiante qui méfiante, ne bougea pas.

L'individu à la mine patibulaire se rapprocha au pas de course et s'adressa à elle :

— On n'a pas de temps à perdre, tu montes dans le fourgon sans faire d'histoires sinon je m'occupe de toi.

Et, joignant le geste à la parole, il dévoila la lame acérée d'un couteau dissimulé dans sa manche. La jeune femme chercha instinctivement de l'aide autour d'elle mais cette petite route très peu fréquentée ne lui en n'apporta pas. Résignée, elle coopéra et grimpa dans la camionnette.

La porte se referma et le véhicule redémarra comme si de rien n'était. A l'intérieur, deux autres individus l'attendaient, vêtus de la même tenue que leur complice. Le premier, plutôt bel homme, devait avoir une trentaine d'années. Son regard rassurant et ses traits fins tranchaient avec l'atmosphère pesante qui régnait dans cet habitacle. Il esquissa un sourire à son approche. Son acolyte, assis dans un coin, était grand et robuste. Il tripotait nerveusement une batte de baseball posée sur ses genoux.

Puis, celui qui avait menacé la jeune femme se posta à côté d'elle, le couteau brandi dans sa direction. Elle put alors le dévisager. Plus âgé que les deux autres, il était petit et sec, le teint halé et les avant-bras recouverts de tatouages. Son regard, bien que menaçant, trahissait une certaine anxiété. La scientifique regarda inquiète l'homme en face d'elle qui lui paraissait être le chef du groupe. Celui-ci la rassura :

— Nous ne te ferons aucun mal et je vais t'expliquer la raison de notre présence ici.

Yong était en effet le cerveau de l'équipe. Et, depuis de nombreuses semaines, il avait élaboré ce plan. Au départ, il n'avait eu qu'un désir de vengeance aveugle avant de progressivement déceler dans son projet, des objectifs plus louables. Désormais, sa seule obsession tournait autour de cette question : d'où provenait réellement le virus SARS-COV-2[1] ?

Il était intimement persuadé que le labo de Wuhan en détenait la réponse.

Sa compagne, enceinte de six mois à l'époque, était décédée à cause de ce virus. Un soir, elle s'était plainte de difficultés respiratoires avant de s'effondrer subitement au beau milieu du salon. On l'avait transportée à l'hôpital sans qu'il ne puisse la rejoindre. Elle était morte pendant la nuit puis enterrée anonymement dans une fosse, emportant avec elle son futur fils. Il avait dû subir tout cela en étant assigné de force à résidence. Loin d'elle, inutile et impuissant.

 

La douleur était incommensurable et il avait sombré dans une profonde dépression durant de longues semaines. Mais des rumeurs sur une soi-disante fuite provenant d'un laboratoire l'avaient sorti de sa torpeur. Il avait dorénavant une mission à accomplir et rien ne l'arrêterait.

Yong s'était entouré de trois personnes de confiance, tous membres de sa famille. Et, dès que le confinement fut levé sur Wuhan, il les réunit. Meng, son oncle bagarreur toujours partant pour les mauvais coups. Qiang, son beau-frère, une force de la nature prêt à tout pour venger sa sœur. Et Lin, sa cousine, certes candide mais qui avait l'avantage de travailler dans une entreprise de nettoyage industriel dont l'un des clients réguliers n'était autre que l'institut de virologie dans lequel se trouvait leur cible. Ce qui leur fournissait une couverture rêvée.

Ils avaient observé les allées et venues des employés du laboratoire et avaient fini par jeter leur dévolu sur cette doctorante qui, après le travail, se rendait régulièrement à pieds au supermarché de Tongxin avant de rentrer chez elle en bus. Leur mode opératoire était relativement basique : se faire passer pour une équipe de maintenance afin de pénétrer sur le site et utiliser cette étudiante comme otage pour entrer dans le bâtiment. Puis, y récupérer les preuves de l'origine du virus et les remettre à l'ambassade sud-coréenne de Pékin en échange d'un hypothétique asile politique.

 

La première phase venait de se dérouler sans accroc et Yong récupéra le badge magnétique de la jeune scientifique qu'il remit à sa cousine, la conductrice. On lui avait attribué ce rôle car son visage juvénile et son sourire bienveillant ne devraient pas éveiller les soupçons.

Le van arriva à hauteur du site. L'accès était protégé par une simple barrière et surveillé par un gardien bedonnant coincé dans une minuscule guérite. Lin avait baissé sa vitre et tendit le bras vers la borne automatique pour y plaquer le badge mais il lui glissa des doigts et tomba au sol.

Elle se mordit les lèvres, maudissant intérieurement sa maladresse. Tout en évitant soigneusement le regard du vigile, elle tenta d'ouvrir la portière pour récupérer la carte mais l'espace entre le véhicule et la borne était trop restreint. La jeune femme se contorsionna alors avec difficulté et, du bout des doigts, finit par récupérer le précieux sésame.

Empourprée, elle effectua sa deuxième tentative et la barrière se leva. Le gardien jeta un regard distrait à cette scène incongrue. Lin retint son souffle. Il l'observa quelques secondes puis secoua la tête, consterné, avant de replonger dans son magazine. Laissant la voie libre au fourgon.

Celui-ci poursuivit alors sa route et bifurqua non pas en direction de l'institut mais vers le laboratoire P4[2].


[1] Nom scientifique du coronavirus à l'origine de la maladie de COVID-19
[2] P4 (Pathogène de classe 4) correspond au niveau de dangerosité le plus élevé
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