Tristan Lecomte : « Il n’y a rien de plus généreux qu’un arbre »

Joévin Canet

Interview de Tristan Lecomte, fondateur de la marque de commerce équitable Alter Eco et initiateur de Pur Projet.

Le 21 mars sera la Journée internationale des Forêts. L'occasion d'aller à la rencontre de Tristan Lecomte, fondateur de la marque de commerce équitable Alter Eco et initiateur de Pur Projet, un collectif international d'entrepreneurs sociaux animés par le désir d'accompagner les entreprises à préserver les écosystèmes. Classé en 2010 par le Time parmi les 100 personnes les plus influentes du monde, élu Young Global leader en 2008, puis Entrepreneur Social 2013 lors du Forum économique mondial de Davos, Tristan Lecomte milite aujourd'hui en faveur du développement à grande échelle de l'agroforesterie.


En quoi consiste l'agroforesterie ?

Tristan Lecomte : L'agroforesterie vise à planter des arbres dans et autour des champs agricoles ou des espaces d'élevage. Son principe réside dans la coopération naturelle entre les plantes, les arbres et les animaux. Cette coopération permet de régénérer l'écosystème, de fertiliser les sols et d'augmenter les rendements agricoles. L'agroforesterie consiste finalement à activer cette dynamique naturelle au bénéfice de l'écosystème, du fermier et de ses cultures.

Est-ce cette dynamique que vous défendez à travers Pur Projet ?

Tristan Lecomte : Tout à fait. Nous avons commencé par les champs de café et de cacao qui approvisionnent Alter Eco, l'entreprise que j'ai créée pour commercialiser les produits équitables.  On s'est dit : « On va essayer de compenser notre empreinte carbone en plantant des arbres au milieu des champs ». Nous nous sommes alors aperçus qu'en plus de compenser nos émissions de CO2, ces arbres nous apportaient de multiples bénéfices : la qualité des produits augmentait, et nous produisions en plus grande quantité. C'est de cette manière que Pur Projet s'est développé.

 Prônez-vous l'abandon total des produits chimiques dans les terres agricoles ?

Tristan Lecomte : On a cru qu'avec les produits chimiques, on allait pouvoir maîtriser la nature mieux qu'elle ne le fait elle-même. C'est une illusion ! Nous devons travailler avec la nature et non pas contre elle. L'usage des produits chimiques dans l'agriculture remonte à la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les armes chimiques ont été interdites. Voilà pourquoi l'industrie de l'ammoniaque a été recyclée. Aujourd'hui, on constate la limite des produits chimiques : ils coûtent cher et leur efficacité est limitée. De plus, ils représentent un risque pour les fermiers et les consommateurs, ainsi que pour l'environnement. On commence à sortir de ce modèle pour revenir à des techniques agro-écologiques qui permettent de concilier les techniques agricoles avec la préservation de l'écosystème. Une nouvelle révolution agricole se profile. D'ici 20 ou 30 ans, on n'utilisera plus aucun produit phytosanitaire, qui coûteront de plus en plus chers à mesure que le prix du pétrole augmentera. Une nouvelle agriculture émergera, basée sur l'observation scientifique du vivant, afin de trouver la meilleure manière de faire coopérer les plantes, les arbres et les animaux.

 Les arbres seraient donc des fertilisants naturels.

Tristan Lecomte : L'arbre est le moyen le plus frugal et le plus efficace pour fertiliser les champs agricoles. Par exemple, les légumineuses permettent de fixer de manière naturelle l'azote dans le sol. Elles rendent inutile le recours aux fertilisants. Avec seulement quelques euros et quelques minutes de votre temps, les arbres vous rendent ensuite de multiples services éco systémiques gratuits. Nous avons parlé de l'azote, mais l'arbre conserve aussi l'humidité et les minéraux des sols, il leur apporte des nutriments, il évite les phénomènes d'érosion et augmente la pollinisation. Il apporte également un ombrage naturel nécessaire à certaines plantes, comme le café ou le cacao, qui ont besoin d'ombre pour pousser. Il réduit l'impact des pluies diluviennes, des sécheresses prolongées, des tempêtes de grêle liées au dérèglement climatique. Au total, nous avons listé plus de 100 bénéfices de l'arbre au profit de l'écosystème et du fermier, qui peut faire de l'engrais avec les branches, vendre son bois, mais aussi des médicaments, puisque 80 % des essences d'arbre sont des essences médicinales. L'arbre renforce donc le patrimoine agricole du fermier, augmente ses rendements et diversifie ses revenus.

 Pur Projet mène des actions très locales avec le soutien de grandes multinationales. Comment gérez-vous ce grand écart ?

Tristan Lecomte : Les multinationales sont désormais beaucoup plus à l'écoute. Lorsque j'ai démarré, en 1998, l'écologie n'était que pour les militants, voire les baba cools. Le commerce équitable restait très confidentiel. Aujourd'hui, les grandes entreprises prennent conscience de la nécessité de régénérer leur écosystème. Elles se rendent compte qu'elles ne dépendent pas seulement des marchés financiers, mais aussi des milieux agricoles pour proposer des produits de qualité et développer leur business. Nous essayons donc de montrer aux entreprises que l'arbre est le meilleur investissement existant aujourd'hui sur terre. Les entreprises adhèrent à ce projet, car il participe à leur intérêt financier. Par exemple, à l'occasion de la journée internationale des forêts, nous allons inaugurer avec les hôtels Ibis et le groupe Accor une plantation de 500 arbres dans la forêt de Brocéliande. Nous plantons des arbres non seulement en France, mais aussi partout dans le monde.

 Vous travaillez avec des entreprises parfois très éloignées de l'agriculture et des petits paysans.

Tristan Lecomte : C'est vrai. Par exemple, nous travaillons beaucoup avec des grandes marques du secteur de la cosmétique et du luxe, comme Clarence, Chanel, Louis Vuitton, Dior, Bulgari. Qu'il s'agisse des ressources minérales, végétales ou animales, toutes ces marques s'interrogent sur la durabilité de leur approvisionnement. Elles comprennent qu'elles doivent réinvestir l'amont agricole pour ne pas perdre leur fournisseur et fragiliser leur propre modèle économique. Les entreprises, y compris celles dont les métiers sont avant tout liés au marketing, se rendent compte de la nécessité de revenir à ces fondamentaux : comment sont fabriqués les produits ? Dans quel état est l'écosystème ? D'ici 2050, nous serons 9 milliards d'individus sur terre. L'augmentation de la population mondiale va de paire avec la forte dégradation des écosystèmes, de moins en moins productifs. L'effet de ciseaux entre l'offre et la demande est réel. Les entreprises se demandent donc si elles vont pouvoir continuer à terme à fournir un bon produit, ou tout simplement à produire.

 Pour résumer, on peut dire que les arbres sont finalement des agents de la survie des entreprises.

Tristan Lecomte : Exactement. Les arbres sont les garants de la sécurisation à long terme des revenus des entreprises. Ils représentent un investissement exceptionnel !

 Quels sont les bénéfices de l'arbre en milieu urbain ?

Tristan Lecomte : L'arbre se nourrit des excès de nitrate et de phosphate. Il filtre l'eau, l'air et le bois peut aussi séquestrer les métaux lourds. Si bien que l'arbre agit vraiment comme un aspirateur dépolluant, mais aussi comme un régulateur de température, particulièrement en milieu urbain. Quand il fait chaud, l'ombre des arbres réduit les températures au sol. Quand il fait froid, il a au contraire un effet isolant.

 Magazine.info : A vous entendre, les arbres ont finalement beaucoup à apprendre aux hommes.

Tristan Lecomte : Beaucoup, en effet : le silence, l'humilité, la frugalité. Les arbres ne gardent rien pour eux. Ils régénèrent. Ils donnent de l'air et de l'eau purifiés, de l'azote, de l'oxygène, ils absorbent le CO2. Ils sont extrêmement généreux, tournés vers les autres et ne se plaignent jamais. Ils ne demandent rien et donnent tout. D'ailleurs, les arbres sont sacrés dans de nombreuses traditions spirituelles. Je pense à l'Olivier pour les chrétiens, aux arbres chamaniques d'Amazonie, à l'arbre du Bouddha. Les arbres sont au cœur de notre existence. Ils sont de grands amis de l'homme et se situent à son opposé, puisque l'homme, au contraire, ne fait qu'émettre et ne nettoie rien. Plus il y aura d'humains sur terre et plus l'impact de l'homme sur la planète devra être équilibré par la présence d'arbres. Plus on plantera d'arbres, et plus nous serons durablement riches. Il n'y a rien de plus généreux qu'un arbre et aucun placement financier ne peut vous garantir un tel retour sur investissement.

 

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