Troisième jour [3]

abysses

Réveil, jus d'orange, café, voiture, polo.


La routine commence à s'installer, je suis toujours fatigué au réveil mais je fais l'effort de me lever malgré mon nombre d'heures de sommeil incroyablement de main. Dans la voiture, mon beau-frère m'explique que je serais encore de formation et qu'à partir de lundi je serais en autonomie. Au programme : fromagerie, boucherie puis mise en rayon.

Je salue l'équipe rapidement dont Franck, un autre employé du magasin qui va sur la quarantaine. Il ressemble vraiment à l'oncle Fétide de la Famille Adams, c'est un homme assez trapu aux cheveux gris et au dos voûté sans doute à force de travailler en grande surface. Selon mon beau-frère, il était déjà là quand les nouveaux propriétaires du magasin l'ont racheté il y a environ 7 ans.

Je vérifie paresseusement les rayons en mettant des autocollants si besoin en attendant l'arrivée d'Elodie. Nous finissons rapidement puis basculons dans le labo pour commencer la découpe. En cette fin de semaine, c'est l'affolement général en fromagerie et en boucherie. C'est ce qui s'apparente aux rushs que j'ai déjà connu en restauration. Pour expliquer ça aux néophytes, je dirais qu'un grand nombre de clients sera présent en même temps, et de ce fait il faut préparer beaucoup plus de marchandise en autant de temps que d'habitude.

Ce matin, pas question de travailler pendant qu'Elodie me guide, je découpe le fromage, le mets en barquette et lui fais glisser le tout sur le plan de travail pendant qu'elle l'étiquette et va chercher le suivant. Entre le froid et l'agitation, je sors rapidement de ma torpeur matinale et m'active pendant environ deux heures à plein régime. 

La découpe terminée, je passe au nettoyage du labo. Je fais premièrement la plonge en nettoyant les couteaux et divers ustensiles utilisés. C'est assez rapide et peu contraignant, il y a deux ans je nettoyais environ cinquante couverts par service, soit deux fois par jour. Autant dire que ce n'est pas quatre lames qui vont me faire peur. Je nettoie ensuite le plan de travail avec une éponge en projetant tous les résidus de fromage au sol. Pas besoin de les ramasser, de toute façon ce sera balayé et envoyé directement aux égouts quand je m'occuperai du sol. Je fais de même pour la trancheuse, essuie le tout avec du papier essuie-tout puis passe des lingettes désinfectantes partout avant de m'attaquer au sol.

Pour le sol, un tuyau tiré d'une pièce un peu plus loin me permet d'envoyer de l'eau chaude partout, je répands ensuite un produit détergeant et désinfectant sur le sol avant de balayer activement le tout sous l'œil d'Elodie qui me fait signe de terminer en précisant qu'elle s'en va mettre le fromage en rayon puis fumer. Je suppose que c'est une façon pour elle de se reposer sur moi. J'ai l'habitude de ne pas fumer pendant des heures sans que cela ne m'impacte trop quand je suis occupé, je hausse les épaules et continue.

Une fois le sol balayé, je rince abondamment au jet d'eau pour faire partir la mousse dans un trou dans le sol prévu à cet effet, puis utilise une raclette pour y pousser l'eau. Je sors le cahier de traçabilité et y inscris le nettoyage puis me rends en boucherie. Le chef boucher s'appelle Christophe. Il va sur la quarantaine et a l'air d'être un campagnard plus civilisé que les deux que j'ai pu croiser dans l'équipe. Il m'accueille avec le sourire et me demande si je veux un café. 

Elodie est déjà là, elle mange un croissant en remuant son café sur le plan de travail de la boucherie à la vue des clients. Je demande si ce n'est pas interdit de faire ça, mais elle me répond que la personne dont elle a pris le poste faisait déjà ça avant et qu'il n'y a jamais eu de problème. Je retiens la position de la cafetière, du café, du sucre et des gobelets en plastique qui sont soigneusement dissimulés dans divers endroits. Je n'ai rien contre ces gens, mais il est vrai que d'un point de vue hygiénique c'est vraiment limite, j'en informerai le directeur. Et par le directeur, je parle de mon beau-frère.

Je suis autorisé à aller fumer derrière la boucherie en passant par le local poubelles et je suis rejoins par Elodie qui fume une deuxième puis une troisième cigarette avec moi. J'en apprends un peu plus sur elle. Elle a quitté l'école à 18 ans suite à une prise de tête avec ses parents et s'est retrouvée à travailler ici faute d'avoir d'autres diplômes. Elle danse depuis qu'elle sait marcher et c'est d'ailleurs la raison de son congé, elle a un gala à organiser. 

Nous rejoignons la boucherie et suivons les instructions que le chef boucher, nous donne. Premièrement, nous allons faire des barquettes d'ailes de poulets et de saucisses. Le fait de manipuler de la viande en chambre froide est une sensation inconnue. Le sang se dépose sur mes mains et le froid engourdit mes doigts, je n'ai pas vraiment l'habitude d'avoir du sang sur les mains et certainement pas en d'aussi grandes quantités. De plus, si les saucisses sont faites maison, je tiens néanmoins à lever une idée implicitement présente dans la tête de beaucoup de personnes quant aux produits mis sous atmosphère.

Qu'il s'agisse de fromage ou de viande, nous recevons exactement les mêmes produits que vous pourriez acheter ailleurs. Sauf qu'ils sont plus gros. Nous les sortons de leur emballage, les mettons dans une barquette que nous pesons avant de les enrouler d'un film plastique et d'y coller une étiquette qui comprend un prix au kilo plus élevé que celui auquel nous avons acheté la marchandise. Que vous achetiez des ailes de poulet chez le boucher du supermarché ou que vous les preniez directement en rayon ne change rien si ce n'est la marge que le magasin se fait sur le produit.

Je mets en barquette puis sous atmosphère différents produits pendant qu'Elodie entame sa quatrième cigarette dehors avant d'être missionné par le boucher, il me faut aller chercher des tomates cerises et des poivrons de différentes couleurs au rayon fruits et légumes pour confectionner des brochettes. Je m'exécute.

En revenant, je constate que le boucher est en train de découper de la viande qui ressemble à du blanc de poulet, je le vois ensuite passer à du bœuf puis du porc sans changer de couteau ni se laver les mains. Ayant travaillé en restauration un moment, la contamination croisée est quelque chose auquel je fais attention, et l'hygiène également. Je ne dis rien, mais je suis véritablement écœuré. 

Mon premier réflexe avait été de me laver les mains avant d'entamer la mise en barquette, mais il semble que le concept d'hygiène alimentaire soit à géométrie variable dans cette boucherie. Je n'ai pas de tablier ni même de charlotte pour éviter qu'un de mes cheveux ne tombe dans la viande par ailleurs. Je confectionne rapidement les brochettes jusqu'à ce qu'Elodie soit appelée en caisse. Je mets ensuite le tout en barquette puis sous atmosphère avant de déposer toute la came dans le présentoir à l'entrée de la boucherie.

Christophe n'ayant plus besoin de moi, je pars demander à mon beau-frère ce que je dois faire. Je crois être le seul employé à pouvoir rentrer dans le bureau du directeur, s'asseoir sur la chaise en lui envoyant une blague bien grasse à la figure avant d'attraper sa cigarette électronique pour y tirer une grosse taffe et lui souffler la fumée sur la figure histoire de l'emmerder. Il m'indique en rigolant qu'il faut charger du vin et de la bière.

Je me rends dans la réserve afin d'attraper une palette qu'il m'a préalablement indiquée puis de l'emmener au rayon correspondant. Je suis rejoint par Anthony qui m'aide à charger la bière. Il est particulièrement expérimenté en matière de mise en rayon et je m'inspire de sa rapidité et de sa façon de faire pour accélérer. J'aurais mis une bonne demi heure à faire la même chose tout seul, mais nous arrivons à terminer en dix minutes.

Je ramène la palette en réserve puis attrape celle de vins avant de me rendre au rayon vins et d'y être rejoint par le Stagiaire. J'entame la mise en rayon en essayant de lui faire comprendre qu'il n'est pas le bienvenu, mais cet abruti ne remarque rien. Il me raconte sa vie encore plus merdique que ce travail pendant une bonne vingtaine de minutes en faisant mine de chercher ou se situe la bouteille de vin qu'il doit mettre en rayon. J'avais vidé la moitié de la palette qu'il n'avait toujours pas trouvé ou mettre cette dernière. J'aperçois alors Anthony arriver et l'engueuler lourdement avant de lui dire de dégager et d'aller refaire le facing du rayon alcools qu'il a visiblement bâclé dans la matinée. Sauvé.

Anthony me briefe rapidement sur le rayon en m'expliquant comment sont répartis les différents vins. Tous les Bourgogne sont d'un côté, puis ce sont les Côtes du Rhône, les Bordeaux, etc. Il m'explique également que l'on peut les distinguer les uns des autres à la forme de la bouteille. Si cela paraît simple, je n'aurais jamais deviné et j'avoue que cela me fait gagner un temps précieux. Il repart vaquer à ses occupations pendant que je termine la palette et la mets dans la réserve. J'y retrouve Sabrina et Franck qui chargent le carton dans un compresseur.

J'avais omis ce détail au préalable, mais nous recevons la marchandise dans des cartons, vous imaginez que sur une trentaine de palettes chargées cela fait énormément de cartons à stocker. Nous les cassons proprement pour qu'ils prennent le moins de place possible puis les rangeons dans un grand compresseur qui les écrase pour qu'ils soient compacts. Ils sont ensuite ficelés solidement et entreposés dehors pour être évacués ultérieurement. Je les aide à charger le compacteur avant de leur demander l'heure. Il est pile l'heure d'y aller.


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