Troubles

morgan-kepler

    Je sens son souffle. Là, quelque part dans cette pièce. Ici, il se rapproche. Encore plus près. Toujours plus près. Toujours plus vite. Je ne vois rien pourtant. Suis-je encore seul ? L'atmosphère devient lourde est pesante. Il n'y a plus d'air, juste cette sensation étouffante. Les fenêtres perdent leur transparence. Je voudrais hurler, j'ouvre la bouche, aucun son ne sort. Je suis effrayé, complètement paralysé. Je suis incapable de bouger. Une multitude de tourbillons glacés me prend à la gorge. Je suffoque. J'ai froid. Mes poils se hérissent. Des étoiles aveuglantes siègent mon regard. Une odeur trop connue trouble mes sens. Ce n'est hélas pas l'odeur d'une délivrance. Tout ne fait que commencer. Un combat fait pour durer. Je titube, près à tomber, le sol se rapproche, les murs disparaissent, me voilà prisonnier. Un frisson humide parcourt ma peau, lentement, de mon orteil jusqu'à ma colonne vertébrale, il viendra mourir sur mes lèvres. Il tremble. Je tremble. Une ombre me saisit, je n'ai pas su m'enfuir. Il est trop tard. Je tombe, je ne pourrai plus me relever. J'entends des chants au loin. Mélodie fiévreuse dans un jardin baigné de brouillard. Et du sang. Le mien. Ces voix me le rappellent. La distance les déforme. Je ne comprends pas ce qu'elles disent. Essaient-elles de me prévenir ? J'ai besoin d'aide. Tout cela est allé trop vite, je n'ai rien pu faire: Il est entré. Je me retourne brusquement, il a disparu. Non, il m'observe. Je tourne sur moi-même. Où est-il ? Derrière moi. Il s'enfuit. Il se joue de moi. A cet instant mon cagibi devient dédale.

    Je fais quelques pas. Inutile, je suis perdu. Je marche, encore et encore. Il me suit j'en suis sûr. Est-ce bien son pas derrière moi ? Aurai-je la force de me retourner pour en avoir le cœur net ? J'ai peur. Seule amère certitude. On ne peut jurer de rien. Et si j'étais seul en vérité ? Mais quelle vérité ? Peut-être suis-je vraiment seul. Affreusement seul. Cruellement seul. La solitude que je redoute, sa présence que je souffre. Je ne sais pas le pire. Non c'est impossible. Je ne le vois pas mais il est bien ici. Il ne peut en être autrement, tout ça je l'ai déjà vécu. Je le vis chaque nuit. Je vais devoir m'effacer. Si seulement je pouvais m'oublier. SILENCE ! Ma respiration saccadée rythme le tempo de mon pouls endiablé. J'ai besoin de clarté. Lumière. Mais c'est la pénombre qui m'absorbe. Courage, juste un effort, ça ne durera pas longtemps. Où suis-je ? J'ouvre les yeux. Pour sûr je ne suis plus dans ma chambre. Je devais tenir le lit pourtant. Pourquoi ? Je ne sais plus. Un traitement. Quel traitement ? Qu'ai-je fait ? Suis-je malade ? Chut.

    N'avez-vous rien entendu ? Quoi ! Vous riez ? Il n'est plus seul. Ils sont venus avec lui. Je n'aurai pas assez de place pour tous vous accueillir. Ma barque est frêle, je vais chavirer. Les vagues bientôt me submergent et le vent me porte vers une île que je ne veux pas découvrir. Eho ! M'entendez-vous ? Non je vous en prie laissez-moi ! Ce corps est à moi, il n'appartient qu'à moi. Un corps d'enfant ne peut héberger quatre-mille hommes. Mais je ne suis plus un enfant. Je ne sais plus ce que je suis. J'ai ma place ici, j'étais là avant vous. J'ai tué celui qui vivait dans cette caverne. Vous ne pouvez pas en faire autant, vous êtes trop brusques, vous êtes trop violents. Vous êtes trop nombreux. Vous n'êtes pas suffisants. Vous aviez promis de ne jamais revenir. Les médecins m'avaient promis de vous faire partir ! Vingt ans que je me bats contre vous, quand ce n'est pas contre lui, et que je tombe sans cesse. La chute est de plus en plus longue, le réveil de plus en plus douloureux. J'ai déjà vu ce tunnel. Je suis déjà allé dans ce puits, il y a longtemps. Je connais tout ça. Je ne le connais que trop à présent. Je suis las de tout. Si vous saviez comme j'aimerais recouvrer ne serait-ce qu'une maigre liberté. Oui la liberté c'est d'être seul. Mais me voici pris entre quarante bras, plus ou moins c'est cela. Les cœurs brisés m'envient, le solitaire me sourit pour cacher son mépris. Je ne suis jamais seul, pas vraiment. Pourtant cette constante présence m'empoisonne et me voile mon existence d'un acide corrosif. Je ne sais jamais qui va franchir la porte. Lui ? Eux ? A qui le tour ? Et il me disait qu'il m'aimait autrefois pour que je ne crie pas. Je le savais déjà.

   Prenez mon corps je n'en peux plus. Vite ! Je vous l'offre, je vous le jette. Partagez-le, détruisez-le, faites ce qu'il vous importe. Un mal affreux me brule la gorge. Mes membres se contorsionnent, tout n'est plus que distorsion. Jamais on ne sort du labyrinthe. Vivant ou mort, quelle importance ?

     Et si j'étais plus fort ? Et si j'étais moins lâche ? Et si j'étais moins laid, et si j'étais plus sage ? Assumerais-je enfin ces mille visages qui habitent mon miroir ? Je me lèverais face au monde et je crierais ma différence. Ces différences. Et ma haine. Et mon désespoir. Et ma souffrance, et ma rage. Nous unirions nos forces et nous nous élèverions victorieux face à la nuit. Je sortirais de ce cauchemar, je me réveillerais de cette vie. Et l'oiseau blanc s'envolerait enfin. Et l'aigle noir ...

    Plus une nuit je ne me coucherais, la boule au ventre, avec la crainte de disparaître et de céder ma place à un autre. Plus aucun matin je ne courrais dans la salle de bain , à peine éveillé, afin de vérifier si c'était bien toujours moi. Je ne me réveillerais plus chaque nuit pour verrouiller ma porte. Tout ça ne serait que passé. FOUTAISES ! Plus jamais je ne fuirais ceux qui sont aujourd'hui ces affreux étrangers qui me glacent le sang, mais je les nommerais en deçà, mes solides alliés...

    Hélas ! Rien ne se passe comme on le souhaite. Je n'ai pas cette force, je n'ai pas ce courage. Je sursaute lorsque mon ombre esquisse un mouvement, je trésaille lorsque je perçois un murmure. Je fuis. Je fuis et je me décompose.

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