Tu danseras dans ma main (1)

Sarah Clam

1. Et si ...

Yoan 
Il y avait ceux qui s'amusaient bien, les bosseurs, les sociables, les impopulaires. Qui étais-je ? La réponse ne m'intéressait pas plus que ça, porté par les non-événements de ma vie.

Au lycée, les cours ne me passionnaient pas. Je considérais ma famille banale, mes potes justes normaux, mes petites copines, que des gamines.

Me laissant porter par l'ennui, en cours de philosophie, je matais par la fenêtre sans rien y voir de particulier, me balançant légèrement sur les 2 pieds arrières de ma chaise, maîtrisant mon équilibre afin d'éviter soit de racler bruyamment les pieds en métal sur le sol, soit de m'étaler sur le bureau de derrière. Mon stylo swinguait entre les doigts de ma main droite. Le but étant d'aller de plus en plus vite sans l'envoyer valdinguer à l'autre bout de la classe.

Je n'appréciais pas Descartes. Descartes, droit comme un i, carré non émoussé, légèrement arrogant.

Je reposai les pieds de ma chaise au sol afin de suivre le mouvement de la classe se penchant en avant sur les bureaux pour prendre des notes.

C'est ce moment qu'elle choisit. Pas mal choisi, si je peux me permettre. Deux secondes plus tôt, soit je m'étalais par terre, soit je faisais faire du vol plané à mon stylo.

Elle, c'était Laura Sélédin. Laura était... légèrement obsédée. Laura était très intéressée par ma personne, exclusivement. Solitaire, bonne élève, silencieuse, elle me quittait rarement des yeux, peu importait ce que pouvaient en penser les autres. Depuis que nous étions dans la même classe de terminale et surtout en philo où elle se situait toute seule derrière mon bureau, elle m'écrivait des messages qu'elle lançait sur ma table.

Le "ploc" habituel me fit relever la tête de ma prise de notes. Comme d'habitude je n'allais pas lui répondre mais je lisais ses messages et les glissais dans la poche de mon jean. Ce message-ci était aussi concis que les précédents : "Yoan, je suis dingue de toi. Laura."

L'aspect le plus inquiétant, du moins aux yeux des autres, c'était sa manière de me suivre dans les rues de notre petite ville quand elle me croisait, seul ou avec mes potes. Tarée. Mais pas méchante. De mon point de vue en tout cas.

Je voyais que je la fascinais et ce n'était pas désagréable. Après tout je suis un mec et malgré la bizarrerie de ses manières, mon ego était flatté.

"Voyons voir je vais essayer un truc. Histoire de voir sa réaction et puis Descartes est trop rasoir." pensais-je.

Laura 
Mince ! Il sent trop bon. Et la fin du cours approche. Il vient de glisser mon mot dans sa poche. Comme d'hab. De savoir ce bout de papier si proche de lui, entre ses doigts, sous ses yeux, puis rangé si près de sa peau, de son intimité, me procure toujours cette émotion à la fois physique et émotionnelle de pincement et d'euphorie. Même si ne sais pas quoi en penser.

Je ne sais pas ce qu'il pense. Mais est-ce important ? J'ai juste envie de faire ce qui me plaît. Normalement, il aurait dû me dire "merde" depuis longtemps ou sortir avec moi ou faire quelque chose, quoi. Non il reste parfaitement impassible. Il ne m'ignore pas particulièrement mais il agit comme si tout était normal, sans m'éviter, sans me prêter attention. Et pourtant il ne sait pas de quoi je suis capable. Pour lui.

Je suis dingue de lui, de son allure, de ses fringues, de son odeur, de ses yeux...

Soudainement, alors que je suis toujours fixée sur son dos, je le vois se redresser, poser son avant bras sur son dossier de siège et se retourner. Il me fixe de ses yeux bleu foncé, sans sourire, il m'observe, mais sans intention négative, je le sens. Une main s'empare de mes entrailles et les serre, mon cœur remonte et bât dans ma gorge, l'incandescence de la passion envahit tout mon corps.

Il me regarde droit dans les yeux. C'est la première fois. C'est inespéré et magique. Je suis au septième ciel. Je voudrais lui parler, le toucher mais ici, maintenant et pour toujours me semble-t-il, c'est lui qui a la balle dans son camp. De la main droite, je fais lentement glisser mes cheveux vers ma nuque puis ferme à demi les yeux et ouvre un peu la bouche, avant de... oui, de glisser ma langue sur ma lèvre supérieure en le fixant bien droit dans les yeux. Son regard s'est fixé sur ma bouche à présent et je sens la pression augmenter dans mon bas ventre et ma culotte devenir plus chaude.

Nous sommes interrompus par la sonnerie de fin des cours. Yoan se détourne et rassemble ses affaires.

Incroyable, un de mes fantasmes s'est réalisé. Il s'est passé quelque chose. Un truc électrique et clairement sensuel pour moi. Un truc qu'il a déclenché de lui-même. A mon tour de jouer.

Yoan
Les cours venaient de se terminer. Je me dirigeais vers le local à vélo avec mon pote Fab. Il me parlait du match de foot de la veille, tandis que mes yeux restaient fixés sur l'énorme cumulo nimbus qui se détachait sur le ciel au loin, et que je me défiais de pouvoir éviter de marcher sur les joints des dalles au sol sans les regarder. 
Je saluai Fab qui s'éloignait maintenant vers la zone des bus scolaires, puis je m'attelais à détacher l'antivol de mon vélo, quand j'ai remarqué que Laura s'approchait de moi. Personne d'autre n'était là. Elle s'arrêta à un pas de moi, sans me regarder. Qu'est-ce qu'elle me voulait maintenant ? Tout à l'heure, en cours, sa réaction était croustillante, étonnante voire fascinante. Mais je ne voulais rien faire avec elle. Je ne voulais pas sortir avec elle. J'avais déjà une copine et je n'aimais pas les ruptures, trop chiant.

Elle me tendit un bout de papier, sans me regarder. OK, ça, ça allait. C'était gérable, voire distrayant. Je le pris, le dépliai et le lus : "Yoan, mon corps, mon âme t'appartiennent. Je te donne, et toi, tu prends ce que tu veux."

La vache ! On passait au cran supérieur. Je suis un mec et, ouais, c'est le genre de phrase qui pourrait bien sacrément m'exciter. Je lèvai les yeux vers elle, retenant le sourire supérieur qui pointait sur mes lèvres.

Elle me regardait, moins grande que moi. Des cheveux longs châtain foncé, brillants et lisses, de grands yeux gris bleu clair, visage normal entre le rond et l'ovale, je la sentis se soumettre à mon regard, mon test, ma question, et je fis descendre mon regard vers son corps longiligne, sa poitrine inexistante ou presque (j'avais une envie folle de savoir), ses hanches étroites et ses longues jambes gainées dans son jean.

Je remontai les yeux, elle n'avait pas bougé et elle attendait. Je tendis la main vers sa poitrine, l'enveloppant de ma main et pressait légèrement la pointe que je sentis rouler sous mes doigts.

Laura s'enflamma et oui, moi aussi... Satisfait de la réponse, je me détournai et me dirigeai vers l'arrière du hangar à vélo, à l'abri des regards. Au moment de passer derrière, je me retournai et fis un signe à Laura pour qu'elle me suive.

J'avais la trique et je ne pensais pas à grand chose... Pour faire quoi exactement ? Je n'en savais rien ou plutôt je n'en étais pas sûr, agissant sous le coup de mes impulsions.

Tout ce que je savais c'était que ni l'un ni l'autre n'étions prêts à nous arrêter là, et mon impression se confirma quand je la vis me suivre. Ma tête bourdonnait.

Entre la haie et le hangar, nous nous tenions face à face. Sa poitrine se soulèvait rapidement, ses yeux mi-clos. C'était sexy. 
"Enlève ton soutien-gorge." m'entendis-je lui dire. 

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