Tu danseras dans ma main (3)

Sarah Clam

3. L'innommable, L'impensable

Laura 
"Tes mains, sur le mur."dit-il.

J'obtempère. Mon souffle s'accélère, car je suis soulagée qu'il ait si bien compris mes besoins.

Yoan émet un râle et je l'entends déboucler la ceinture de son pantalon. Il souffle et remue. Je pense qu'il se branle. De sa main libre, il pose des doigts tremblants à l'orée de ma culotte et de ma fesse. Délicatement il soulève le tissu et repousse l'obstacle sur le côté. Son souffle devient bruyant. Quelques instants plus tard, je sens le liquide chaud et consistant atterrir sur ma fesse droite et ma cuisse. J'ai les jambes tremblantes, ma culotte est trempée, et mon clitoris me fait presque mal tellement je suis excitée. Néanmoins je me sens assouvie, dans ma frustration, car je sais qu'il a joui de moi.

"La prochaine fois, prévois des mouchoirs en papier. " dit-il en se reboutonnant.

Je me redresse.

"Bouge pas !"

Il fouille dans son sac à dos et en sort un t-shirt. Puis il m'essuie, gentiment. Je me risque à le regarder en me tordant le cou. Il est appliqué et se mord la lèvre inférieure. Nos regards se croisent mais il se détourne rapidement et range le vêtement en boule dans son sac à dos.

"C'est bon." me dit-il.

Il me tourne le dos mais je vois ses oreilles, devenues rosées. C'est vraiment mignon.

Je me rhabille enfin. Même si je me sens frustrée physiquement, je ne souhaite pas que les choses se soient passées de manière différente. Pour la première fois de ma vie, je sens une sens une chaleur intense dans mon cœur. Je me sens heureuse et bien.

Nous échangeons nos numéros de portable, avant que chacun ne reparte chez soi. Je le préviens que, le soir, je ne réponds pas aux appels ou aux textos.

- Pourquoi ?
- Je ne saurais te le dire, je ne suis pas dispo ?!? 
- Quoi ? Je ne comprends pas. Pourquoi ?

Légèrement consterné, Yoan croise les bras, puis me met au défi de ne pas répondre à sa question, son regard bleu fixé sur moi, patient, neutre, et bienveillant.

- Écoute, dis-je, je n'en sais trop rien. Le soir, je suis... Je ne peux pas...

Vérités masquées, vérités oubliées, moi-même je ne sais et ne veux y penser.

Yoan me regarde d'un air curieux puis opine. Nous nous séparons sur la promesse muette de nous retrouver très vite.

*****

Je suis dans ma chambre maintenant.

Je repense à cette journée. Yoan, le gentil garçon de mes rêves. Il m'a intéressé dès le début. J'apprécie son physique attrayant bien sûr, mais encore plus ce qu'il dégage. Distance et amabilité, désintéressement sur fond de bienveillance. Il sourit facilement et est sociable, mais paraît être un peu ailleurs ce qui le rend intéressant.

Dans ma chambre, les minutes s'écoulent lentement ou trop vite. Dans ma tête le vide se fait, ma concentration se limitant aux gestes effectués. Je tente d'ignorer la sensation du danger imminent et évite de penser. La nausée monte mais je sais comment la contrer car déjà ma conscience devient inconsciente tandis que les pires heures de chacune de mes journées passent.

Le pire ne sont pas ces gens qui devraient me protéger mais ignorent mes souffrances, devraient m'aimer mais crachent leur malveillance. Le pire est sur le point de se reproduire.

Car bientôt je l'entends. Il est entré dans la chambre et se penche au-dessus de moi. Chuchotements terrifiants et cruels gloussements. Je me concentre, pour oublier, faire le vide, tout jeter dans la poubelle déjà immonde et putride de l'arrière-cour de mon inconscience et je pars, loin, très loin des grognements, des contacts brutaux tandis que mes entrailles sont ravagées.

Yoan 
Il me paraissait étrange de constater à quel point, en deux épisodes avec Laura, je m'étais habitué à notre relation atypique. Ce moi dominateur et exigeant, je ne l'avais jamais vu, jamais imaginé, mais il était déjà naturellement et complètement intégré à mon mode de pensée. Il avait pris sa place dans ma vie.

Je me perdais dans mes réflexions et repensais en boucle à mon aventure de cette après-midi avec Laura. J'étais encore un peu sous le choc de mon éjaculation sur sa fesse, éjaculation qui, d'ailleurs, n'avait pas tardé... D'y repenser, j'avais un peu honte mais j'avais beau retourner les événements dans ma tête, je savais que rien n'aurait pu se dérouler autrement. Laura était satisfaite, je le voyais, et moi, je ne pouvais pas me voiler la face : je ne regrettais, dans le fond et en toute sincérité, absolument rien.

Hormis toutes les fantaisies physiques que je souhaitais expérimenter avec Laura, il m'apparaissait évident que je voulais également et désormais la connaître.

Pour être tout à fait honnête, Laura m'intriguait plus que jamais. Finie l'indifférence, tout en elle ne m'inspirait que questionnement. Comment en étais-je arrivé à la traiter aussi intimement et de manière aussi peu... correcte ? Pourquoi acceptait-elle mes agissements ? Qu'est-ce qui avait bien pu attirer son attention exclusive sur ma personne ?

Et surtout, pourquoi Laura n'était-elle pas disponible le soir ? Que s'était-il passé dans sa tête lorsque je l'avais questionnée plus tôt dans l'après-midi sur les raisons de son refus de communiquer le soir ?

Ses mots hésitants résonnaient encore dans mon esprit : "Le soir, je suis... Je ne peux pas...". Le regard de Laura, vide, fixait un point tandis qu'elle s'était mise à nier de plus en plus vigoureusement de la tête.

Son comportement étrange m'avait fait comprendre qu'il était inutile d'insister mais avait réveillé ma curiosité.

Pour le lendemain, je décidai de lui envoyer un SMS avant de me coucher.

Laura 
Le matin en sortant dans la rue pour me rendre au lycée, je consulte mon portable. Je l'utilise pour planifier mes tâches scolaires ou autres, pour aller sur Internet ou écouter de la musique.

J'ai un message de Yoan. Je ne reçois jamais de message. "RDV à 12h20 au fond du couloir au 2ème étage."

Je me sens soudainement incroyablement en forme et me dirige gaiement vers le lycée après avoir fait un détour par la boulangerie pour nous acheter des sandwichs pour ce midi, vu qu'on va louper le premier service et qu'avec un peu de chance, nous serons trop occupés pour le deuxième.

*****

La matinée passe rapidement. A la fin du cours, je prends mon temps pour ranger mes affaires, laissant la classe se vider de ses élèves.

Je sors avec les derniers, puis me dirige vers les toilettes, au fond du couloir. Les deux cages d'escalier menant aux étages inférieurs et supérieurs sont situées respectivement au milieu et à l'extrémité sud du couloir.

L'autre extrémité est donc moins fréquentée, hormis pour les toilettes où quelques groupes de filles traînent encore.

A midi vingt, il y a peu de chances que je rencontre quelqu'un. Et effectivement, lorsque je sors il n'y a personne, hormis Yoan, appuyé nonchalamment contre le mur en face.

Ses cheveux mi-longs, attachés partiellement sur sa nuque, retombent sur les côtés de son visage. Les bras croisés, en posture d'attente, il me regarde droit dans les yeux et un demi-sourire flotte sur ses lèvres.


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