Tu danseras dans ma main (6)

Laura

"Maman, j'ai 15 jours de retard."

Blanche, elle me demande simplement :" Sébastien ? " j'acquiesce.

Je peux le voir. Je le vois. Le dégoût. Il plisse son front, rétrécit ses yeux et distord sa bouche. De son tube intestinal, il remonte. Annette se précipite dans les toilettes. Vidant son estomac et ses émotions bileuses. Sa compassion, sa culpabilité, son empathie, sa tristesse, dégueulent dans la cuvette. C'est comme une ultime marque d'amour avant que la chasse d'eau ne l'emporte.

Mes pensées immobiles, j'attends.

Après un long moment, revêtant son costume de chevalier dragon, Annette revient affronter la situation. Je suis la situation.

"Okay. Il faut qu'on analyse nos options. Nous n'aurons pas la même chance cette fois-ci."

Silence. Soupir.

"Je vais me renseigner pour un avortement."

Silence. Elle me fixe. Ses sourcils en croix car il ne reste que la logique froide et la haine.

"Putain, Laura!"

"Comment ça a pu arriver? T'as pris ta pilule ? "

J'aquiesce.

"Et merde. Tu te rends compte des conséquences ? Pour notre famille, pour notre situation professionnelle ?"

"Viens avec moi. Tu restes à la maison jusqu'à nouvel ordre. Tu m'as comprise ? "

"Et donne moi ton portable. "

Nous montons les escaliers. Annette récupère mon portable, mon ordinateur. Je l'entends grommeler. J'essaie de faire le vide, mais quand bien même...
"... Sale... Chienne..." sont les mots qui me parviennent.

Mes cheveux et le scalp tirés. Mes vêtements arrachés. Le jet d'eau sur ma peau, glacé. Rêche l'éponge, âpre ma bouche, glacé de terreur mon cœur.

Annette me monte au grenier. J'y ai déjà un matelas car ce n'est pas la première fois. Pour combien de temps vais-je rester là ? Je m'assoie, enveloppe mes genoux de mes bras, mon visage enfoui sous mes cheveux et je me balance pour calmer mes tremblements nerveux.

*****

J'ai faim. Plus bas, dans la demeure, j'entends le son de voix fortes. Annette, hystérique, Sébastien, détaché, et le silence de Jean.

Yoan
Le samedi, après une grass'mat', je me levai. J'avais passé la soirée à mater les photos de Laura, puis à faire des jeux vidéo, puis, au chaud dans mon lit, à dévorer Laura, entre fantasmes et écran luminescent. J'étais vraiment chaud, mon excitation faisant des loopings dans mon ventre.

Un visage, un œil, une bouche, un grain de beauté, une culotte entre la ficelle et le mouchoir en dentelle rouge et gris foncés.

Je devais la retrouver dans l'après-midi mais au réveil, j'avais eu la mauvaise surprise de voir un message reçu vers 6h du matin. "Je suis malade. Je ne pourrais pas venir. Bien à toi, Laura."

J'étais vraiment frustré, comme un enfant à qui on promet une sortie au zoo, et qui est annulée car il pleut des cordes.

Plutôt de mauvaise humeur, et sans grande motivation, je passais la journée chez moi, traînant mes savates dans les pattes de mes parents, obnubilés par leurs corvées de fin de semaine.

Je devais sortir le soir même et donc je n'avais vraiment pas envie de voir mes potes maintenant. J'étudiais vaguement, et écrivis sans grande application le début d'une dissertation à rendre le lundi.

Je n'avais plus envie de regarder les photos de mon portable. Vaguement écœuré de la vie.

Dimanche. J'avais la gueule de bois. La soirée ne s'était pas bien terminée. J'avais beaucoup bu et j'ai vu une fille longiligne sur la piste de danse. Langoureuse et appétissante, embellie par les vapeurs de l'alcool, j'ai tenté de l'approcher. Son copain m'a mis un pain dans la gueule, mes potes s'y sont mis, on s'est fait virer de la boîte, les filles honteuses et dégoutées de ne pas rester.

Claire m'a sermonné... Quelle conne ! Pire que ma mère. Quand je le lui ai dit, je pensais qu'elle lâcherait l'affaire. Mais non, elle a repris de plus belle sur les beaux effets de l'alcool sur mon savoir-vivre.

Je lui envoie un SMS au réveil. "Cette fois-ci, ce n'est pas l'effet de l'alcool, ne me parle plus jamais comme ça et d'ailleurs ne me parle plus jamais tout court. On s'est bien amusé, mais maintenant c'est nettement moins drôle. Alors ciao." Et j'ai bloqué son contact.

Ouais, OK, pas très cool... J'avais les nuances d'un gamin de 18 ans...

J'ai ignoré les appels de ses copines et de leurs copains, hésitant presque à bloquer tout le monde.

Pas de nouvelles de Laura. J'avais essayé d'appeler une fois, mais au bout d'une sonnerie la communication s'était coupée. Mon texto resta sans réponse.

C'était délicat. On ne s'était rapproché que depuis une semaine. Je ne pouvais pas vraiment insister. Je ne connaissais pas son adresse. Je ne connaissais pas Laura.

Mais Laura était désormais importante pour moi. J'étais parfaitement conscient d'avoir des sentiments amoureux. Les coups de foudre à cet âge vont et viennent et quand le sentiment est réciproque, il faut foncer.

Durant des mois, j'avais ignoré ses avances. Durant des mois, elle m'avait intriguée. Et en l'espace d'une semaine j'avais été ensorcelé. L'expérience physique avait été extrêmement forte, et notre complicité indéniable.

En classe, le lendemain, je fus surpris de ne pas la voir. Toujours sans nouvelle de sa part. J'essayais de l'appeler dans la journée, mais comme pour la fois précédente, j'obtins une seule sonnerie avant la fin de la communication. Étrange. Je réessayais et réessayais et réessayais. Même résultat. Comme si j'appelais au mauvais moment et qu'elle refusait mon appel.

Les jours passèrent. Sans aucune nouvelle.

Le vendredi, je tentais le tout pour le tout et allai voir notre professeur principal. Je souhaitais connaître l'adresse personnelle de Laura avec la bonne excuse de lui apporter ses cours.

Si elle ne voulait plus de moi, c'était OK, mais s'il lui était arrivé quelque chose de plus grave, l'empêchant d'aller à l'école, de répondre au téléphone, d'envoyer un SMS... Merde. Je courrais presque sur le chemin.

Lorsque j'arrivais devant la bâtisse, je fus impressionné. Au moins trois étages. Bâtisse luxueuse et de caractère, bien entretenue. Jardin à l'anglaise. Quartier résidentiel chic.

Je sonnais. Il était environ 5 heures et je pensais ne trouver que Laura à cette heure là. On m'ouvrit et je me retrouvai face à une petite femme, d'âge moyen. Brunette, les cheveux relevés en chignon, habillée chiquement.

- Oui, bonjour ? 
- Bonjour Madame, je suis Yoan, un camarade de classe de Laura. Je suis bien à la bonne adresse ? 
- ... Oui. Que puis-je faire pour vous ? 
- Comme Laura est absente depuis le début de la semaine, je suis venu lui apporter ses cours et si c'est possible lui dire bonjour. 
- C'est très gentil de votre part. Je vais récupérer les documents si vous voulez bien. Néanmoins, il ne vous sera pas possible de voir Laura. Elle vient de s'endormir.

Je lui tendis les chemises contenant les copies de mes prises de notes, puis repris :

- ... Elle va bien ? 
- Cela ira mieux la semaine prochaine. Nous avons été très inquiets à son sujet mais elle va déjà beaucoup mieux. 
- Ah tant mieux. J'avoue que je me suis beaucoup inquiété de mon côté également. Elle ne répond pas au téléphone, ni aux textos que je lui envoie.

Elle ne me répondit pas tout de suite et je pus lire sur son visage la curiosité.

- ... Comme c'est étonnant... Puis-je vous poser une question ? Quelle est votre relation avec ma fille, Yoan ? 
- Euh, nous sommes amis, je suppose. 
- Vous supposez ?

Je me sentais de plus en plus mal à l'aise.

- Oui je suppose. Nous ne nous croisés que quelques fois, et n'avons pas vraiment eu le temps de parler beaucoup. 
- Et pourtant, vous vous dites déjà amis... C'est un bien grand mot pour une relation si courte, et si peu loquace. 
- Oui. Et bien... Je n'ai peut-être pas choisi le bon mot... Nous sommes des connaissances ? 
- ... Mmh ok. Merci en tout cas ! Pour une simple connaissance, tenter de la joindre par téléphone, prendre la peine de vous déplacer jusqu'ici, obtenir son adresse personnelle, je vous en suis sincèrement reconnaissante.

Son sourire, charmant, me fit froid dans le dos. C'était quoi son problème ? Elle reprit : "Je suis désolée si je vous ai semblé inquisitrice. Mais j'ai de bonnes raisons d'agir ainsi. Je ne suis pas sans savoir que Laura est très isolée à l'école. Et autant, en tant que mère, je suis ravie qu'elle se fasse des amis, autant je dois vous prévenir que vous risquez d'être déçu par Laura. Déceptive et fabulatrice, je la décrirais de cette manière et ne peux que vous déconseiller une quelconque relation avec elle. Je préfère être directe, afin de vous éviter de vous faire du mal."

J'étais estomaqué mais instinctivement je répondis : "D'accord, merci de m'avoir prévenu. Je ferai attention ! On ne sait jamais de quoi les gens sont faits, n'est-ce pas ? Sur ce, je vous souhaite une bonne journée, Madame."

Nous étions restés sur le pas de la porte. J'en profitai pour m'éloigner dès que possible, le plus calmement possible, bien que mon cerveau, mes jambes me disaient de piquer un sprint.

Inconscient du drame que j'avais provoqué.