Tu danseras dans ma main (7)

Sarah Clam

7. Babie Blues, Blue Babies

Ils étaient deux petits enfants qui naquirent presque en même temps.

A peine séparés de quelques mois, mettant leur mère aux abois.

Ils étaient deux petits enfants, trop petits pour être indépendants.

La pauvre maman esseulée, par leur cris affamés, fut effrayée.

Elle choisit pour la tranquillité, dedans le placard, de les enfermer.

A faillir de les tuer, par le remord elle fut dévorée.

*****

Laura 
Je suis dans le grenier.

Dans le noir depuis un temps indéterminé, je me perds et m'oublie. J'ai le temps de souffrir de la faim et de la soif, avant que la porte ne s'ouvre, à intervalles irréguliers, pour déposer ou récupérer un verre, une assiette.

Passer quelques heures dans le noir complet n'est pas insurmontable. Y passer des journées complètes est un cauchemar.

Les ténèbres de l'endroit nourrissent la noirceur dans mon cœur. Les mots d'Annette résonnent dans ma tête... Avortement... C'est la seule solution face à cette insupportable situation.

Avoir une partie de Sébastien dans mes entrailles me révulse. Et pourtant, l'acte médical me terrorise, et la pitié me submerge pour cette petite graine de vie.

Mes pensées rayonnent vers Yoan. Seule lumière dans ma nuit, je repense à son sourire chaleureux, ses baisers tendres, sa colère saine, ses caresses sulfureuses, son désir imperieux réconfortant.

Depuis si longtemps il éclaire mes journées. Cette semaine passée avec lui a été éclatante de bonheur pour moi. Je ne sais combien de temps cela durera mais je prendrai tout ce qu'il y a à prendre avant qu'il ne s'éloigne de moi. J'absorberai chaque souvenir en prévision d'un avenir incertain.

Yoan est mon jardin de lumière secret.

Dans cette pièce chaude et aveugle située tout en haut de la maison des horreurs, je me sens au final plutôt bien, car Sébastien ne m'atteint pas.

Au bout de ce qui m'a semblé un étirement sans fin du temps, maman vient me libérer. Me prenant dans ses bras, elle me berce et murmure que tout va s'arranger.

Du cauchemar au rêve éveillé, je ne sais plus très bien quelle est la réalité. Et comme il est doux de se faire cajoler, nourrir, laver puis habiller ! Quand elle décide de s'occuper de moi je ne peux résister. Je me laisse guider afin de ne rien gâcher. Maman m'a pardonnée.

*****

Dans la cuisine, je mange un délicieux repas chaud. Maman m'explique que nous sommes mardi. Demain nous avons rendez-vous pour un entretien psychologique obligatoire pour une IVG. Elle va m'accompagner, me soutenir. Elle me répète qu'elle m'aime et que je dois penser au bien-être de notre famille, ne pas dire de bêtises, ne pas parler de Sébastien. Maman a pensé à tout, m'explique tout.

Mercredi, nous irons à l'hôpital pour que je puisse passer la première étape d'un avortement médicamenteux. La dernière étape sera vendredi et dès lundi je pourrais retourner en cours.

*****

Le reste de la semaine passe calmement, comme dans un cocon, hormis durant les quelques heures de l'avortement lui-même, douloureuses, humiliantes. Mes nuits sont paisibles dans ma chambre. Maman me protège de Sébastien.

Samedi matin, je prends un taxi pour le trajet de l'hôpital à la maison. Tout s'est bien passé. Je suis soulagée et maman le sera aussi.

Je suis dans ma chambre. Maman toque et entre. Elle s'assoit au bord de mon lit :

- Ma chérie, ton camarade de classe Yoan est passé à la maison hier pour t'apporter les copies des cours que tu as manqués. Les voici.

Je saisis les pochettes qu'elle me tend et reste sans voix. Elle me regarde et attend une réponse. Qu'est-ce que je peux dire ? Ce n'était pas prévu.

- Je ne savais pas que tu avais un ami. 
- Ami ? Non, nous ne sommes pas amis. Je n'ai pas d'amis. 
- Pourtant il a ton numéro de téléphone. Il a essayé de te joindre plusieurs fois. 
- Quoi ? Non... Ce n'est pas possible... 
- Comment ça, impossible ?
- ... 
- Tu sais, je sais débloquer un numéro de téléphone... Pas mal joué. C'était malin pour une tentative râtée, se moque-t-elle ouvertement.

Annette sort mon portable de son sac à main, l'allume et lit : "Laura, j'ai appris que tu allais mieux. Ce n'est pas que je n'ai pas confiance dans la médecine (o_o), mais j'ai hâte de te revoir et de confirmer en personne que tu te portes bien 3:). Yoan."

- Alors ?
- ... 
- Tu ne dis rien ? Tu as raison, Laura, de ne rien dire, crache-t-elle. Car tu peux être sûre que je ne suis pas prête de retomber dans le panneau. Comment as-tu pu oser accuser Sébastien ? Sale petite ...

Sa bouche se déforme tandis que les insultes se déversent sur moi comme une averse glacée.

Soudain la porte de ma chambre s'ouvre, coupant court le monologue d'Annette. Sébastien se tient sur le pas de ma porte, son regard fixé sur moi, et sans jeter un seul regard vers Annette, il lance : "Bonjour Laura, j'ai entendu des voix dans ta chambre et je voulais être sûr que tout allait bien."

Puis, sans avoir cligné une seule fois des yeux, un sourire anormal sur les lèvres, il enchaîne : "Tu t'es fait un nouvel ami ?"

- Sors de cette chambre !" Hurle Annette.

Yoan
Samedi, j'ai reçu un message d'un numéro inconnu. C'était Laura. Elle m'expliquait que son portable s'était cassé et qu'elle avait changé de numéro. Ça craint, son portable était un modèle dernier cri.

Et pour ne rien gâcher, Laura me demandait de la rejoindre au parc. Je prenais mon vélo, me hâtant pour la rejoindre.

Je la trouvais assise sur le même banc près de l'abbaye.

- Laura.

Elle leva ses yeux vers moi qui immédiatement s'embuèrent de larmes.

- ... Laura

Saisi d'une intense émotion, je la pris dans mes bras, lui caressant les cheveux.

- Que se passe-t-il Laura ? Raconte-moi...

Laura pleurait, comme à contrecœur. Et les sanglots s'échappèrent de sa poitrine. Les tremblements de son corps, violents.

Je ne savais pas quoi faire car je n'avais jamais vécu quelque chose comme ça. Tout au fond de moi, je pleurais avec elle.

Après un certain temps, Laura se calmait.

- Yoan, peut-on aller dans un coin plus tranquille ?

Laura regardait les alentours. Je la sentais inquiète. Je lui pris la main et l'entraînais vers le passage menant à l'abbaye. Une fois derrière les murailles, nous nous sommes installés sur un muret, nous tenant toujours la main.

- Désolée, me dit-elle. Je suis désolée d'avoir craqué comme ça. Et merci de m'avoir réconfortée. On se connaît à peine et m'imposer comme ça... Je voulais être à toi, et tout te donner, et ne rien prendre. Mais tout se mélange...

- Laura, écoute-moi. Comment dire... Peut-être que nous sommes mal partis... Je suis peut-être un ado opportuniste et un peu obsédé sur les bords, mais je suis là si tu as envie de te confier ou de pleurer. Je suis touché quand tu vas mal. Et je suis fan de ce que tu m'offres mais j'aime aussi donner. OK ?

- OK. Mais j'ai quand même l'impression d'avoir un peu gâché l'excitation des retrouvailles... Dit-elle en souriant timidement.

Je lui souris aussi.

- Tu peux me dire pourquoi tu pleurais ?

Elle soupire et regarde un instant au loin, avant de reposer son regard sur moi.

- S'il y a une personne à qui je pourrais parler ce serait toi et en même temps, ce ne serait pas toi. Je n'ai pas d'amis, pas de soutien. Mais toi, toi Yoan, je t'ai reconnu. Au milieu de tous les autres, je t'ai reconnu.

Après un soupir, elle reprend :

- Je ne veux rien gâcher, Yoan. Ma situation est compliquée, surtout en ce moment. Le moindre faux-pas et je basculerai dans le précipice. Désolée, je ne veux ni t'y entraîner, ni gâcher ce que nous avons commencé.

- Ok je n'ai rien compris à ce qui se passe, et j'avoue que c'est frustrant et inquiétant aussi... mais je respecte ta décision.

Laura incline son corps pour appuyer son flanc et sa tête sur moi. Je sens mon corps réagir.

- Tu sais, à propos d'ados obsédés, me dit-elle, si je pouvais faire l'objet de ton attention... Maintenant.

Je laissais s'échapper un petit rire de contentement.

- De quoi as-tu envie Laura ?

Le changement d'atmosphère, plus électrique, était terriblement excitant, tandis que mes doigts commençaient une caresse langoureuse au creux de sa main. Laura continue :

- Mmh, j'aime quand tu me prends en main, que tu te sers de moi. C'est peut-être contradictoire mais ça me donne l'impression de contrôler ma vie car c'est mon choix de me donner totalement à toi. Réconforte-moi, Yoan. Domine-moi.

- Je ne pensais pas que c'était possible... je bande encore plus fort...

Pendant que mon autre main, passe sur son cuir chevelu avant d'agrippper fermement ses cheveux, tirant légèrement sa tête en arrière, je ne peux m'empêcher de me demander vaguement qui domine réellement.

- A genoux." soufflais-je dans son oreille. 


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