Tu la veux ta claque !?

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Mes genoux touchent les siens. La dame est un peu large. Dans son tailleur de tweed pourpre, elle supporte cet embonpoint de la ménopause dont souffrent la plupart des femmes qui n’ont pas su quitter la mode des tailleurs de tweed pourpre. En par-dessus, elle porte un gilet en molleton rose ancien, certainement de la gamme Décathlon-Femme(c). Elle est un peu engoncée en somme.

Ce qui l’oppresse c’est davantage le tout petit homme qui est assis à sa gauche. Un petit mec tout sec. La cinquantaine rabougrie. Tout perdu dans une trop grande veste en cuir ringarde. Il-ne-cesse-de-parler… Il jacte et il jacte et il caquette… Il n’arrête pas !

Je suis assise dans le RER B, en direction du grand nord francilien, en face de ce couple que je m’amuse à nommer M. et Mme De Jesus. Dehors, nous laissons la cité des Bleuets à son immobilisme et avançons assis en supportant un filet d’air glacial très précisément orienté vers nos nuques.

Le petit M. De Jesus n’en fini pas de s’agacer. Pour réveiller son auditoire, sa brave dame, il ponctue désormais sa diarrhée verbale de coups de coude aussi secs que ses joues. Une mécanique rigolote se met en place : Monsieur renifle et plisse son petit nez crochu tout en portant à son pif le dos mesquin de sa main. Tandis que sa bouche, source intarissable de paroles, fait vriller sa vile moustache brune. Dans un haussement de ton, son coude s’élance vers le ventre de Madame. Dès que celle-ci réceptionne le coup, ses sourcils se haussent et ses yeux montent au ciel. Il faut encore deux ou trois paroles de la part de Monsieur pour finir la chaîne dans le soupir de Madame.

Et c’est ainsi depuis de trop longues minutes, cette danse sordide tourne devant mon attention qui fait mine de rien. Jusqu’à ce que je sente comme un appel.

Je comprends que Madame a comprit que mon attention n’est pas dupe. Nous croisons nos regards. Je fais mine de rien. Mais je comprends en l’espace d’une seconde. Ses yeux, gonflés de fatigue et d’orgueil ravalé, m’ont donné les clefs de cette chorégraphie immonde.

C’est qu’en fait, ces haussement de sourcils et ces soupirs sortis d’une poitrine largement remplie, sont les trop rares expressions de contestation que possède Madame face aux incultes assauts de Monsieur.

C’est qu’en fait, si elle se permettait cela autour de la table au dîner, la baffe voir le croche-pied, depuis longtemps auraient volés.

C’est qu’en fait, en profitant de l’espace public et de la médiocrité de Monsieur, elle cherche le soutien d’une soeur qui semble encore libre. Ou peut-être ne cherche-t-elle plus rien depuis longtemps mais profite d’un semblant d’attention pour offrir son savoir et lancer avec espoir une leçon de vie à une petite.

Elle pourrait l’écrabouiller ! Ce tout petit homme a changé par ses lettres, tout l’être d’une brave dame en grave dame. De son tout petit corps asséché par la cruauté, il a réduit cette voluptueuse femme à l’état d’une panse de brebis gonflée et soupirant ses bourdons.

Et le drame. Et le drame. C’est que toute lucide et compatissante que je sois, je ne peux que napper mes bonnes intentions de cynisme. « Mais ma bonne grave dame, avec beaucoup de courage, je l’admets, tu serais partie de ce carcan depuis longtemps !? Ne cherche plus mon regard, il ne te dirait rien de bon. Tout juste un peu plus de désespoir pour nourrir ton bourdon. »

A ces pensées j’ai quand-même pris plaisir à lancer des regards noirs au tout petit monsieur rachitique et j’ai bien pris garde d’écraser lourdement le gros orteil de son pied gauche, que j’espère souffrant d’un cor aussi sec et dur que son âme – au regard de ses jolies chaussures ringardes – avant de quitter mon siège de transports en commun pour reprendre mon train-train de jeune dame libre simplement oppressée par le poids d’un sac à main.

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