"Tu le tiendras, tu le posséderas, tu le tueras

My Martin

il sera à toi seul, à toi tout entier" 

Cantal. Raulhac, 33 kilomètres à l'est d'Aurillac 

Vendredi 1er septembre 1905, fin d'après-midi. Bois de Biron 
 

Jean-Marie Bladier (dix-sept ans), séminariste depuis un an. En vacances d'été chez sa mère 

Un mètre soixante-deux, cinquante kilogrammes. Frêle, poitrine étroite. Il est voûté, la tête inclinée sur la poitrine, penchée du côté droit. Visage rond, court nez droit, cheveux ras 

Allure de gamin, il passe inaperçu 
 

Jean Raulnay (treize ans) est en forêt. Couper des herbes ou ramasser des branches mortes 
 

Jean-Marie Bladier rejoint Jean Raulnay 

Travail accompli. Jean-Marie propose à Jean d'aller cueillir des noisettes 

Pour atteindre une branche, Jean se hausse sur la pointe des pieds 
 

Jean-Marie se jette sur lui, le renverse à terre. Couteau de poche. Il lui tranche la gorge   

Geste vif et précis. Il lui coupe la tête. « Décollation pratiquée sur le vivant » 
 

Posée près du corps, la tête 
 


 

La victime, Jean Raulnay (1892-1905). Treize ans 

Son acte de naissance est enregistré le 5 mai 1892, par Jean-Pierre Bladier, maire de Raulhac de 1888, jusqu'à son décès, en 1896. Le père de l'assassin Jean-Marie Bladier 
 


 

Après son crime, Jean-Marie se constitue prisonnier 

Il avoue froidement. Aucun remords. Il est incarcéré 
 

Il comparaît devant une assemblée de médecins 

En sa qualité de médecin-expert des tribunaux civils de Lyon, le Professeur Alexandre Lacassagne (1843-1924) dirige l'expertise médico-légale de Jean-Marie 

L'un des principaux fondateurs de la médecine légale et de l'anthropologie criminelle. De 1885 à 1914, Lyon est la capitale de la criminologie française 
 

A la demande des aliénistes Alexandre Lacassagne, André Papillon et Auguste Rousset, Jean-Marie couche par écrit le récit de sa vie, jusqu'à son geste criminel 

Neuf cahiers d'écolier. Style, distant / intime, littéraire 
 

« Ah, me disais-je, à quoi bon lutter contre le destin, tu dois être assassin » 
 

La misère. Coups de la mère. Jalousie 

Le berger viole Jean-Marie 

Plaisir solitaire. Jouir. Infliger la souffrance, le sang fascine 

Se libérer, entrer au séminaire. Tuer 
 

"Tu le tiendras, tu le posséderas, tu le tueras, il sera à toi seul, à toi tout entier" 
 


 

Janvier 1906. Premier rapport d'expertise. Le séminariste est « responsable de ses actes » 

Il comparaîtra devant la cour d'assises de Saint-Flour (Cantal) 
 

Début 1906. Jean-Marie Bladier est envoyé à Lyon     
 

1907. Le Pr Lacassagne et ses collègues rédigent un rapport d'expertise 

Archives d'anthropologie criminelle, de criminologie et de psychologie normale et pathologique 

Les noms propres sont anonymisés. Aurillac / Arlac. Saint-Flour / Lour 

Jean-Marie Bladier / Bruno Reidal 
 

Les experts recommandent l'internement de Jean-Marie Bladier. Ils sont suivis par les instances judiciaires 
 

Asile d'aliénés d'Aurillac. Jean-Marie Bladier est interné à vie 

1918. Il meut à l'asile, à l'âge de trente ans 
 


 

Famille d'agriculteurs du Cantal. Jean-Marie Bladier est né le 12 juin 1888. Septième d'une fratrie de huit enfants 

Jean-Marie, huit ans ; le père, Jean-Pierre Bladier, décède en 1896 

Excellent élève. Jean-Marie envisage la prêtrise. Pendant un an, petit séminaire de Saint-Flour (à 37 km de Raulhac) 
 


 

Progressivement, la France s'industrialise   

Le Cantal, terre d'agriculture. Les travaux des champs sont harassants. Nombreuses fratries. Aider les parents. Souvent alcool, violence 
 

La religion, ciment social 
 

Jean-Marie tue Jean Raulnay, trois mois avant la promulgation de la Loi de séparation des Églises et de l'État (9 décembre 1905). La République ne reconnaît, ne salarie, ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier 1906, seront supprimées des budgets de l'État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l'exercice des cultes 
 

Philippe Artières, historien, né en 1968. Le passage « d'un gouvernement des âmes à celui d'un pouvoir laïc » est redouté localement 
 


 

Le Courrier de Saône-et-Loire, journal politique et judiciaire. « Monstre ». Il tue sans raison aucune, pour le simple plaisir 
 

Le Progrès de Loir-et-Cher, journal républicain. « À quoi sert d'être chrétien, élève de professeurs catholiques des plus habiles, si la prétendue grâce de Dieu est impuissante à prévenir des crimes aussi atroces ? » 
 

8 septembre 1905. La Lanterne, journal anticlérical. « Il n'y a que le séminaire qui puisse former un monstre tel que l'assassin de Jean Raulnay. » « Il faut sans doute un terrain favorable pour que le vice germe et devienne à ce point florissant. » 
 


 

Fin XIXe siècle. Imaginaire « des prêtres assassins et des ecclésiastiques assassinés » 
 

15 avril 1847. Cécile Combettes (15 ans). Son corps est retrouvé le 16 avril 1847 dans le cimetière de Saint-Aubin, contre le mur jouxtant le couvent des Frères des écoles chrétiennes, à Toulouse 

L'enquête met en cause Louis Bonafous, en religion frère Léotade 

Climat anticlérical passionné. L'instruction et le procès sont menés à charge 

Le 4 avril 1848, frère Léotade est condamné aux travaux forcés à perpétuité, pour tentative de viol et meurtre par la cour d'assises de Toulouse. Deux ans et demi plus tard, il meurt au bagne de Toulon, le 27 janvier 1850 

Doutes quant à sa culpabilité 
 

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3 janvier 1857. Paris, église Saint-Étienne-du-Mont (5e). Prêtre de l'archidiocèse de Paris, Jean-Louis Verger (1826-1857) est hostile au dogme de l'Immaculée Conception -la Vierge Marie, exempte du péché originel. L'état dégradé de l'humanité, depuis la désobéissance d'Adam et Ève 

Il crie "A bas la déesse !" Poignarde l'archevêque de Paris, Mgr Marie Dominique Auguste Sibour   1792-1857 

Condamné à mort le 17 janvier 1857. Guillotiné le 30 janvier 1857, à Paris 
 

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27 novembre 1884. La veuve d'un gardien de la paix, Mme Julie Victoire Ballerich, est assommée à coups de bouteille. Égorgée, chez elle (145 boulevard de Grenelle). Quatre hommes. Vol. Deux Francs cinquante 

L'histoire retient le nom de Gamahut (24 ans), guillotiné le 24 avril 1885. Adolphe-Tiburce Gamahut, dit Champion, né en 1861. Moine trappiste défroqué. Lutteur de foire 
 

Air de "Mademoiselle, écoutez-moi donc" (en mineur). Jules Jouy compose une chanson, sur le thème de l'exécution d'Adolphe-Tiburce Gamahut. Gros succès. "L'exécution. Scie capitale" (1885) 
 

... Gamahut, asseyez-vous donc ! 

On voudrait couper votre col de chemise. 

Gamahut, asseyez-vous donc ! 

Faudrait dégager un petit peu votre tronc. 
 

Non, monsieur, je ne m'assiérai pas ! 

Je porte mes cols très hauts par crainte de la bise. 

Non, monsieur, je ne m'assiérai pas ! 

Par crainte du froid, je ne porte pas mes cheveux ras. 
 

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1894. Albert Joseph Pierre Bruneau (1861-1894), prêtre catholique 

Mauvaise réputation -vols, bon client des maisons closes. Il hérite 16 000 Francs d'Agathe Beuchaux, une religieuse de la communauté d'Évron (Mayenne, à 33 km de Laval) 

Vicaire à Entrammes (10 km au sud de Laval). Accusé de malversation 

2 janvier 1894. L'abbé Fricot disparaît. Il est retrouvé mort, le lendemain, au fond du puits du presbytère 

L'abbé Bruneau a poussé le curé dans le puits. A coups de bûches, l'a empêché de remonter 

L'abbé Bruneau nie. L'instruction se déroule dans un climat passionné. L'abbé Bruneau est condamné à mort. Guillotiné le 30 août 1894, place du Palais, à Laval 
 

Paul Bourde   1851-1914  journaliste, dramaturge. Il écrit une pièce de théâtre sur l'affaire. "Nos deux consciences". Pièce en cinq actes, en prose. Un prêtre reçoit en confession les aveux d'un paroissien qui a commis un meurtre. Puis l'assassin accuse le prêtre d'être l'assassin 
 

1994. Jacques Leconte, ancien avocat au barreau de Laval. Il reprend le dossier. Incohérences de l'enquête. Témoignages faits sous couvert de la confession, conservés aux archives diocésaines. Albert Bruneau a probablement été condamné à tort 
 


 

Dimanche 5 janvier 1913. L'Univers, quotidien catholique. Dans les rues de Saint-Mamet-la-Salvetat (à 18 km d'Aurillac), un individu à l'allure suspecte 

Sans chaussures, vêtu du costume des pensionnaires de l'asile. Le gendarme de service l'appréhende 

Jean-Marie Bladier 
 

Fugue de quarante-huit heures. Il erre à travers champs, dort dans un hameau des environs 
 

Jean-Marie Bladier (25 ans) est reconduit à l'asile d'Aurillac

    

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