Tu tiens dix ans de ma vie entre tes mains

My Martin

Je suis un accident

Patrice Alègre. Toulouse, né en 1968        

Roland, le père, est policier. Michèle, la mère, est coiffeuse. Un frère cadet, Nicolas, aussi calme que Patrice est ingérable

"J'étais un accident"

Sa mère lui passe tout. « Un enfant toujours agité ». Son père « ne sait que gueuler et taper »


Le père, CRS, missions. Il couvre les frasques de son fils. Il lui cherche du travail. Il cogne. « Quand on est un homme, on ne pleure pas »

La mère. Alcool, amants


Quartiers des Izards puis des Trois- Cocus, puis à partir de 1977, pavillon à Saint-Geniès- Bellevue (9 km, Nord-Est de Toulouse)


1981. L'adolescent de 13 ans est recueilli par sa grand-mère paternelle, quartier des Izards


Mars 1983. Patrice est placé dans un foyer au Vigan, près de Nîmes (Gard). Fugues. 15 ans. Il rencontre des toxicos. Premier shoot. Il affirme avoir été violé


Un soir de fête de village, à Saint- Geniès-Bellevue, Alègre (16 ans) manque d'étrangler une adolescente de son âge


« Un curieux mélange. A la fois coléreux, méchant, impulsif et très sympathique. Il fallait le connaître, éviter de le contrarier. Quand même, il était craint. »

« Petit caïd ». Drogue, embrouilles, cambriolages, motos, voitures qu'il casse souvent. Il vit la nuit, fréquente le milieu de la prostitution sur les boulevards toulousains. Un travesti affirme l'avoir longtemps compté parmi ses « fidèles »


Été 1988 (20 ans). Il rencontre Cécile, l'amour de sa vie. Elle a du caractère, l'incite à trouver du travail. Le couple s'installe à Saint- Geniès-Bellevue, à deux pas du café. Cécile lui donne une fille en juillet 1989, Anaïs  

Un proche. "Patrice : un type sympa et en même temps, un fou furieux, capable des pires excès, dès qu'il pète un boulon."

"Avec sa compagne, je les ai vus s'accrocher violemment. Je me rappelle d'une dispute où il a jeté le salon dans le jardin et mis le feu."

Cécile le quitte en 1995


Dérive. Alcool, cocaïne, ecstasy  


1997. Nuit toulousaine, videur. Il rencontre Sylvie P, gérante de "Planète Rock", ex "Voie 12". Ensemble huit mois. Il la frappe, elle prend peur. Elle quitte Alègre et part à l'étranger


Séduisant, il use de son charme. Si une femme dit non, il étrangle et viole. « Son refus déclenche ma violence. »

« On ne parle pas quand on se fait étrangler. »

Scènes de crime, scènes d'horreur. Psychopathe  


Février 1997. Émilie Espès, à Toulouse. Après une soirée techno, Émilie sympathise avec Alègre (29 ans). Le soir, Émilie s'endort. Alègre tente de l'étrangler. Viol. Émilie reprend conscience. « J'ai réussi à lui parler. Son regard était terrifiant puis, peu à peu, il est redevenu l'homme avec qui j'avais passé la journée ». Il l'épargne, pleure. « Tu tiens dix ans de ma vie entre tes mains ». Émilie le dénonce à la police, qui alors recherche Alègre


Juillet 1997. Près de sa maison à Verdun, en Ariège, le corps de Mireille Normand est découvert, enterré


Les gendarmes de la section recherches de Toulouse traquent Patrice Alègre. Alègre passe l'été entre l'Espagne, l'Allemagne et la Belgique. Les gendarmes piègent Alègre (29 ans) par un faux rendez-vous. 5 septembre 1997. Il est arrêté à Châtenay-Malabry, près de Paris


La veille, dans le 15e arrondissement de Paris. Isabelle Chicherie, rencontrée pendant l'été, lors de sa fuite en Espagne. Alègre invente le vol de sa voiture pour convaincre Isabelle de l'héberger à Paris. Il l'étrangle, la viole, avant de mettre le feu à l'appartement


Juge d'instruction Serge Lemoine. Alègre est accusé de deux autres meurtres, initialement classés en suicides


Février 1989 (21 ans). Valérie Tariote. Morte, bâillonnée, poignets liés, sous-vêtements déchirés

La mère de Valérie. "Pendant dix ans, on m'a expliqué que ma fille s'était suicidée. Je n'y croyais pas, mais les policiers étaient formels". Une enquête de la Sûreté urbaine, confirmée par la police judiciaire. Lors des constatations, une empreinte est retrouvée sur un verre. Dans le fichier de la police, les empreintes d'Alègre existent. Elles ont été relevées après un vol de voiture

« Nous avons des milliers de fiches et pas d'ordinateur », dit un commissaire


11 février 1997 (29 ans). Martine Matias. Étudiante, elle suit des cours à Toulouse. Elle habite dans le même village que Patrice et sa famille, à Saint-Geniès- Bellevue. Pendant des années, la mère d'Alègre coiffe la mère de Martine


et en Janvier 1990 (22 ans), du meurtre de Laure Martinet


*


Alègre avoue les cinq meurtres et la tentative de meurtre. Depuis ces aveux, il rejette en bloc toutes les nouvelles accusations


Conduites par la cellule Homicides 31, les enquêtes ouvertes pour attribuer à Alègre d'autres crimes n'aboutissent pas. Eté 2008. Classement sans suite


Février 2002. Cour d'assises de la Haute-Garonne, Procès, neuf jours de débat. Me Pierre Alfort, avocat d'Alègre (34 ans)  


1989 à 1997 (8 ans). Cinq meurtres, six viols, une tentative de meurtre


Février 1989. Valérie Tariote, 21 ans, à Toulouse. Collègue de travail au buffet de la gare Matabiau. Un travail obtenu par une cliente de la mère d'Alègre, coiffeuse  


Janvier 1990. Laure Martinet, 19 ans, à Saint-Geniès-Bellevue (Haute-Garonne). Son frère est le meilleur copain de Nicolas, le frère cadet d'Alègre  


11 février 1997. Martine Matias, 29 ans, à Toulouse  


22 février 1997. Seule survivante, Émilie Espès, viol et tentative de meurtre. Émilie Espès dénonce Alègre à la police et permet son arrestation. En 2006, Émilie Espès met fin à ses jours


14 juin 1997. Mireille Normand, 35 ans, à Verdun (Ariège). Alègre rencontre Mireille lors d'un méchoui. Il s'installe chez elle à sa demande, pour réaliser des travaux


 4 septembre 1997. Isabelle Chicherie, 29 ans, à Paris (15e). Meurtre maquillé en suicide


22 février 2002. Alègre est condamné à la prison à perpétuité, assortie d'une peine de sûreté de 22 ans. Il est incarcéré au centre pénitentiaire de Moulins-Yzeure, dans l'Allier


*


Mai 2003. En marge du dossier Alègre, "l'affaire des notables". Deux prostituées accusent Dominique Baudis  1947-2014   l'ancien maire UDF de Toulouse pendant 18 ans (1983-2001), d'avoir été le complice de Patrice Alègre. Viols, pédo-criminalité, meurtres


Emballement médiatico-judiciaire. Sur la foi de témoignages douteux, la rumeur éclabousse policiers, magistrats, plusieurs hommes politiques de la région toulousaine


18 mai 2003. TF1, Journal de 20 Heures. L'invité principal du Journal est François Hollande, alors premier secrétaire du Parti socialiste


"Il se trouve que l'affaire, dite Baudis, justifie que Dominique Baudis lui-même vienne également à ce journal (...) Je lui témoigne mon soutien (...) et je le sens touché, peiné, accablé même"


A l'écran Dominique Baudis, alors président du CSA, transpire à grosses gouttes


"Je n'ai jamais, ni de près ni de loin, fréquenté Patrice Alègre (...) fréquenté les proxénètes, ni participé ou organisé des soirées barbares"


Mathieu Aron, journaliste. "On ne se souvient que d'une seule chose, sa transpiration (...) expression, pour certains, d'une forme de culpabilité"


Durant des mois, gendarmes, juges, journalistes, harcèlent Dominique Baudis. Il prouve qu'au moment des faits, il n'était pas présent à Toulouse. 2005. L'ex-maire de Toulouse est innocenté par la Justice. Il reste profondément meurtri. Il raconte cette terrible épreuve, dans un livre, "Face à la calomnie" (2005)


Dominique Baudis se bat contre la manipulation : une ex-proxénète impliquée dans un crime invente des révélations mensongères, un gendarme les accrédite sans les avoir vérifiées, l'acharnement des acteurs judiciaires et médiatiques, un patron de presse qui règle ses comptes, de faux témoins masqués à la télévision, des témoignages achetés, ...

" La calomnie est un mal séculaire et ordinaire qui atteint beaucoup de gens et c'est aussi, pour, chacun de ceux qu'elle frappe, une tragédie singulière. En racontant celle que je viens de vivre, j'espère provoquer une réflexion salutaire sur les nombreux dérapages et sur les lourdes fautes qui se sont produits. Donner du sens à ce combat m'aide à le livrer. "


*


Patrice Alègre est incarcéré en 1997. La peine de sûreté (22 ans) arrive à son terme en 2019

Début été 2019, Me Pierre Alfort, l'avocat d'Alègre (51 ans) au moment du procès de Février 2002, reçoit une communication téléphonique


« Une femme me dit qu'elle fréquente Patrice Alègre qui se trouve en détention dans la centrale de Moulins, dans l'Allier. Sa peine de sûreté, qui empêche toute remise de peine ou possibilité de liberté conditionnelle, va se terminer en septembre 2019. Cette femme m'explique qu'ils veulent se marier, que Patrice Alègre veut que je m'occupe de sa demande de libération conditionnelle… »

...  « J'ai demandé à réfléchir et après deux jours, j'ai rappelé ma correspondante, une psychologue canadienne et demandé une lettre officielle de Patrice Alègre pour m'occuper de lui. »


Août 2019. Parloir de la centrale de Moulins-Yzeure. Me Alfort est face à son ancien client, après 23 ans de prison


« J'ai retrouvé un homme forcément marqué par son long séjour en détention, avec une barbe blanche »

"Un peu de travail à l'atelier, beaucoup de temps en cellule. Autant que possible, il essaie de suivre des soins psychologiques"


6 septembre 2019. Me Pierre Alfort dépose une demande de remise en liberté conditionnelle -sous surveillance électronique. Alègre en a le droit : la Justice ne l'a pas condamné à la perpétuité réelle sans aménagement possible

Michel Fourniret   1942-2021. Condamné en 2008 à la perpétuité incompressible, pour les meurtres de sept jeunes femmes, commis entre 1987 et 2001. 2018, à nouveau condamné à la perpétuité pour un assassinat crapuleux


Janvier 2021. Expertise psychiatrique (dont un expert de Toulouse)


"Monsieur Alègre présente une personnalité psychopathique avec des antécédents d'alcoolisme, de polytoxicomanie avec une absence d'empathie et de réel sentiment de culpabilité. Sur le plan clinique, le risque à court et moyen terme est la reprise de ses diverses consommations. Le risque de passage à l'acte pourrait être rapidement comparable aux risques qui existaient avant son incarcération. "

"Patrice Alègre a pris conscience de ses actes mais il ne culpabilise pas"


Les médecins considèrent que les soins ne sont pas adaptés pour lui. Avis défavorable

Me Pierre Alfort. "Alègre est incarcéré à vie ? Il n'est pas possible de désespérer à ce point-là de l'être humain. D'anéantir chez lui tout espoir de réinsertion"


Me Pierre Alfort demande une contre-expertise. Deux avis valent mieux qu'un. Le juge de l'application des peines du tribunal judiciaire de Moulins refuse


18 Mars 2021. Patrice Alègre est attentif à la maîtrise des évènements

Lettre à une journaliste de l'hebdomadaire « Marianne ». Elle écrit sur sa relation amoureuse avec Marie ..., Canadienne. Pour se rapprocher du prisonnier, elle a quitté son pays avec ses deux enfants

Lettre à son avocat. Maître Pierre Alfort retire la demande de son client, avant sa transmission au tribunal ; le rapport d'expertise est négatif, elle ne sera pas acceptée

Lorsque les délais le permettront, Alègre (53 ans) déposera une nouvelle demande



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