Un chien à son balcon - 1 -
scribleruss
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- 1- Un chien à son balcon
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Elle s'appelle Henriette Bourdin. Elle est retraitée. Elle n'a ni parents, ni proches, ni amis, ni mari, ni enfant. Son mari, jadis, la quitta. Sa solitude, son ennui constituent le cilice qui la brûle, la consume, lui lacère l'âme.
Pourtant Henriette s'est achetée un animal de compagnie. Un grand chien, un dalmatien blanc avec des taches noires. Il a de la prestance, quand il la regarde, ses grands yeux noirs fixent et impressionnent Henriette.
Assis, quand elle s'approche de lui, sa truffe lui arrive à la hauteur des seins. Des seins. Elle n'en eut jamais qu'un semblant. Deux tétons noirs grotesques chacun sur sa coulée de chair. On devrait dire sa coulée de peau.
Quand il sont venus lui livrer l'animal, elle l'a fait installer sur un coin de son balcon qui donne sur la rue. Dès qu'il a été déballé, calé, Henriette l'a savonné à l'eau chaude et rincé à grande eau. Les voisins du dessous n'ont pas été contents, ça pissait dru sur leur balcon. Mais ça ne pouvait être le chien.
Elle a eu quelque gêne à passer l'éponge entre les cuisses de l'animal pourtant émasculé et l'a lustré vigoureusement avec une peau de chamois. Puis elle a reculé, regardé le chien, elle était heureuse. Elle s'est penchée et a posé ses lèvres sur cette truffe froide et humide.
C'est un beau chien. Tout en plâtre.
Elle avait anticipé et acheté des bassines en plastique, des litières et des sacs de croquettes. Elle les remplit, les change, les vide, les nettoie trois fois par jour, le matin, le midi, le soir. Toutes ses journées depuis cette acquisition subite sont vouées au bien être de monsieur Le Baron, c'est ainsi qu'elle a baptisé le chien.
Selon un protocole mis au point au fil des jours, tôt levée, lavée, en robe de chambre elle paraît sur le balcon, va flatter le museau de Baron, lui donne un baiser au sommet du crâne, le chatouille du bout des doigts sous le cou, dépose à ses pieds la gamelle de croquettes et un bol d'eau. Elle lui souhaite une bonne journée. Elle lui fait :
" N'est-ce pas monsieur le Baron ! " puis le quitte, referme sa porte-fenêtre et prend son petit déjeuner en le regardant.
Dès les beaux jours elle laisse la porte-fenêtre ouverte. Ainsi elle sent une plus grande proximité, une belle complicité avec monsieur le Baron .
Elle prend un thé aux biscottes qu'elle beurre délicatement faisant toujours éclater la première, maîtrisant mieux la seconde. Elle rit. Elle a vu ça à la télé. Elle regarde toujours la rediffusion de la fameuse pièce de théatre " La Cage aux folles " avec Michel Serrault et Jean Poiret. Le coup de la biscotte. Michel Serrault avait le coup et ils savaient faire rire ces gens-là.
De ses gros orbites noirs, son immense langue rose et pendante, le chien voit le thé de sa maîtresse lui dégouliner aux commissures qu'elle s'essuie du revers de sa longue main maigre sans se presser, ça bave, mais qui la voit.
Quand on est seul et seule on se laisse aller on emm ... le peuple oui on l' ... et les dames seules ont aussi le droit d'être vulgaire.. ça leur donne l'impression d'exister un peu ...
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A suivre
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