Un clone au Paradis

E.L. Haven

Mon roman Le Secret du Diable disponible ici : https://www.jetsdencre.fr/le-secret-du-diable-_r_9_i_1648.html

Adam regardait la télévision dans le salon. Il y avait une émission où philosophes, scientifiques, religieux et politiciens débattaient sur le jeune garçon, le premier être humain cloné. Adam avait cinq ans et son existence miraculeuse fut rendue publique deux jours auparavant. La planète entière ne parlait que de lui. Alors que certains disaient qu'il était la plus grande avancée scientifique de l'histoire, d'autres l'accusaient d'être le monstre qui déshumaniserait le monde. Adam n'avait pas l'impression d'être l'un ou l'autre. C'était un petit garçon séquestré dans la résidence secondaire de son créateur. De plus, il souffrait d'une très grave maladie qui le faisait vieillir bien trop vite. Des rides apparaissaient déjà aux coins de ses yeux. Les yeux d'un innocent. Il fut créé en laboratoire et ne vit le soleil que la semaine dernière. Il ne rencontra jamais d'autres enfants et les seules personnes qu'il côtoyait étaient les domestiques qui le servaient comme un petit roi, mais toujours avec méfiance. Sans même mettre encore un mot sur ce qu'il ressentait, il comprit ce qu'était la solitude. Sa grande télévision était constamment allumée, il aimait avoir un bruit de fond, ce qui lui donnait la sensation de ne pas être seul partout où il était. Des photos de lui apparaissaient à l'écran.
« Il est quand même formidable de savoir qu'au XXIème siècle, l'homme qui savait si peu il y a encore 100 ans, a accompli le moyen de donner la vie en dehors du processus naturel de la reproduction sexuée ! »
Adam ne comprit pas cette phrase, mais il savait qu'on parlait de lui et que le scientifique semblait le couvrir d'éloges. Ce scientifique, il le connaissait, c'était Ivan Garopovitch, un grand ami de son créateur.
« Les avantages éventuels des tissus produits à partir de ces cellules souches sont infinis.»
Encore une phrase que le petit garçon ne sut interpréter. Lui, si jeune, était-il si compliqué ? Et puis, l'un s'insurgea :
« Avec le clonage, c'est le sens même de l'humanité et de sa liberté qui est en jeu. Expérimenter des embryons et des fœtus représente un crime contre la dignité des êtres humains. »
Ce à quoi Garopovitch répondit : « La notion de “ dignité humaine ” a toujours été relative. »
Le débat continua, peu importe la chaîne, le jeune clone était sur toutes les lèvres. Il choisit celle-ci parce qu'il y reconnut un visage familier.
« La roue, l'électricité, le préservatif, la pilule, la fécondation in vitro et la péridurale ne sont pas naturels, tous ces moyens qui améliorent notre quotidien, doit-on les interdire ? L'espèce humaine s'est déployée à travers ces artifices. 
-Vous n'allez tout de même pas nous dire qu'on a le droit de jouer à ce point avec les êtres humains, d'instrumentaliser le vivant sans morale ni éthique ? C'est révoltant !
- “ Instrumentaliser le vivant ” signifie détourner le vivant pour arriver à ses fins. Mais l'homme le fait en permanence ! Mettre du pesticide dans son jardin, avaler un antibiotique, contrarier l'ovulation, avorter, tout cela relève bel et bien de l' “ instrumentalisation du vivant ”. Et alors ? 
-Qu'il s'agisse des produits chimiques, de la contraception ou de l'avortement, ce sont des sujets tout aussi controversés que le clonage, tout le monde ne les cautionnent pas, mais le clonage ! Ça va beaucoup trop loin dans l'horreur !
-Supprimons pendant un siècle les antibiotiques et la population mondiale ne manquerait pas de s'estomper rapidement ! Même si cette vérité est dure à accepter, il faut bien reconnaître que la grande majorité des hommes modernes sont des “ animaux malades ” maintenus en vie par le progrès biotechnologique. »
Adam regardait impuissant son procès qui se jouait face à lui.
« Les clones sont déjà parmi nous depuis longtemps, le génome nucléaire et mitochondrial des jumeaux sont absolument semblables. 
-Mais ils n'ont pas été créés en laboratoire !»
Adam se souvint du laboratoire, des hommes en blouses blanches qui passaient des heures à observer son corps nu relié par des fils à des machines étranges. Ils lui faisaient absorber des médicaments. Dès sa naissance, il eut des problèmes à respirer et sa peau se décomposait à certains endroits, alors on lui a cousu du tissu humain, cloné à partir du même embryon. Adam n'avait connu aucun autre aspect possible de la vie, pour lui tout ça était normal, mais dès qu'il fut médiatisé, il comprit qu'il incarnait quelque chose de mal, de dérangeant.
« Le clonage va déstructurer la famille! Qui est son père, sa mère ? A- t-il des frères et sœurs ? »
Adam était le double de son créateur. Ce dernier était vieux, malade et fatigué, mais il persistait à travailler dans son laboratoire, c'était un homme qui voulait apprivoiser l'univers, en connaître tous les secrets, jusqu'à en devenir fou.
« Le modèle familial est déjà décomposé par l'évolution des mœurs, en Occident en tout cas et forcément d'autres pays suivront. Je ne vois pas en quoi le clonage changerait la donne. »
Adam remarqua l'aisance de Garopovitch face à la caméra, comme s'il était né pour ça, mais il avait une aura maléfique. Il incarnait à la perfection son rôle d'avocat du diable. Adam ne l'avait jamais aimé, parce que cet homme malhonnête ne lui montra jamais aucun signe d'affection.
« Le clonage ne prend pas en compte l'intérêt propre de l'enfant !
-Parler au nom de l'intérêt d'un enfant à naître est bien complexe et abstrait. »
C'était hier, qu'Ivan dit à un autre scientifique, devant Adam, qu'il ne sera qu'un phénomène de mode, que les gens se lasseront de lui, qu'il deviendra un rebut comme un nouveau smartphone qui fait l'unanimité un jour et qu'on jette le lendemain. Grâce à Adam l'histoire s'est écrite, c'est tout ce qui compte.
« L'agitation médiatique, à laquelle nous assistons depuis deux jours, démontre que le clonage reproductif est une monstruosité et constitue un véritable crime contre l'humanité.
-Donner la vie n'est pas un crime. Si l'on pense aux risques de maladie et de malformation du clone, on peut alors envisager que toutes les femmes donnant naissance en toute conscience à des individus possédant des déficiences physiques ou mentales commettent des crimes contre l'humanité. »
Adam fut créé par l'orgueil exacerbé de l'homme qui se prit pour Dieu.
« On ne peut pas concevoir une pratique plus irrespectueuse pour l'homme que le clonage. Si on réalise le clone d'un être humain, ce sera par égoïsme, pour qu'il ressemble à son donneur. C'est de l'eugénisme pur. »
Adam vit la haine dans les yeux de ses détracteurs. Qu'avait-il fait pour être pour subir cela ?
« Autoriser la communauté scientifique à pratiquer le clonage humain revient à admettre que le droit de vie ou de mort n'appartient plus à Dieu, mais aux hommes. 
-Vous croyez vraiment à ce que vous dites ? On pourrait avancer le même argument à propos de la guerre qui a lieu en ce moment même, alors que nous blablatons sur l'avancée de la science ! Vous ne croyez pas que la création d'un être humain soit moins terrible que l'assassinat de millions de personnes à travers le monde ?
-Le clonage n'en est pas moins une méthode ignoble, une abomination pour l'homme et de plus, c'est inutile et sans intérêt. Je vous le dis, ce n'est pas parce qu'on a la possibilité de faire quelque chose qu'on doit le faire. Vous produisez pour la science et non pour la vie. »
Adam écoutait ces gens dirent qu'il n'était pas humain, qu'il était un monstre. Tous le montraient du doigt et alors il commença à pleurer. Silvia, l'une des femmes de ménage vint consoler le petit garçon.
« -Tu ne devrais pas écouter ça, ça ne t'apportera rien de bon.
-Pourquoi est-ce qu'ils sont tous méchants avec moi ?
-Parce qu'ils ne te connaissent pas, ils pensent que tu n'es pas un petit garçon comme les autres.
-Est-ce que ce sont des menteurs ?
-Eh bien tu es le premier être humain cloné, on ne peut pas savoir tout de suite la vérité.
-On saura quand la vérité ?
-Peut-être dans les années à venir.
-Est-ce qu'on arrêtera de dire que je ne suis pas humain ?
-Je ne sais pas, mais tu sais il n'y a pas besoin d'être un clone pour se faire insulter par des idiots. On passe tous par là et les célébrités, on peut dire que tu en es une maintenant, sont encore plus exposés à la critique.
-Ils disent que j'ai pas de parents, c'est vrai ?
-Beaucoup d'enfants n'ont pas de parents.
-Ah oui et est-ce que ces enfants ont aussi la même maladie que moi ?
-Les maladies il y en a partout, et pour tout le monde malheureusement, enfants comme adultes. Mais ta maladie est unique en son genre.
-Est-ce que je vais mourir ?
-Tout le monde meurt un jour.
-Oui, mais moi je vais mourir bientôt.
-Un petit garçon comme toi ne devrait pas dire des choses aussi tristes.
-C'est parce que je suis triste.
-Je sais mon petit ange, est-ce que je peux faire quelque chose pour toi ?
-Oui, je veux que tu restes à parler avec moi.
-Ok, je resterais avec toi autant que tu le voudras, mon petit ange.
-C'est quoi un ange ?
-Une créature de lumière avec des ailes qui veillent sur les humains.
-Alors ils sont gentils ?
-Oui bien sûr.
-Mais pourquoi les êtres humains sont méchants alors ?
-Les êtres humains sont entre les anges et les démons, les anges sont gentils, les démons sont méchants et les humains sont au milieu. Les humains sont aussi gentils parfois, toi tu es gentil.
-Oui mais ils disent que je ne suis pas un humain, toi tu dis que je suis un petit ange, c'est pour ça que je suis gentil alors! Mais moi je me trouve pas gentil. Dans la télévision, ils disent qu'ils vont me tuer.
-Tu vois tu ne devrais pas regarder la télévision, ça te rend trop malheureux.
-Mais qu'est-ce que je peux faire d'autres ? Je suis enfermé ici.
-Quand j'étais enfant, j'aurais rêvé d'être enfermée dans une grande maison comme celle-là.
-Et tu aurais fait quoi ?
-Je ne sais pas, c'est vrai qu'on se lasse vite des belles choses. Mais tu peux faire tout ce que tu veux ! Tu peux apprendre à jouer d'un instrument de musique, tu peux chanter, tu peux dessiner…
-Je dessine déjà, mais moi je veux des animaux.
-Je suis sûre que ton père sera d'accord.
-C'est pas mon père.
-Il est comme ton père, il ferait beaucoup pour toi, je lui parlerais de ton envie d'avoir des animaux.
-C'est vrai tu lui demanderas ?
-Oui promis !
-Cool !
-Ça va mieux ?
-Oui. Mais je me pose encore plein de questions.
-Lesquels ?
-Quand je vais mourir, qui c'est qui s'occupera des animaux ?
-Oh mais arrête de parler de mort, arrête d'y penser.
-Je peux pas, j'y pense tout le temps. Et ils vont où les animaux quand ils meurent ?
-Sûrement au paradis des animaux.
-Et moi j'irais au paradis quand je vais mourir ? »
Silvia, prise de court par cette question, ne sut quoi répondre. Elle qui était croyante, qui avait foi en la vie après la mort, elle se demanda si l'enfant avait une chance de survivre à la Géhenne. Elle avait peur du clonage, cette curieuse pratique visant à dupliquer un être humain, mais elle fut prise d'affection pour le petit clone. Elle avait beaucoup de peine à le voir avec autant de chagrin. Ce n'était qu'un enfant, déjà privé de son innocence.
Mais où ira-t-il après la mort, est-ce qu'un être humain créé en laboratoire a une âme ? pensa Silvia. Adam n'a pas l'air de ne pas en posséder une. Il est un clone, mais pas une machine. Il n'est qu'un cobaye pour la science, mais ne sommes-nous pas tous des cobayes ? On apprend en marchant sur les corps d'êtres humains, dont mon petit Adam. Les cobayes c'est moi, c'est vous, ce sont nos parents, nos enfants. On fait semblant de ne pas savoir et on ne veut pas en parler. Aujourd'hui tu prends un médoc et tu es plus mal qu'avant. Des effets secondaires connus sont traités comme s'ils étaient de nouvelles maladies et des médicaments supplémentaires sont prescrits pour traiter les effets secondaires au lieu d'essayer de les prévenir. Avant qu'il soit retiré du marché, il faut d'abord que des vies soient brisées. Ça fait partie du progrès, mais à quel prix ?
Silvia fut interrompu dans sa réflexion, Adam la regardait encore de ses grands yeux humides quand la police arriva au domaine, la garde rapprochée vint trouver le petit garçon et l'un des hommes répondit cyniquement à sa dernière question : « Ni toi, ni moi, ni personne n'ira au paradis ou même en enfer, toutes ces conneries après la mort ça n'existe pas. Que tu sois un humain, un clone, un chat, un insecte, quand t'es mort, t'es mort, c'est tout. Maintenant ça suffit. Les manifestants commencent à arriver, ça va être difficile à gérer ».
Une grande manifestation débuta devant la demeure du créateur d'Adam. Les altercations contre la police commencèrent, mais la supériorité numérique des manifestants ne laissa aucune chance aux forces de l'ordre. Certains manifestants possédaient une puissance de feu bien supérieure à celles de la police. Ils étaient à présent des milliers à la recherche du petit Adam. La traque fut de courte durée.
Adam pleurait en entendant la bataille qui faisait rage dans le manoir. Tout à coup, une poignée de manifestants défoncèrent la porte de sa chambre, le garçonnet, qui s'était caché sous sa couverture, se fit asséner de coups de couteaux. Il cria et sortit de son lit en sang. Etalé sur le sol, les manifestants ne cessèrent de le poignarder dans le ventre, les bras, les jambes, les pieds.
Là, au dernier coup porté sur son crâne, Adam murmura : « Un ange ! Je vois un ange de lumière et il me tend la main ».

Signaler ce texte