Un couteau bien pointu !

le_nuage_de_gaspar

Laboratoire d'écriture - équidignité parent-enfant

Lorsque je pose le pied dans la cuisine, Loïs quitte son activité du moment pour me demander ce que je vais préparer et bien sûr si il peut lui aussi participer.
Ce jour là, je préparais un crumble à la banane et aux myrtilles. Je lui expliquai que j'avais besoin de couper les bananes en rondelle et il s'écria :
– « C'est moi qui coupe les bananes, c'est moi qui coupe les bananes. »
– « Regarde on a besoin de ce couteau là » ajouta t-il en pointant du doigt  le couteau pointu.
Mon petit coeur de maman branché sur le pire de ce qui pourrait arriver n'est jamais rassurée dans ces moments là. Je suis toujours partagée par la peur du pire de qui pourrait se passer et un élan de confiance raisonné sur les capacités moteurs et du développement de mon Loïs.
Le couteau, ça l'intéresse depuis toujours. Déjà petit, il regardait avec attention chaque côté des assiettes et il avait l'air de trouver ça suspect que l'un des côtés de son assiette se trouvait vide de tout objet. Il rectifiait systématiquement le malentendu en pointant du doigt le couteau de son papa ou à défaut le mien, mais la négociation pour mon couteau était plus rude qu'avec son papa.
Son papa lui tendait le couteau et Loïs, à peine âgé de 8 mois, le saisissait avec plaisir, explorait cet outil sous tous ses angles et nous regardait très attentivement. Son papa, regardait Loïs avec sérénité et confiance, il lui indiquait le plus simplement possible le protocole de précaution à suivre et expliquait à Loïs l'utilité de cet outil. De mon côté, je vivais avec plus d'angoisse et une sacrée dose d'inconfort. Cette manipulation me semblait terriblement dangereuse. Le papa de Loïs avait les mots pour me rassurer :
-« Qu'est ce que tu veux qu'il fasse de si terrible avec un couteau à bout rond et aux petites dents toutes arrondies »
Le plus dangereux selon lui était lorsque Loïs était assis sur ses genoux et qu'il manipulait avec intensité le couteau alors que celui-ci se trouvait juste derrière, le couteau lui frôlait le visage. Calmement et parfois aussi avec une pointe de peur, son papa lui expliquait la surprise et la peur de ce geste vif et les conséquences possibles. La manipulation du couteau rond s'est répétée autant de fois que Loïs avait l'élan de l'explorer, il s'en est d'ailleurs longtemps contenté, ce qui avait l'avantage de me rassurer, je pouvais à ce moment là, négocier plus facilement un échange avec un couteau rond lorsqu'il avait saisit le couteau pointu sur la table. Et puis, un jour il porta son intérêt sur le fameux couteau pointu, parce que son nouvel objectif était de trancher efficacement l'aliment en deux et qu'il avait bien compris que le couteau rond n'était pas toujours satisfaisant. D'ailleurs son papa et sa maman ne se privaient pas pour sortir du tiroir un couteau plus adapté lorsque le besoin se présentait.
Son papa toujours confiant et serein a suivit la même procédure d'initiation que pour le couteau rond, un protocole qui impliquait de se préparer en lavant ses mains, en s'installant à bonne hauteur, en installant la planche à découper face à soi, en maintenant le couteau fermement par le manche et en s'assurant de vérifier à chaque action la position de sa seconde main pour s'assurer de sa sécurité.
Sous l'oeil attentif de son papa, Loïs, 3 ans utilisait le couteau le plus pointu de la cuisine. Il était très concentré sur son action. Ses gestes étaient lents et il respectait avec sérieux les étapes élaborées par son papa. Il était prêt à utiliser ce couteau si pointu !
Un jour, il a malencontreusement glissé son doigt sous la lame en voulant retirer une rondelle de carotte agrippée au couteau. Son geste étant lent, la coupure était donc très fine. C'était la première fois qu'il se coupait et ce fut une expérience éprouvante pour lui. Il disait que ça piquait, qu'il avait très mal et était très surpris de voir le sang sur son doigt. Nous avions accompagné cet incident le plus calmement possible, en lui décrivant ce qui s'était passé, puis nous avions soigné la petite coupure et accueilli toutes les émotions que cela susciter en lui. Les jours qui ont suivi, Loïs racontait à qui voulait l'entendre comment il s'était coupé et répétait toutes les mesures à prendre lorsqu'on utilise un couteau très pointu. Je l'ai même surpris une fois expliquer à sa cousine le protocole d'utilisation du couteau pointu transmis par son papa.
Pourtant, mon petit coeur de maman n'est jamais rassuré lorsque Loïs se saisit du couteau pointu. Et je prends le temps avec moi-même de faire la part des choses. D'un côté, la peur qui m'appartient et très saisissante. Cette peur qui me pousse à agir pour satisfaire un besoin de sécurité assoiffé. Et pour satisfaire cette part, je répète le protocole du couteau pointu à Loïs. Et d'autre part, la confiance de ce que je vois, un petit garçon de 3 ans, qui prend toutes les mesures nécessaires lorsqu'il utilise le couteau le plus pointu de la cuisine. Et ce même petit garçon qui éprouve une telle joie en contribuant, avec sa maman, à l'élaboration du crumble 

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