UN CURé MALADROIT

Hervé Lénervé

La prêtrise est un sacerdoce

Extrait du recueil de courtes nouvelles: « HISTOIRES INSOLITES »  (à paraître, peut-être ?) 

 

§ 06

 

UN CURE MALADROIT

 

 

 

Il était jeune, il était beau, il sentait bon l'encens et le sermon indulgent. C'était le nouveau curé d'une petite paroisse rurale. Depuis le peu qu'il exerçait, remplaçant son vieux prédécesseur, usé, fatigué, ayant perdu santé et conviction, mort d'une crise de Foi, le jeune curé faisait l'unanimité parmi ses ouailles, monsieur le jeune curé était parfait. Toujours un mot agréable, une phrase réconfortante, il avait conquis l'affection de tous ses paroissiens, croyants et l'attachement de ceux mécréants. Il faut avouer qu'il était lui-même, charmant, d'une franchise raisonnable, d'une générosité contagieuse, d'une empathie chrétienne comme on aimerait la voir plus souvent répandue chez les hommes d'église. Bref, Monsieur le jeune curé avait l'appui de tous les administrés de la commune.

Le seul défaut, s'il en est, était sa maladresse touchante. Il lui arrivait de laisser tomber l'encensoir et une fois, le calice lui avait échappé des mains. Maintenant, même si cela peut faire désordre lors d'une messe, les chrétiens n'en sont plus à trouver sacrilège une maladresse involontaire et seules quelques vieilles bigotes s'indignaient encore de ces gestes mal coordonnés en se signant à l'endroit, se signant à l'envers et se signant encore, les lèvres pincées et le cœur fermé.

Monsieur le jeune curé était parfait. Les confessions n'étaient plus de l'ordre des réprimandes, des pénitences pour racheter ses pêchés à grand coups d'« Avé Maria » ou de « Notre Père ». Les confessions étaient plus que de l'ordre de la mansuétude charitable, celles qui pardonnent à celui qui se confesse de ses péchés véniels. Les pénitents allaient le cœur léger au confessionnal.

-         Allez, mon enfant ne vous chagrinez pas pour si peu, Dieu en a entendu bien d'autres, n'est-il pas miséricordieux, partez en paix, ma fille, il vous a déjà absoute, j'en suis certain.

-         Dois-je réciter trois «  notre père » mon père ? je la connais bien celle-là.

-         Faite, mon enfant, cela ne peut pas nuire, mais surtout soyez bonne avec votre mère, elle a bien du mérite ces temps-ci. Je passerai vous voir à la ferme cette semaine.

-         Merci monsieur le curé.

-         Ce n'est pas moi qu'il faut remercier, je ne suis que le serviteur du Christ et aussi votre ami… Je l'espère du moins ?

-         Vous l'êtes, mon père.

Voici un extrait anonyme d'une confession, elles étaient toutes du même tonneau, simples, cordiale, décontractées et disons-le, bonne enfant.

Le jeune curé avait également le don de trouver les mots justes pour réconforter le malade au seuil de la mort. Il dédramatisait l'absence de vie.

Aux non croyants, il disait que nous avions tous une expérience de la mort, une fois par vingt-quatre heures, quand notre conscience n'était plus habitée de pensées, dans le sommeil sans rêve nous expérimentions la mort sans la reconnaissance du Ciel.

Aux croyants, il tenait un discours plus orthodoxe, mais toujours très simple, sans recourir aux formules grandiloquentes de la prêtrise.

Monsieur le jeune curé était parfait, un saint disait de lui, certains, maintenant, mais n'exagérons rien, il était quand même très maladroit. Avec deux mains gauches, n'importe qui, si l'on était droitier, aurait été plus habile que lui et ce défaut allait lui couter l'estime de ses paroissiens et l'opprobre de son Eglise.

Un enfant était né et les parents catholiques voulaient le faire baptiser au plus vite, principe de précaution, sait-on jamais. C'était le premier baptême que notre curé novice allait officier et il était tout énervé de cela, un peu anxieux également. Les parents arrivèrent avec le nourrisson vierge d'esprit à la chapelle. Le curé propre comme un sou neuf dans ses habits liturgiques les accueilli chaleureusement avec bonhommie comme à son habitude. Pourtant ceux qui le connaissait bien aurait décelé chez celui-ci de l'inquiétude. Tout ce passa pour le mieux, au début du moins, car quand l'enfant changea de mains, qu'il passa des bras parentaux aux bras séculiers, il y eut un cafouillage et le bébé tomba sur les dalles de pierre de l'église, le malheur qui ne vient jamais seul, voulut qu'il y tomba sur la tête de surcroit. Ce qui mit un terme à sa courte existence vierge de conscience.

A la suite de ce drame, le curé fut rappelé et envoyé servir l'église on ne sait où. La rumeur, qui en fait toujours trop, arriva jusqu'au Vatican.

-         Enfin, je ne comprends pas, comment peut-on noyer un enfant lors de la cérémonie du baptême, il n'y a pas assez d'eau. C'est insensé !

-         Les voies du Seign…

-         Arrêtez à la fin ! Bientôt vous allez me parler de contre-miracle. Je veux des faits tangibles.

-         Je ne sais pas, votre excellence, je n'ai pas d'autres informations sur le sujet.

-         C'est fâcheux.

-         Effectivement, fâcheux… très fâcheux, votre excellence.

 

 

AMEN

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