Un jour de soutenance

evonlise

Le vingt-cinq septembre deux mille quatorze. Quatorze heures.

 

Il est assis.

Sérieux. A angle droit.

Anxieux.  Le ventre noué.

 

Il porte les cheveux mi-longs. Une sorte de carré déstructuré.

Dessous, un visage aux traits un peu tirés et ses lunettes carrées.

 

Il porte des chaussures en cuir couleur marron - les plus jolies de toute la salle ; je me demande s'il le sait.

Et des chaussettes noires à pois blancs, ses préférées – je me demande comment on peut établir une sorte de favoritisme sur cet aspect.

Le souci du détail sans doute.

 

Il porte quatre années d'un travail studieux, à la “minutie exemplaire”.

Il a pris la décision, il y a quatre ans, de s'embarquer dans la voie universitaire.

 

La porte laisse passer le jury. Et puis, toute l'assistance. 

Le mot est bien choisi, l'assistance est là comme un soutien, un appui.

Assistance de personne en voie d'être docteur.  Je crois qu'il a de quoi avoir peur.

 

Les gens prennent place dans cette salle dépourvue de caractère. Un bloc froid aux chaises bien organisées. Le jury et l'étudiant attablés.

Je rêve de velours, de tapisseries, ornements et beaux vêtements.

Ou d'un canapé moelleux qui viendrait rompre ce côté aseptisé.

Je rêve de gens ponctuels aussi. Arriver à l'heure à une soutenance, c'est attendu mais certains visiblement s'en tapent le cul.

 

L'assistance est silencieuse. Le silence épais.

Un silence au carré rompu par les premiers mots de l'homme à la chemise audacieuse, le Président du jury, qui prend la parole dans l'unique but, c'est entendu, de la lui laisser.

 

Commence l'exposé. Vingt-cinq minutes volées à ce vingt-sept septembre pour exposer le travail de quatre années. Un concentré studieux que je ne saurais restituer.

 

Une fois terminé, la parole lui est volée. Tour à tour, les membres du jury vont parler, questionner, s'écouter parler sans se questionner.

 

La première à prendre la parole est sa directrice de thèse.  Une petite chose dénuée de toute féminité à la voix si petite que le moindre bruit vient écraser le discours caressant qu'elle a envers son étudiant. Discours qui fait ses traits s'adoucir, on le voit même sourire.

 

Studieux, il prend des notes.  La bouche un peu pincée. Il acquiesce aux dires de celle qui l'a, tout au long de ces mois, accompagné. Consentant. Pourrait-il en être autrement ?

La danse menée par ses mains, alors qu'il s'explique, se défend, argumente, semble tantôt tenir de la valse, tantôt de la danse contemporaine.  Ses propos d'abord hésitants s'affirment. Sa voix se met à courir alors qu'elle tâtonnait sans bien savoir où aller.

La foulée reste cependant à travailler. Il sera un jour membre de jury, j'en suis sûre.

 

Viennent les interventions des autres membres du jury.

L'un d'entre eux se lance dans un discours véhément - comme si son faciès dur ne suffisait pas à le rendre désagréable - mais sa prestation laisse à désirer : ses critiques sont grossièrement placées, il trébuche au lieu de laisser place à de jolies envolées.

 

Le Professeur Emérite,  en revanche, nous fait la démonstration de son grand âge et de toute son expérience. Le bonhomme, à son entrée par la porte, entrée décrite sommairement plus haut, ne payait pas de mine : homme au dos voûté, prestance a minima, il se révèle à sa prise de parole être un fabuleux orateur. Il place ses critiques habilement, lance ses éloges discrètement,  réveille un public somnolent et puis, nous interpelle, sa maman et moi, sans le savoir, en laissant tomber un “Votre scelleur a patiné un peu. Il y a quelques fautes d'orthographe”. Nous étions pourtant deux.  

 

J'étais si fatiguée à l'époque où j'ai commencé à corriger, cela ne m'excuse en rien mais je me souviens. Sa maman a, en ce jour, les traits tirés, je me demande si elle aussi était fatiguée quand elle corrigeait ; aujourd'hui, elle l'est. Elle s'est d'ailleurs assoupie un bref instant.

 

Et c'est la thèse qui circulait, énorme pavé, qui, en tombant - je ne saurais dire qui l'a faite tomber -, l'a secouée. La thèse choit ; le joli visage de sa maman se remet droit.

Tel un mouvement de balancier, un fil de polichinelle mais il s'agit du lien maternel.

 

Je ne sais plus à quoi la phrase que je vais citer se référait ; cette phrase dit juste : « Tant de choses y mènent dans votre thèse”.

Et je pense à cet hymen thésardien que mon ami vient de perdre.

 

Le voilà proclamé Docteur de l'Université de Strasbourg. 

 

Sa maman, celle qui l'a porté et corrigé, doit être sacrément fière.

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