Un jour j'ai voulu

marinep

Tant qu'on veut, tout va bien.

Un jour j'ai voulu voir ce que ça faisait d'être heureux.

J'avoue que c'était assez ambitieux. J'ai cherché la notice, sur internet, mais, en la matière, plusieurs écoles s'affrontaient : être amoureux, être riche, profiter de la vie au jour le jour, ...Alors j'ai commencé modestement par sauter dans une flaque. Il me semblait que petit, cela m'avait toujours mis en joie. Transgresser l'interdit, se salir les chaussures, sentir l'eau boueuse gicler sur mes mollets, le regard de Maman qui désapprouvait avec tendresse. C'était un délice. Mais là, rien.

J'ai donc visé un peu plus haut et j'ai regardé Paris danser sous mes yeux, du haut de la butte Montmartre. J'ai observé le manège de la vie autour de moi, j'ai tâché de me rendre ivre de ce spectacle jusqu'à l'écœurement. Et ivre je l'étais, d'un bonheur qui ne m'appartenait pas, puisqu'il circulait autour de moi, au rythme des petits talons des dames sur les pavés.

Alors, j'ai laissé tomber ma quête et ma pièce de deux euros dans le chapeau du chanteur des escaliers qui mènent au Sacré-Cœur.


Un jour j'ai voulu voyager.

Je me sentais une âme d'aventurier, je voulais manger des paysages et m'abreuver à la source de cultures nouvelles. Je voulais frotter mon quotidien aux aspérités d'autres contrées. J'ai pris un sac à dos chez Decathlon, un premier prix, parce que je ne savais pas combien de temps me durerait cette nouvelle obsession. J'ai pris un billet d'avion et une fois dedans, j'ai découvert que j'avais peur.Pour l'aventure, on repassera. J'ai débarqué à Madrid, au moment de l'escale et ai rebroussé chemin, en train. Mon sac à dos trône toujours dans mon placard, neuf et arrogant.


Un jour j'ai voulu me mettre à la photo.

Je m'imaginais ouvrir une Galerie à New-York et me gausser de tous ces clichés auxquels j'aurais trouvé des raisons d'être capillotractées en me gavant de petits fours aux oeufs de lompe. Je me disais que photographe à New-York, français de surcroît, c'était aussi le bon plan pour séduire les femmes. Je me voyais faire d'un "clic" deux coups.

Mais mes photos étaient aussi rasoirs et insipides que des courgettes au cuit-vapeur.

Pour New-York, c'était mal barré.


Un jour, j'ai voulu disparaître.

Comme ça, juste pour voir si les gens allaient me regretter. J'ai imaginé leur tristesse (parce que ça me rassurait) et leurs petites piques assassines sur mes travers (parce que j'étais réaliste, tout de même). Ca m'a foutu le bourdon, allez savoir pourquoi.


Un jour j'ai voulu faire la cuisine.

Je me suis dit que si d'autres y arrivaient, alors, pourquoi pas moi ? J'avais déjà pas mal de galons en ouverture de boîtes de conserve à une main, de soulevage d'opercule fraicheur sur les salades toutes prêtes, alors, il me semblait que j'étais fin prêt.

J'ai suivi à la virgule près la recette du pot-au-feu. A la virgule près, vous dis-je. Et pourtant ma casserole s'est rebellée en noircissant de tout son long et mes carottes faisaient une moue toute triste. Elles semblaient me supplier d'en finir. Je les entendais presque me crier dessus du fond de la cocote minute. J'ai reposé ma spatule en bois, jeté mon œuvre peu ragoûtante et ma casserole irrécupérable et j'ai mangé des raviolis. Froids. C'est pas mal non plus, les raviolis, de toute façon.


Un jour, j'ai voulu pleurer.

Je m'étais dit que cela faisait longtemps que je n'avais pas versé ma larmichette, et cela commençait à m'inquiéter quelque peu. M'étais-je déshumanisé au fil des ans ? Alors j'ai regardé des vidéos atroces sur internet, je vous passe les détails. Du sang, des massacres, de la maltraitance animale. Rien.Mes yeux sont restés aussi secs que le désert de Gobi. Et moi aussi misérable qu'un singe de laboratoire avec du rouge à lèvres.


Un jour, j'ai voulu monter un meuble.

Mais c'en est resté là. Une idée. Il git toujours dans mon salon, éparpillé en mille morceaux, le paquet de vis scotché à la surface. Il prend la poussière ce meuble démembré mais je l'aime comme ça. C'est mon repère sur le temps qui passe.


Un jour, j'ai voulu faire un marathon.

Pour une fois, je suis allé au bout de l'idée. J'ai tout bien fait comme il fallait : des entrainements, des étirements, des nutriments, pendant des mois. J'ai pris le départ. Je me souviens comme j'étais fier. J'ai été jusqu'au bout. J'ai franchi la ligne, mon cerveau avait quitté mon corps, je n'étais plus qu'une machine à courir. Mes jambes n'ont pas su s'arrêter tout de suite, j'avais oublié d'envoyer le signal. J'étais content de moi comme jamais. Sauf qu'ils ont merdé aux résultats, ils n'ont jamais trouvé mes chronos. Alors aujourd'hui, personne ne me croit, c'est bien ma veine, tiens.

Un jour j'ai voulu te revoir.

Je ne sais pas trop ce qui m'a pris. J'ai pensé que ce serait drôle. J'ai pensé que ce serait chouette, après tout ce temps. La vérité, c'est que j'ai pensé que ça te ferait plaisir aussi et que peut-être, tous les deux, ...

Mais lorsque tu m'as demandé ce que je te voulais, de ta voix haut perchée qui n'avait pas pris une ride et qui chantait dans mon combiné comme un petit rossignol, je n'ai plus pu parler. A vrai dire, je ne savais plus trop.


Et puis un jour, j'ai plus rien voulu.

Et là, j'ai pleuré.

Enfin.

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