un rendez-vous inattendu
Julien Vdv
C'est aujourd'hui le grand jour ! Cela fait des semaines et des semaines que je la harcèle sur le net pour que l'on se voie, et enfin, elle daigne m'accorder cette faveur. Par elle, je veux dire la fille qui a bouleversé mon cœur et ma vie, Bénédicte alias « EDEN70 ».
Oh, vous ne pouvez pas vous imaginez à quel point je suis content… mais alors vraiment content… Ou plutôt super excité tant j'attendais ce moment avec impatience. J'ai déjà eu la chance de la voir à plusieurs reprises à la web cam, mais bon là, c'est différent.
Je me rappelle le moment où j'ai fait sa connaissance sur un site de rencontre. C'était il y a huit mois de cela… A l'époque (et encore un peu actuellement), je surfais comme un dingue à la recherche d'une âme sœur qui voudrait bien de moi. Oui je sais, c'est pathétique de draguer sur le net, mais que voulez-vous, quand on manque de confiance en soi et que l'on a un physique ingrat, on a vite fait d'avoir recours à ce stratagème. Armé de mon PC super high-tech, de mes testostérones en pleine effervescence et de mon dictionnaire du parfait petit dragueur, je parcourais les sites de rencontres, fin prêt à me trouver une charmante jeune femme qui aimerait, pour débuter, avoir une relation virtuelle avec moi. Je peux vous dire que trouver une femme intéressante sur le net, ce n'est vraiment pas facile. Déjà, il faut que la fille veuille bien vous répondre car, à cause des obsédés du cul et des pervers qui agressent textuellement les femmes pour parler de sexe, la plupart ne correspondent plus avec des mecs qu'elles ne connaissent pas. Et puis, il y aussi les fétichistes de la beauté superficielle qui ne parlent qu'aux beaux mecs aux tablettes de chocolat. Bref, il faut s'armer de patience et de courage pour qu'une femme vous réponde. Et bien souvent, quand une femme vous répond, il faut se montrer méfiant car c'est peut-être un mec qui se fait passer pour une femme (pour le fun ou pour tromper l'ennemi), ou un thon ou une femme d'un certain âge qui cherche juste un coup d'un soir. Affligeant…
J'étais sur le point de me dire que je devrais oublier la drague sur le net, lorsqu'un profil attira mon attention. C'était celui de Bénédicte. Je l'examinai de long en large pour mieux cerner ma « proie »… Euh, mon interlocutrice (ahlala cette manie de comparer la drague à la chasse), afin d'y trouver des sujets de conversations plausibles.
J'aime être original quand je fais la connaissance de quelqu'un et je me souviens encore de la première phrase que j'ai dite à Bénédicte. Vu que son pseudo c'est « EDEN70 », je lui ai écrit un truc du style « salut petit coin de paradis ». Cela n'a pas raté, même pas cinq secondes plus tard, elle me retourna mon bonjour en me gratifiant au passage d'un sourire en émoticône. Je n'étais pas encore sûr à 100% mais, après quelques phrases, j'ai tout de suite su qu'entre elle et moi, ça allait coller. Je ne sais pas vous dire le pourquoi du comment, mais je le sentais au fond de moi… le feeling quoi !
Au fur et à mesure que l'on discutait, j'étais sous le charme de cette jeune institutrice primaire de 27 ans. Je n'avais jamais ressenti ça avec personne d'autre à tel point qu'à la fin de notre conversation, nous nous échangions déjà nos photos (Oh mon dieu qu'elle est jolie) et nos numéros de téléphone. Bon, c'est vrai que nous avons vite sympathisé mais quand l'Amour frappe à votre porte, ce serait bête de perdre son temps, vous ne trouvez pas ?
A partir de cette première conversation, je suis devenu un défoncé de l'amour et ma drogue n'était autre que Bénédicte. Tous les jours, nous bavardions de tout et de rien pendant des heures et des heures via le net ou via le téléphone. C'était quasi impossible pour nous (surtout pour ma part) de se passer de l'autre un jour durant. N'empêche, vous auriez dû me voir la première fois où je l'ai entendu au téléphone. Sa voix était si mélodieuse et envoûtante qu'elle m'a fait atteindre le nirvana sans que je m'en rende compte. Et dire qu'elle m'avait dit qu'elle ne voulait pas me parler de peur que je n'aime pas sa voix …
J'avais envie d'être bien plus que du texte sur un écran d'ordi ou qu'une voix apaisante qui lui disait des choses gentilles à travers un téléphone. Je trouvais cela frustrant de ressentir des sentiments pour une personne que vous ne pouvez pas voir, sentir, toucher,… ou tout simplement voir vivre sous vos yeux. Bénédicte en avait conscience aussi bien sûr, mais elle était réticente à l'idée de se voir en vrai, de peur que la magie de notre rencontre virtuelle n'ait pas la même intensité… Mais j'ai réussi à la convaincre en la rassurant sur nos intentions et nos attentes et, après quasi un an d'échanges virtuels, j'ai enfin obtenu un véritable rendez-vous avec elle.
On a décidé d'un commun accord sur ce que l'on ferait aujourd'hui. Au programme : boire un verre le matin, petit diner en tête à tête le midi, shopping et ciné l'après-midi et, pour finir, repas aux chandelles suivi d'une balade sous le firmament des étoiles. C'est surtout Bénédicte qui a coqueté ce petit emploi du temps car moi, du moment que je passe la journée avec elle, le reste n'a pas d'importance.
On s'est donné rendez-vous à 9h30 du mat' devant la statue de Napoléon Bonaparte en face du Parc communal. Inutile de vous dire que la nuit fut très agitée tellement j'avais hâte d'y être. Je sais que je me répète mais je suis excité comme une puce à l'idée de la voir. Tellement surexcité que je me suis levé à 6h du mat pour être sûr de ne pas arriver en retard au rendez-vous (moi qui d'habitude ai du mal à me lever le matin, il faut le faire !).
Une fois levé, j'avais décidé de me faire beau pour l'occasion (et dieu sait à quel point il y a du boulot). J'ai commencé par prendre une bonne petite douche bien relaxante et bouillante, suivie par un rasage intensif de ma barbe et d'une épilation totale des poils de mon torse et de mes dessous de bras (bah quoi je n'aime pas les poils qui dépassent). Je me suis ensuite attaqué à ma forêt amazonienne du bas … non je déconne, je sais bien que je suis coquet, mais de là me raser les poils pubiens, il y a des limites tout de même… Après le rasage, je me suis badigeonné d'aftershave et d'eau de toilette (pas de la cacaille hein mais du haut de gamme), et ensuite, je me suis revêtu de mes plus beaux habits ; à savoir d'un jean délavé trop cool, d'un t-shirt fun, d'une paire de chaussettes blanches classiques et d'un boxer en stretch (pour une grande liberté de mouvement). Généralement, je mets à peu près 15 – 20 minutes pour me préparer mais, pour cette grande occasion, j'ai mis quasi deux bonnes heures … pire qu'une bonne femme. Mais bon, ce n'est pas tous les jours que l'on a rendez-vous avec la future femme de sa vie, alors ces deux heures passées dans la salle de bain, ça en valait le coup (du moins je l'espère). On verra bien tantôt de toute façon.
Il était plus ou moins 8 heures 30 lorsque je sortis de chez moi. Juste avant de prendre ma voiture pour aller au parc, je décidai d'aller vite faire un petit tour chez Mlle Rose, la charmante fleuriste du patelin dans lequel j'habite (Je vous assure que je n'invente rien, elle s'appelle vraiment comme ça). Pour ne pas faire déshonneur à son nom, je lui commandais un joli petit bouquet de roses rouges, et je vis dans son regard qu'elle se doutait que ça devait être mon tout premier rendez-vous. Faut dire aussi que je tremblais comme pas possible au moment où j'ai pris le bouquet en main, donc pas besoin d'être fort malin pour deviner que ça devait être mon premier rancard. Mmh rancard, quel joli mot ! C'est vrai que cette rencontre avec Bénédicte, c'est plus un rancard qu'un rendez-vous banal qui va nous permettre de savoir si on est fait pour vivre ensemble.
Je retournai près de chez moi et montai enfin à bord de ma petite automobile. Bon, je suis fringué comme un beau jeune homme, j'ai le bouquet de roses, mon haleine – Arghhh – ça peut aller mais pour être sûr, je vais quand même prendre un chewing-gum. C'est bon, je suis prêt à aller la retrouver. Espérons qu'il n'y aura pas trop de circulation. Non pas parce que j'ai peur d'arriver en retard, mais parce que je n'ai pas envie d'arriver énervé sur place (avec ces **** de corniauds de chauffeurs qui roulent, on ne sait jamais). De toute façon le trajet en voiture n'est pas long, 10 à 15 minutes maxi. Tout juste quoi.
Plus j'approchais du lieu de rendez-vous, et plus mon cœur battait la chamade. Je vais finir par faire une crise cardiaque si mon cœur continue à battre ainsi. Faut que je reste calme, aussi détendu qu'un mo…MAIS BORDEL, AVANCE AVEC TA CAISSE… Pff fais chier ce vieux pépé avec sa voiture toute pourrie. En règle générale, je suis d'un naturel calme au volant mais, avec cette pression du rendez-vous, j'ai du mal à garder mon self-control.
8h57 s'affichait à ma montre et ma voiture pointait son nez dans l'avenue du parc. Plus que 500 mètres… 400 mètres… 300 mètres… Mes mains commençaient à être moites (j'avais d'ailleurs du mal à tenir le volant) et ma respiration était beaucoup plus saccadée. Tout d'un coup, je me demandai si Bénédicte allait être là. C'est vrai, si ça se trouve, elle va peut être prendre conscience que je ne suis pas le type qu'il lui faut ou qu'elle n'a pas envie de venir… non je suis sûr qu'elle va venir. Je le sais, car si elle m'avait posé un lapin, elle m'aurait prévenu. Mais non je suis con, poser un lapin, ca se fait sur un coup de tête…enfin je crois… Oh je sais plus trop moi… 100 mètres… 50 mètres… J'y suis presque. Presque instinctivement, mon regard se posa sur la statue de Napoléon Bonaparte. C'est alors que je la vis. Bénédicte était là, m'attendant patiemment dans sa jolie robe d'été. Ses longs cheveux dorés se laissaient bercer tendrement par une douce brise tandis qu'elle scrutait, de son visage angélique, les passants en tentant de me voir. Je ne peux m'empêcher d'être très ému en la voyant ainsi, elle qui, pendant des mois, a coloré mes rêves et enjolivé mes peines. Et puis, après cette vision de rêve que m'offrait inconsciemment Bénédicte, c'est le trou noir. Je n'ai pas compris sur le moment mais apparemment, j'ai trop fait attention à Bénédicte et pas assez à la route. C'est ma faute aussi, je n'ai pas pu détacher mes yeux de ma chère et tendre amie. Si j'y étais parvenu, je suis sûr que je l'aurai vu le camion foncer sur moi à pleine vitesse. Hé oui, la vie nous joue parfois de drôles de tours. Moi qui pensais avoir rendez-vous avec l'amour, c'est en réalité avec la mort que j'avais rendez-vous. Mais vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point je suis content, content d'avoir enfin pu voir celle que j'aimais, celle qui était ma vie future, même si ce moment n'a duré que quelques secondes.