Une Banale Histoire d'Adultère (Chapitre 3/8)
Pauline Doudelet
Ce roman a été écrit durant le NaNoWriMo 2010. C'est une version brute et non corrigée. Si les fautes d'orthographes vous sautent dessus, ne venez pas vous plaindre, il y avait le panneau "Attention Méchantes Fautes" sur la porte !
Chapitre 3
Le soleil resplendissait par la fenêtre du salon. Le clébard avait réussi à s'extraire de dessous son maître et se promenait de la cuisine à la chambre en cherchant un moyen de s'enfuir de cette baraque de fou. Car bien que le père Lustucru eut toujours paru avoir toute sa tête, il n'en était pas moins un taré de première. N'était-il pas là, étalé sur le sol, au lieu de dormir dans son lit comme n'importe quel humain le ferait ? Au lieu de ça, ce barge préférait utiliser cette pauvre bête comme matelas... Et lui interdisait de plus formellement de monter sur ledit lit, alors qu'il ne servait jamais à personne... Vraiment, c'était même pas une vie de chien. Et la pauvre bête tournait en rond espérant trouver une ouverture vers l'extérieur car un besoin fort urgent l'y appelait.
Un frappement brutal retentit contre la porte d'entrée. Le chien se précipita vers celle-ci dans l'espoir que la personne entrerait en ne voyant pas surgir le propriétaire des lieux qui gisait encore dans les bras de Morphée, et par la même occasion, le laisserait sortir, lui, pour qu'il ne se fasse pas engueuler au réveil de son maitre si attentionné (il avait déjà souillé le canapé, le sol de la cuisine et avait laissé au pied de l'escalier une belle empreinte de son précédent repas qui avait macéré trois jours avant de refaire le trajet inverse).
Les aboiements de l'animal ainsi que son énervement contre la porte d'entrée firent reculer le type courageux qui avait pénétré sur les terres du père Lustucru. Tout le monde savait que ce type (le père Lustucru, pas l'inconnu devant la porte) était barge et tirait sur tous les crétins qui osaient s'aventurer sur ces terres, c'est à dire trois pauvres lopins marécageux où il s'obstinait à faire pousser des herbes folles et des orties à défaut d'arriver à les ensemencer correctement. D'ailleurs personne n'avait jamais eu envie d'y mettre les pieds, à part quelques étrangers attirés par les paysages campagnards mais dégoutés par tous ces produits chimiques qui empuantissaient les vastes étendues de blé de ses prolifiques voisins agriculteurs. Le terrain du père Lustucru était connu pour être idéal pour baiser tranquille, tant qu'on prenait soin de venir un jour où le propriétaire était suffisamment bourré pour s'endormir dans une flaque de vomi.
C'était d'ailleurs une idée trompeuse. Les herbes et orties du père Lustucru étaient parmi les plantes les plus polluées de toute la région, car le vaillant pseudo-agriculteur essayait tout de même de tirer de son champ, chaque année, une récolte de blé ou de pommes de terre, ou encore de betteraves (sa dernière lubie puisqu'il avait appris qu'il pouvait devenir riche en les revendant comme carburant... sauf qu'il n'avait pas la moindre idée de comment les transformer, encore moins à qui les refourguer. Ce qui n'était pas grave, puisque comme tout ce qu'il plantait, ça n'avait pas poussé). Et dans le but d'obtenir quelques bénéfices de ses arpents de terre, l'inondait de toutes sortes de pesticides/engrais/phosphates dont la plupart étaient interdit à l'utilisation dans la majorité des pays civilisés. Mais qu'il avait appris à commander à l'étranger, via son ordinateur dernier cri et internet. Ah, non, désolée, le père Lustucru aussi boiteux, vieux, bedonnant, jureur, porté sur la boisson et catholique qu'il fut, n'avait pas le défaut d'être bête et encore moins en retard sur les technologies de ce monde. Il possédait également un Iphone (la première version pas cette bouse d'Iphone 4), un GPS qu'il avait couplé à un système top secret américain qui lui permettait d'avoir également les bases et zones interdites du Global Positionning System, le tout dans son humvee qu'il avait fait tunner avec tous les équipements technologiques derniers cris. Voyez, le père Lustucru, c'était pas si bouseux que ça.
Bouseux par contre était l'étranger qui avait frappé quelques instants plutôt à la porte. Oui, vous l'aviez oublié, n'est-ce pas ? Heureusement que je suis là pour vous rappeler les choses essentielles en ce monde ! Bouseux non pas parce qu'il était issu d'une longue famille de paysans du cru. Pas du tout, mais tout simplement parce qu'il venait du champ dans lequel avait été retrouvé une voiture vraisemblablement volée et qu'il s'y était lui-même embourbé jusqu'à mi-mollets.
Ce mec était un grand gars maigrelet qui portait un vieil imperméable, lequel avait également gouté à la bouillasse, sur un ensemble veste-pantalon de toile gris foncé parfaitement élimé aux genoux, coudes et à toutes les emmanchures. Il avait également, en temps normal, des chaussures en faux-cuir marrons. Elles étaient ce matin toujours marrons, mais avait plus l'aspect d'énormes bottes orthopédiques que de fines chaussures de ville. Ce type, puisque moi, je sais qui c'est, était inspecteur de police. Oui, dans le patelin du père Lustucru et de la mère Michelle, il existait un commissariat de police (enfin un bureau au-dessus de la petite épicerie du père Grojean). C'était à peu près la seule fierté du village : ici, ce n'était pas la campagne car ils n'étaient pas sous la juridiction de la gendarmerie de Chinquien. Non, non, messieurs, dames, ici c'était la ville. Enfin, presque, parce qu'il avait un commissaire (enfin un vieux bougon à la limite de la retraite qui passait son temps au bar du fils Têtenpois) et un inspecteur de police (un type muté ici depuis la ville et qui n'était pas fiable parce que pas du coin... mais la pécaille du coin ne comprendrait jamais qu'un fonctionnaire était nommé à un poste, et ne l'héritait pas de père en fils...)
Intéressant n'est-ce pas, tout ce que je vous dis là. C'est vachement passionnant, bien que dans le coin, on soit plutôt éleveur de porcs... Enfin, des vaches, il y en a toujours partout... Mais bon, je m'attarde à vous décrire tout ça uniquement parce que ça fait du mot, ça fait du chiffre... Je vous ai dit que l'auteure m'avait confié la narration de ce roman. Mais je vous ai pas tout dit. En réalité voilà, exactement ce qu'elle m'a dit :
« Bon, écoute, moi, j'ai toujours tendance à synthétiser, à couper court... Je fais des ellipses, j'évite les descriptions et les digressions inutiles... Bref, quand je veux écrire un roman, j'écris une nouvelle...
- Ben, c'est bien non ? Disons qu'il y a des auteurs qui mettent des années à arriver à couper dans l'inutile...
- Oui, sauf que là, je dois faire un roman de cinquante milles mots, ce n'est pas rien justement.
- Ce n'est pas rien, mais tu y es déjà arrivée.
- Oui, mais en six mois ! Pas en trente jours...
- Trente jours ? Mais t'es folle, pourquoi tu voudrais écrire un roman en trente jours ?
- Non, en fait plutôt vingt... J'ai perdu dix jours à penser à une intrigue mais j'ai encore rien écrit... »
Oui, je sais, c'est complètement stupide et idiot. Ça fait de l'ordre de seize cents soixante sept mots par jour (enfin deux milles cinq cents mots, puisqu'il ne restait que vingt jours...), mais je n'étais pas au bout de mes surprises.
« Et pourquoi tu voudrais faire un truc pareil ? T'as des problèmes avec ton éditeur ? Ou pire, avec les impôts ?
- Non, non, j'ai juste fait un pari débile...
- Un quoi ? Un pari ? Mais si t'étais pas capable de le gagner, pourquoi tu l'as fait ce pari ?
- Ben en fait, je me suis laissée entrainer. Ok, c'était pas très malin, surtout à huit mois de grossesse, j'ai plus vraiment de temps à perdre avec tout ça, mais...
- Mais je vois pas pourquoi tu me dis tout ça... Moi, ça me regarde pas ton truc.
- Justement, j'avais pensé faire appel à toi comme narratrice.
- À moi ? Euh, et pourquoi ?
- Tu adores raconter des histoires, partir à droite à gauche... Tu comprends ? C'est exactement toi qu'il me faut pour obtenir RAPIDEMENT cinquante milles mots. Parce que l'intrigue que j'ai ne va pas faire autant si c'est moi qui la raconte... »
Et voilà comment je me suis faites embringuer la dedans... Du coup, on me demande du chiffre au lieu de faire de la qualité. Voilà pourquoi je vous raconte tous les détails sur la mutation de l'inspecteur Jéricane (mon mari m'avait proposé Derrick, mais il me semble que c'était déjà pris...) dans ce patelin de bouseux dont je n'ai aucune idée du nom, mais on s'en fiche, il est tellement petit qu'il ne figure même pas sur les cartes.
ooo
Kévin avait couru une bonne partie de la nuit. Plus derrière Jeannine que pour fuir ces zombies qu'elle semblait avoir vu. Lui n'avait rien aperçu, mais il lui faisait confiance : sa femme avait fait des études plus poussés que les siennes et si elle affirmait avoir été confrontée à une armée de morts vivants damnés et revenus sur terre pour leur bouffer la cervelle, on pouvait lui faire confiance. Elle connaissait par cœur tous les films de série Z du vidéo club.
Jeannine avait perdu un talon dans sa course, mais refusait obstinément d'abandonner le second. C'était réparable selon elle. Le fait qu'elle n'ait pas pensé à récupérer le premier dans l'ornière à rongeurs où il s'était logé ne lui paraissait pas un obstacle insurmontable. Il avait fallu attendre les premières lueurs de l'aube pour qu'elle accepte de ralentir le pas. Finalement, elle avait céder à Kévin qui la suppliait de faire une pause. Son taux de cholestérol était important, et même si elle n'avait même pas été capable d'être aller plus loin que le bac de français (qu'elle avait raté par ailleurs), Jeannine savait qu'à l'âge de Kévin, un taux de cholestérol élevé et la manière dont il poussait des sifflements inquiétants en courant n'était pas un signe d'excellente santé. Ils finirent par échouer au milieu de nulle part, dans un bois, tous les deux haletants sur une vieille souche déracinée.
Tels deux perroquets appartenant à une race inconnue dans cette région, ils caquettaient des bruits assez étranges ressemblant à des paroles humaines, mais je ne pourrais en être certaine. C'était entrecoupé des respirations sifflantes et de hoquets nerveux, parfois on aurait pu distinguer un claquement de langue ou un sifflement aigu, comme dans les langues de certaines civilisations amazoniennes dont ils semblaient issus dans leurs tenues colorées et étranges. La femelle, celle qui portait l'étrange attribut de son pouvoir en la présence d'un sceptre long d'une quinzaine de centimètres directement attaché à sa sandale et qui lui donnait l'allure noble et déhanchée qui attirait sans doute, culturellement, les mâles de son espèce à la copulation, cette femelle, donc, d'une étrange famille d'oiseaux paraissait l'être dominant du couple. Quant au mâle, il la suivait et acquiesçait à toutes ses déclarations, ce qui prouvait bien ma théorie d'être faible et gominé, euh, pardon dominé, j'ai fais un lapsus. C'est ainsi que vous, lecteurs, découvrîtes les deux spécimens d'une nouvelle race de volatiles colorés, en pleine forêt, assis sur un vieil arbre à moitié rongé par les termites. Et cela à deux jours de l'ouverture de la chasse, vous en avez de la chance !
ooo
La soleil resplendissait toujours chez le vieux Lustucru quand il décida de se relever pour aller faire taire ce fichu clebs qui n'arrêtait pas de hurler toutes dents luisantes et acérées dehors en griffant frénétiquement la porte d'entrée. Des fois, il se disait que ce chien n'était pas net. On lui avait parlé d'une histoire de consanguinité, mais il n'y avait jamais cru. Il faut dire que dans la région, tout était toujours une histoire de consanguinité. Les mariages d'abord : on ne se mariait qu'entre cousins plus ou moins éloignés. C'est pour ça que le fait que l'inspecteur Jéricane tourne autour de la fille du père Grojean (vous vous souvenez, l'épicier du village) n'était pas bien vu. D'abord, il n'était pas son cousin, mais en plus, c'était un étranger. Autant dire qu'il n'avait aucune chance de l'épouser un jour. Pour en revenir à notre histoire de consanguinité, c'était une affaire que l'on prenait très au sérieux dans le coin. C'était pourquoi le père Lustucru était aussi très mal vu, car bien que ces parents fussent issus de la région depuis au moins cinq générations, ils n'avaient aucun lien de parenté proche ou même éloignés. Ce qui rendait le vieux boiteux forcément suspect. Et son chien était du même pédigrée, ce qui expliquait forcément son caractère lunatique.
Bref, le père Lustucru se réveilla presque frais comme un camembert qu'on aurait oublié sur un rebord de fenêtre en plein été (ce qui était à peu près son état habituel quand il était à jeun), et alla ouvrir la porte à son chien, tout en pestant « Putain d'imbécile qui dégobille dans mon entrée » lorsqu'il marcha dans la flaque verdâtre agrémenté d'une multitude de morceaux non-identifiables mais d'un joli assortiment de couleurs. Il aurait bien donné un coup de pied à son clébard pour cet accident gastrique, mais comme il n'était pas sûr de ne pas en être l'auteur lui-même, il se retint. Que voulez-vous, le père Lustucru avait une certaine morale.
Le chien s'enfuit alors à toutes jambes lorsque la porte fut à peine entrouverte, provoquant la chute de l'inspecteur qui essaya d'éviter la morsure ou le coup de griffe dévisageur.
« J'aurai peut-être quand même du lui foutre mon pied au cul à ce con. »
À ces paroles du vieux grincheux, l'inspecteur, son propre cul à terre, hésita entre se relever et continuer comme s'il n'avait rien entendu ou se relever et courir à toutes jambes vers sa voiture (le commissariat ne possédait pas véhicule de service, Jéricane devait se contenter de sa petite Twingo verte de seconde, voire quatrième main). Il hésitait encore quand le père Lustucru le vit.
« Et ben ? Vous faites quoi ici vous ? J'ai rien fait de mal ! »
Jéricane n'osait toujours pas bouger, mais le boiteux semblait déjà l'avoir oublié et regardait le soleil déjà haut dans le ciel.
« Oh putain ! Il est quelle heure ?
- Euh... midi moins le quart, pou... pourquoi ?
- Tain ! J'ai encore raté la messe... »
Puis le vieux laissa le jeune par terre et rentra chez lui en claquant la porte. L'idée de ne pas aller à la messe avait toujours perturbé le vieux Lustucru. Jeune, également cela le troublait, car il avait été élevé par une bonne catholique et avait du apprendre ses prières. Grandi dans l'idée qu'il était un bon catholique et qu'il devait aller à la messe tous les dimanches. Ce qu'il faisait consciencieusement, ou plus tôt, tentait de faire car le samedi soir était la soirée la plus arrosée de la semaine. Ainsi chaque dimanche, il se levait trop tard pour assister à l'office. Ce qui ne l'empêchait pas de se promettre d'y aller la semaine suivante pour offrir un cierge en signe de repentance. Il y pensait à chaque fois. Systématiquement. Au moins un quart de seconde, avant de passer à autre chose.
Il y a quelque chose qui me tarabuste en fait. Je dois vous en faire part. Vous voyez, j'ai l'impression que vous êtes en train de vous dire, cette narratrice, là, elle se fiche un peu de nous. Elle nous raconte une histoire sans queue ni tête à propos d'un vieux con et de son chien... mais ça fait déjà des plombes et disons-le, il n'y a rien ! Aucune action, aucun rebondissement. Il s'est juste levé et est allé ouvrir la porte... C'est pas très folichon. Je sais. Mais voilà, je fais ce que je peux.
L'auteure m'a dit : « Voilà, l'histoire c'est... une femme qui aime son mari et qui le trompe. »
Et je lui ai répondu : « Et ? »
Et elle a répliqué : « Et c'est tout. »
Alors, j'ai interjecté : « C'est tout ? Mais comment tu veux que je narre une histoire pareille en cinquante mille mots ? »
Mais, elle m'a scotché : « Ben, c'est pour ça que j'ai besoin de toi ! Moi, si je raconte ça, j'aurai à peine dix milles mots, alors que toi... »
Donc, j'ai objecté : « Sympa, je suis une piplette c'est ça ! »
Pour finir, elle a conclu : « Non ! Mais c'est juste que j'ai besoin de toi, alors je te refile le bébé. Tu n'a qu'à te débrouiller avec ! »
Bref, voilà, je me retrouve avec une histoire aussi fine et inconsistante que l'intrigue de n'importe quel soap américain... Mais ça ne les empêchent pas d'en faire des litres de soupe... (OUI JE SAIS ! soap c'est pas de la soupe... mais je m'en tape ! Si j'avais dit « ça ne les empêchent pas d'en faire des tonnes de bulles, ça aurait quand même paru bizarre, vous ne trouvez pas ? )
Ah, et puis, oui, me voyant complètement désemparée par sa requête, l'auteure a quand même ajouté : « Oh et puis, je te laisse libre d'ajouter une histoire secondaire ou deux... »
Alors, j'ai demandé : « Quelles genres, tes intrigues secondaires ? »
Donc, elle m'a répondu : « Comme tu veux ! L'histoire d'une souris verte ou de la mère Michelle... Ce que tu veux ! »
Et elle est partie. Me planta là, comme ça ! Alors, oui, je suis désolée, l'histoire est un peu pauvre en action... Ce n'est pas de ma faute, c'est celle de l'auteure. Maintenant vous saurez à qui vous plaindre.
Mais revenons-en à nos deux oiseaux. Pas les fascinants spécimens précédemment observés dans leur milieu naturel, non, ceux qui viennent de nous faire digresser vers la désolante vacuité de ce roman. Bref, suivons donc le père Lustucru qui, après avoir refermé sa porte, se dirigeait à nouveau vers son salon, re-pester contre « L'ignoble clebs de débile » qui avait dégobillé devant l'escalier, puis entrait dans la cuisine afin de se préparer un copieux petit déjeuner.
L'inspecteur lui, se relevant en essuyant la poussière de son imperméable, et se mettant à l'occasion d'un beau « Merde ! » plein de boue sur les mains, hésitait encore entre frapper à nouveau ou entrer directement. Il tenta un mix des deux, tout de même, il était inspecteur de police, il se devait d'avoir du courage, non de Dieu ! (oui, l'inspecteur Jéricane, LUI était un blasphémateur) et frappa en même temps qu'il ouvrit la porte. N'obtenant pas de réponse de l'occupant des lieux, il se racla bruyamment la gorge puis lança de sa noble voix ferme et sûre de dépositaire de l'autorité un « Monsieur Lustucru ? » hésitant et faiblard. Finalement il pensa à voix haute « Bon Sang de Bordel de Mère de Dieu, Alphonse, t'es un type courageux, non ? Qu'est-ce que t'as à craindre de ce vieil emmerdeur ? Et en plus son dangereux chien d'attaque est dehors, t'as rien à craindre... »
Oui car en plus d'être un sacré blasphémateur, l'inspecteur Jéricane s'appelait Alphonse. Autant vous dire qu'il n'y allait pas de main morte sur les défauts celui-là.
Mais il fut interrompu par le père Lustucru qui lui lança un « Qu'est-ce tu fous encore là toi ? » quand Alphonse Jéricane entra dans la cuisine.
« Bonjour, monsieur... J'aimerai que vous me renseignez sur quelques points, si vous le pouvez, bien sûr...
- Tu veux quoi ?
- Vous savez qu'il y a une voiture planté dans votre champ ? Connaissez-vous le propriétaire du véhicule ?
- Y'a une voiture dans mon champ ? C'est la meilleure celle-là ! »
Je me dois de vous préciser une petite chose, c'est que j'ignore totalement si le père Lustucru jouait la comédie ou non. Peut-être souhaitait-il éviter de parler de sa petite visite nocturne chez la mère Michelle. Peut-être avait-il réellement oublié cette soirée et la scène qu'il avait surprise dans le champ. Je n'en sais rien. Toujours est-il que ce matin-là, il répondit à l'inspecteur sur un ton bougon mais totalement sincère qu'il ignorait tout ce qui concernait ce véhicule. Et cela à son importance vous savez, parce que s'il avait parlé de sa virée dans la baraque briquée de l'autre côté du champ, s'il avait évoqué les deux copulateurs qu'il avait surpris, s'il avait évoqué tout ce qui s'était réellement passé le samedi soir, c'est à dire la veille de ce beau matin ensoleillé du dimanche, et bien rien de tout ce qui allait survenir par la suite ne serait arrivé.
Ça s'appelle un moment clé dans un récit. La plupart du temps, ça se justifie par l'esprit tordu d'un personnage machiavélique ou par le remord causé à un être sans scrupule ou encore le fait qu'un des acteurs de l'action cherche à dissimuler un méfait. Mais là, je suis honnête avec vous, chers lecteurs, le père Lustucru n'a d'autre arrière pensée que le fait qu'il ne peut pas me faire faux bon à ce moment de mon récit. Oui, c'est une faveur qu'il me doit ! Moi qui ait lâchement été poussée dans la fosse aux lions par l'auteure, soumise à son diktat et son pari stupide, je demande la même chose à mes personnages : de jouer le jeu jusqu'au bout, sinon, je crois ne jamais retrouver d'emploi en tant que narratrice quelque part ailleurs. Si je ne satisfais pas les caprices stupides d'une auteure frustrée sexuellement, enceinte énorme comme un éléphant susceptible, et totalement incapable d'aligner plus de trois phrases sans faire appel à un narrateur professionnel mais sous-payé... Bref, si je ne satisfais pas à ses désirs, Madame risque de ne pas me faire de lettre de recommandation auprès d'autres auteurs, plus prestigieux, avec lesquels j'envisage un jour de travailler ! Du coup, je suis obligée de m'y coller.
« Y'a un putain d'imbécile qui a planté sa voiture dans mon champ ! »
L'évidence une fois constatée de visu, le père Lustucru commença à pester contre le « Sale merdeux couvert de boue » qui lui avait causé tant de dégâts dans son marécage nauséabond et inculte.
« Et la nuit dernière, vous êtes sûr de n'avoir rien entendu ? Rien vu ?
- Mais puisque je te dis que je dormais ! Putain, t'es sourd ! Je sais même pas d'où elle sort cette bagnole de clown !
- Il semble pourtant y avoir eu des traces de lutte...
- T'es vraiment un con. J'espère que tu vas me retrouver le petit connard qui m'a bousillé ma récolte de betteraves que je lui mette mon pied au cul pour l'envoyer sur la lune avant de lui casser les bras et de le jeter au fond de mon puits ! »
L'inspecteur Jéricane prenait son métier très à cœur, il nota dans un coin de sa tête qu'il faudrait faire sonder le puits du vieux, juste au cas où. Puis il revint en se promenant de long en large pour répéter devant un auditoire, ce qu'il avait déjà constaté plus tôt. C'était toujours plus gratifiant de recueillir les regards émerveillés de pecnos devant ses magnifiques capacités de déduction.
« Ils étaient plusieurs dans la voiture... Regardez, là, au moins deux... peut-être trois... Il y a eu une bagarre. Sans doute. Peut-être que la voiture était arrêtée sur la route, plus haut... La bagarre a mal tournée. Regardez toutes ses traces de luttes et de chutes, il y en a sur toute la longueur du champ ! Ils étaient peut-être même plus... cinq ou six. Deux hommes ne peuvent pas faire autant de dégâts... Et puis, la bagarre a dégénérée, il a fallu faire disparaître les preuves. Voyez, sur la route, aucune trace de freinage... La voiture s'est embourbée lentement, mais sûrement. Ce n'était pas un accident, on a voulu que ça y ressemble, mais ça n'en était pas un. »
Alphonse Jéricane n'avait pas été le premier de sa promotion, loin de là. Mais il avait tout de même quelques éclairs de lucidité, même s'il les interprétait toujours de travers. Le père Lustucru lui n'avait pas fait d'étude, mais ses conclusions étaient plus directes.
« Ou alors c'est juste un crétin qui s'est planté dans mon champ. »
Jéricane lança un regard méprisant au vieux paysan qui n'y connaissait rien dans l'art de la déduction policière. Vraiment, ces bouseux ne valaient pas grand chose. Heureusement qu'il avait son travail et que la fille du père Grojean lui faisait les yeux doux parce que sinon, il n'aurait pas du tout survécu dans le coin, bien trop tôt menacé par la pendaison ou le suicide par balles (s'il avait eu droit à une arme de service, mais ça non plus, le commissariat n'en était pas pourvu).
« Non, c'est criminel, c'est évident. Regardez ces traces-là, c'est comme si elles croisaient celles-là. Le ou les individus malveillants sont arrivés par là, annonça Alphonse en désignant la maison de la mère Michelle, ont croisé le chemin des occupants de la voiture, puis se sont enfuis vers les bois, par là, continua-t-il en désignant les pas partant vers la forêt. Voyez Monsieur Lustucru, la fuite n'a pas été sans heurt, affirma-t-il en désignant les profondes empreintes de corps imprimés dans la glaise. C'est criminel évidemment. Pas de doute possible. »
Et donc du ressort du commissariat, et donc de l'inspecteur Alphonse Jéricane. Parce que si cela avait juste été une histoire d'un mec bourré plantant sa voiture dans un champ (ce qui arrivait assez souvent dans le coin, vu que des champs, il n'y avait que ça par ici), ça resterait du ressort du commissariat, et donc de l'inspecteur Alphonse Jéricane, mais ça aurait beaucoup moins d'intérêt et de prestige. Allez crâner auprès du père Grojean et de sa fille avec un banal accident de voiture. Tandis qu'un crime, un règlement de compte, pire peut-être un meurtre ! (oui, il sautait toujours rapidement aux conclusions), ça ! Ça en jette !
ooo
Kévin sentit son estomac fourmiller de millions de petites aiguilles acérées. Bref, pour faire court, il avait faim. Mais Jeannine ne voulait pas revenir sur ses pas, retourner à la voiture, aller chercher de l'aide. Non, non, c'était beaucoup trop dangereux. Et la description qu'elle faisait du démon qu'elle avait vu surgir de la nuit pour leur sucer le sang et leur becqueter les boyaux était suffisamment effrayante pour ne pas tenter le diable. Du coup, ils se retrouvaient tous les deux, là perdu en pleine forêt sans savoir quoi faire.
« Jeannine ? Les zombies, ils ne sortent que la nuit, non ? Alors pourquoi on devrait avoir peur. Il fait jour et il y a plein de soleil...
- Ce sont les vampires qui brûlent avec les rayons du soleil ! Les zombies, eux, ils s'enfichent. Qu'il fasse jour ou nuit, ils poursuivent leurs victimes sans jamais s'arrêter ! Ils nous repèrent à l'odeur, et on ne peut plus les semer. Il va falloir qu'on les tue avant qu'ils nous trouvent, sinon ils vont nous transformer en zombie, nous aussi ! »
Jeannine trouvait que son mari, ce matin, était vraiment lent d'esprit. Peut-être avait-il été mordu sans qu'elle ne s'en rende compte et commençait déjà sa transformation... Ou peut-être que ce n'était pas comme dans les films, peut-être qu'un peu de salive projetée suffisait, ou alors juste le fait de croiser le monstre... Cela expliquerait pourquoi, dans les films, les zombies se multipliaient si vite ! Mais Kévin, à part la faiblesse de son esprit, semblait parfaitement amorphe, niais et sans aucune lueur d'espoir d'amélioration de son état. Il était donc parfaitement normal. Pas de quoi s'inquiéter donc.
« Kévin, je crois que nous devrions trouver un refuge. Les héros dans les films de zombies, ils font toujours ça : ils fuient et se réfugient dans une baraque isolée de tout, bourrée d'armes et de fusils, et de là, ils retournent détruire l'armée de morts vivants. C'est ce qu'on devrait faire...
- Tu crois ? Parce que je commence à avoir sacrément faim moi. Et comme il n'y a pas de monstres en vue pour l'instant...
- Pour l'instant ! Ça va vite ces choses là ! Imagine qu'on retourne vers la voiture, et qu'on tombe nez à nez avec le zombie... Pire, s'il a appelé des copains zombies pour faire une partie de chasse, ils pourraient nous tomber dessus de tous les côtés ! Non, non, il faut qu'on trouve une baraque bourrée d'armes. Et puis, je sais plus par où on est arrivé. »
La femelle dominante parlait très fort avec des accents très aigus dans la voix, preuve de sa dominance sur le mâle. Celui-ci par soumission, se contentait de hôcher la tête. La femelle, comme chez les lions, semblait en charge de la recherche de nourriture. Cette espèce d'oiseaux semblait être spécialisée dans la chasse aux fruits toxiques et aux champignons vénéneux. Sans doute une caractéristique prouvant que leurs estomacs étaient immunisés contre les poisons les plus agressifs. Ces deux oiseaux là devaient être les représentants d'une espèce particulièrement résistante et qui savait parfaitement s'adapter à un environnement changeant et inhabituel. Le mâle était en charge de tester la nourriture et d'établir sa comestibilité. Il croquait un morceau avant de le recracher. Occasionnellement, il en avalait plus puis décidait qu'il s'agissait d'un aliment de confiance et en donnait à sa femelle, qui l'ingurgitait sans même prendre le soin d'y accorder plus que quelques secondes. Il s'agissait la plupart du temps de baies violettes ou blanches que la plupart des autres animaux évitaient pour leur caractéristique diurétique et la chiasse carabinée qu'elles apportaient à n'importe quel être vivant qui s'en nourrissait.
Non, décidément, cette nouvelle espèce était particulièrement fascinante par bien des aspects.
ooo
Le soleil tapait directement dans l'œil de Jéricane, au volant de sa twingo verte. Le père Lustucru avait insisté pour l'accompagner, mais, coincé sur le siège passager entre le dossier et le tableau de bord beaucoup trop proche, il regrettait déjà de ne pas avoir proposé de venir avec son propre véhicule. Alphonse Jéricane était également un conducteur prudent... autant dire qu'ils n'étaient pas là d'arriver au village (pardon à la ville) avant un bon moment. Le père Lustucru soupira.
Le dimanche, le commissariat de la ville était fermé. Pas l'épicerie du père Grojean, ni le bar du fils Têtenpois. En réalité, ces deux commerces ne fermaient jamais car les deux gérants vivaient sur place. Si vous désiriez quelque chose, il suffisait de frapper. Et d'être du village. Un cousin au moins. Car sinon, il était beaucoup plus dur d'obtenir une boîte de petits pois ou une bière fraîche même aux horaires officiels d'ouverture. Mais le dimanche, après la messe, toute la ville se retrouvait chez le fils Têtenpois.
Le fils Têtenpois avait effectivement une tête en forme de pois chiche avec un coloris tirant plus sur le pois cassé (mais un peu plus palôt tout de même, ce n'était pas un martien !), par contre il ne faut pas se fier au terme de « fils », il devait avoir le même âge que le père Lustucru. D'ailleurs, le père Grojean était sans doute plus jeune que lui, puisqu'il n'était pas encore grand-père, alors que Têtenpois, qui ne l'était pas non plus faute d'avoir pu se marier avec sa cousine (qui avait épousé un cousin bâtard, gendarme à Chinquien – encore un scandale qui avait secoué la région), le fils Têtenpois donc n'était pas grand-père, mais aurait très bien pu l'être depuis deux ou trois décennies.
C'est donc avec sa tête de dégénéré malade que le fils Têtenpois accueilli froidement les deux nouveaux venus dans son établissement, ne prenant même pas la peine de se cacher pour les dévisager et surtout ne pas leur proposer de consommer quelque chose. Ce n'était pas grave, Jéricane et Lustucru étaient habitués à ce genre de traitement. Et ce n'était d'ailleurs pas pour cela qu'ils pénétraient de le bar-cuisine de la ferme de Têtenpois. Oui, ce n'était pas VRAIMENT un bar... ni même une brasserie. Le gérant se contentait d'ouvrir la porte de sa cuisine et d'accueillir, contre rémunération et en toute illégalité, la population du pseudo-village. Mais comme le commissaire était un habitué (le fils de la cousine de la tante de l'oncle de Têtenpois, père), on fermait les yeux.
Le commissaire était là, justement, assis à côté du poêle à bois qui ronronnait doucement malgré le fait que nous soyons un jour de grande chaleur, et sur lequel reposait le plat du jour dans une grande marmite remplie d'un liquide visqueux et vineux où sur-flottaient quelques gousses d'ail et surtout d'énormes cuisses d'une viande indéterminée : lapin, lièvre ou peut-être poulet mutant.
« Commissaire ? Je crois que nous avons une affaire... criminelle. »
Le dernier mot fut dit avec une telle emphase que le silence se fit dans la cuisine (ce n'était pas un exploit car sur les vingts personnes présentent, toutes s'était déjà tus en voyant entrer les deux intrus).
« Allons, allons mon petit Alphonse, ne dites pas de bêtises... Une affaire criminelle ? Ici, à Vachetteville ? »
Voilà ! Vachetteville ! Je me disais bien qu'il y avait une histoire de vaches dans le coin... et de ville. Bon excusez moi pour cette interruption, je retourne à mon récit.
« Dans le champ du père Lustucru. Une voiture volée, des traces de luttes, de fuite, et peut-être... un meurtre ! »
Tous se regardèrent avec étonnement, un meurtre ? À Vachetteville, c'était peu courant. En réalité, il n'y en avait jamais eu. Les querelles de famille se réglaient en famille, et donc ne regardaient jamais la police. Les morts disparaissaient pour aller faire un très long voyage, certains se suicidaient d'une manière originale, mais ils n'étaient jamais assassinés !
« Dans le champ du père Lustucru ? Tu confirmes, toi ? »
Le commissaire tutoyait tout le monde, même les êtres étrangers à sa famille. Et puis, le père Lustucru, même s'il ne faisait pas partie de sa fratrie plus ou moins éloignée, habitait la ville depuis toujours et donc valait plus que ce petit inspecteur de Jéricane qui n'habitait pourtant qu'à dix bornes de là, et ne méritait pas un tel honneur.
« Et comment que je confirme, y'a un putain de crétin d'imbécile qu'est venu planté sa voiture dans mon champ !
- Et il y a des traces de lutte tout autour du véhicule, Commissaire. »
L'énorme et bedonnant commissaire regarda un instant Lustucru pour voir s'il confirmait l'ajout de Jéricane. Mais le langage silencieux qu'il voulait établir avec l'individu ne sembla pas du tout fonctionner. Vraiment, ça devait être une tare des gens non-consanguin pensa-t-il.
« Et tu confirmes ce que dit Alphonse ?
- Je peux juste dire qu'il y a un sacré bazar autour de la bagnole. Ma récolte de betteraves est fichue ! »
Et celle de tes orties, pensa le commissaire. Mais au moins, les orties avaient l'avantage d'être comestible pour les humains au contraire des betteraves sucrières...
« Bon d'accord, allons voir tout ça... »
Le trajet à trois dans la petite Twingo verte d'Alphonse fut plus rapide, car l'excitation du jeune inspecteur montait. La voiture bringuebalait de droite à gauche, autant sous le poids du commissaire qui occupait la totalité du siège arrière et faisait en quelques sortes contre-poids à chaque virage, que sous les coups de volants brutaux de Jéricane qui se prenait pour un inspecteur de police, un vrai, un de ceux qui conduisent vite avec un gyrophare. On se serait presque cru dans New York Police District ou un de ses feuilletons américains, sauf qu'il s'agissait d'une microscopique voiture verte d'occasion, dans laquelle était ballottés deux poivrots et un maigrelet se prenant pour Kojak (les cheveux en plus).
Ouais, je sais. Je vous ai pas abreuvé de mes éternels états d'âme dernièrement. Parce qu'il y avait sans doute enfin un peu d'action dans ce trou paumé. Et puis que je déprime... J'ai l'impression d'être utilisée. Alors plutôt que de vous faire part de mes impressions démoralisantes, j'ai préféré me concentrer sur le récit.
Et puis parce que l'auteure m'a aussi fait une remarque qui m'a déplu... Le genre qui vous glace toute inspiration et vous fout la trouille de la page blanche... Voilà elle m'a dit :
« C'est bien ce que tu racontes. Mouais, c'est bien... Mais si tu pouvais éviter de parler de toi, ça m'arrangerait. Tu vois, je suis l'auteure, j'ai pas envie qu'on me reproche à moi, toutes tes petites piques et tes opinions... Tu comprends, moi, j'ai un éditeur derrière qui va me reprocher tout ça. Donc, si tu pouvais te contenter de raconter l'histoire, ça m'arrangerait. »
Du coup, j'ai plus le droit de vous parler. De vous donner mon avis personnel sur tout ça. Et c'est très démoralisant. Surtout que moi, j'adore papoter, digresser et que si j'ai fini par accepter toute cette histoire de pari (contrainte et forcée, mais de bon cœur quand même) c'était parce que je pouvais aisément arriver à cinquante milles mots en vous parlant de ma vie privée.
Le fait est qu'en plus, je me suis disputée avec mon mari. Oui, c'est idiot. Pour une connerie en plus ! Il me reproche de ne jamais faire la vaisselle, mais moi, en ce moment, je n'ai pas le temps de penser à ça. J'ai ce roman à finir et je dois vous avouer que je suis très très très en retard sur le planning (genre là, j'en suis à quoi ? Dix-huit, dix-neuf mille mots ? Je devrais en être à presque trente milles ce soir... )
Il est midi, mais quand même, je sais que j'aurai pas le temps parce qu'en plus de faire la vaisselle pour faire plaisir à mon chéri, je vais aller chercher les enfants à l'école et que ça va prendre du temps parce que la maîtresse va m'emmener à part pour exprimer son mécontentement sur le comportement de mon aîné (c'est ma faute à moi s'il adore jouer au cavalier et tire les couettes de la petite Marion en criant « Hue Dada ! », bon d'accord, à huit ans c'est peut-être un peu léger, il pourrait dire « En avant Bucéphale ! » ça aurait plus de gueule à mon avis). Et qu'ensuite, une mère de famille dont j'ignore le nom tout autant que celui de sa progéniture va m'inviter à venir boire un thé ou manger un petit gâteau le lendemain après-midi (« Pour discuter un peu de toute cette jeunesse et faire connaissance aussi ! On ne se connait jamais assez vous ne croyez pas ? ») et que comme je suis une mère indigne mais avec la conscience qui me torture, je vais accepter... et perdre une après-midi entière de boulot supplémentaire ! Et deux milles cinq cent mots de plus à rattraper...
Pff, je sais même pas pourquoi je prends le temps de vous raconter tout ça. Pauline (c'est l'auteure) a raison en fait, ça ne vous regarde pas... Mais quand même... J'espérais un peu plus de compassion de votre part, quoi ! Je m'escrime au détriment de ma vie familiale, de ma vie de couple même pour vous raconter cette histoire merdique d'adultère, j'essaye d'y mettre du piment, de l'action et voilà comment on me remercie ! Non, vraiment vous ne méritez même pas que je continue... Je le fais parce que j'ai une conscience professionnelle, mais honnêtement, le cœur n'y ait plus.
En fait, je ne sais pas qui est le pire dans cette histoire : l'auteure qui me prend pour une prune et me force à collaborer à cette petite farce (je suis sûre que si son roman ne marche pas, elle va me le coller sur le dos !) ou alors, vous lecteurs, qui restaient passifs telles des bovins mastiquant de l'herbe. Je suis le train qui passe et vous me regardez. Mais quand est-ce que vous comprendrez que vous avez VOUS AUSSI le droit à la parole ! Le droit de participer à ce roman ! Vous vous êtes toujours dit que si un roman ne vous revenait pas, c'était la faute de l'auteur, au pire du narrateur ou des personnages. Mais vous aussi êtes fautifs !
Franchement, tout le monde se casse le cul (oui, je sais je suis vulgaire, mais excusez du peu, j'en ai gros sur le cœur !), bref, tout le monde se casse le troufion pour vous fournir une histoire potable et vous seuls devriez rester passifs ?
Je sais qu'il y en a qui se casse la tête un peu plus que d'autres (suivez mon regard noir et accusateur), mais vous, vous ne faites rien du tout. Autant dire que c'est vous, lecteurs intransigeants et intarissables de critiques, les plus coupables dans l'histoire !
Ah, non mais vraiment, vous me dégoutez ! Allez vous faire voir... J'ai vraiment plus rien envie de raconter pour vous.