Une bouée de secours

lullaby

Une bouée de secours.

Le début d'une histoire est toujours fantastique. Les yeux dans les yeux, on se crée une vie à deux. Rien ne compte si ce n'est le bonheur, cette chose que l'on ressent si fort et que l'on croit, que l'on espère être éternel. Mais rien ne dure pour toujours, et encore moins un ciel sans nuages. La tempête arrive, et la pluie amène inéluctablement avec elle son lot de désillusions, de larmes, de colère.

On se raccroche à n'importe quoi, et surtout à tous ces petits détails qui paraissaient si insignifiants alors. Tous ces gestes du quotidien, qui l'un après l'autre, s'alignent comme les bouées de secours qu'on aperçoit de la plage, au loin, rassurantes. On peut les compter, même si certaines sont si loin qu'on n'est pas bien sûr de les voir, peut-être est-ce juste une illusion d'optique, une ruse de la marée. J’aperçois ici un sourire, là un regard complice, ou encore un geste tendre, et plus loin, une amoureuse attention.

C'est drôle comme une fois la marée basse, on les considère d'un tout autre œil, ces bouées. Elles sont lourdes !

Plus que ce que l'on peut imaginer lorsque l'on s'y agrippe comme si notre vie en dépendait, à bout de souffle, les bras en feu de tant d'effort accompli. Elles nous paraissent si légères alors, toute fragilisées qu'elles sont par l'eau qui les sollicite de toute part, les tire de droite à gauche puis de gauche à droite, et encore, et encore, et encore.

Mais là, posées sur le sable encore humide, bien inconscient serait celui qui tenterait d'éprouver ces chaînes qui les ancrent au sol et les empêchent de partir à la dérive !

Bouées elles restent, mais ne sont alors que de petites balises égayant le chemin, des points de repères familiers mais néanmoins contournables car tout ce qui les entoure est un terrain connu. Parfois on s'y arrête, parfois on les oublie car il y a tant de choses à voir sur une plage ! Tant de choses à découvrir, de rochers à sonder, de coquillages à déterrer, de châteaux à construire ! Tant de possibilités qui relèguent ces bouées en second plan, car oui, elles seront toujours dans le décors, quoi qu'il arrive.

Et puis peu à peu, la marrée monte, inévitable. Au fond, on a toujours su qu'elle viendrait. Pourquoi nous épargnerait-elle alors que tant d'autre furent engloutis, noyés, à la dérive ?

Sournoise, elle gagne du terrain, lentement, presque imperceptiblement. On ne la voit pas avancer et soudain elle est là, à nos pieds. Tellement innocente, elle joue, vient nous recouvrir tendrement les orteils avant de se retirer, langoureuse. Revient, parfois s'arrête juste devant nous, faussement calme, pour repartir et surgir de nouveau, plus violente et plus déterminée. Et gagner quelques pouces.

Les unes après les autres, les bouées sont submergées. Cernées de toutes part, ballottées au rythme insoutenable de la mer, elles sentent qu'on cherche à les déraciner, à les arracher définitivement de leurs attaches.

Tout le reste, s'il existe encore, nous semble si lointain, si inaccessible ! Submergés les rochers et les coquillages, détruits tous les châteaux qu'on avait bâti patiemment, pensant que la tempête les épargnerait. Il ne reste que nous, aux prises avec des vagues dont on ne comprend pas la puissance.

Nous et l'espoir. L'espoir de parvenir à enlacer cette bouée, si proche mais si lointaine. Si on l'atteint, peut-être, peut-être qu'elle nous sauvera. Peut-être que son acharnement à rester si bien ancrée au sol nous rappellera que quoi qu'il arrive, sous la mer, gisent encore toutes ces possibilités.

Si l'on a suffisamment confiance en notre bouée, si on l'étreint avec force et conviction, la marée se retirera bien assez vite, nous laissant libre de courir sur le sable, d'embrasser le futur. Et de construire d'autres châteaux.

Maintenant que l'on sait que cette bouée n'est pas si loin que ça, que l'on peut l'atteindre en quelques brasses si l'on veut, l'avenir présente tellement plus de possibilités...

Signaler ce texte