Une femme de nos campagnes

Calame Scribe

8 mars 2018 : en ce jour international de la femme, je voudrais rendre hommage à Germaine, lavandière à Morand (Indre et Loire) entre 1930 et 1970

Les vacances, l'été, la chaleur, l'odeur du savon sur le carrelage de la cuisine, voici le personnage de Germaine qui m'apparaît.

Elle me semblait âgée mais cela ne se traduisait pas de la même manière que pour ma grand-mère ou mon arrière-grand-mère : pas de petites rides sur son visage rond, seules deux profondes lignes descendant des ailes du nez au bas du menton qui marquaient les bajoues qui tremblaient quand elle parlait ou bougeait.

 Germaine était la lavandière du village, louant ses services le lundi chez Monsieur le Maire, le mardi chez le boulanger, le mercredi chez nous… Ses mains étaient roses, lisses et polies par la soude contenue dans le savon de Marseille, par les boules de bleu et l'eau de Javel qu'elle utilisait à longueur de journée. Déformées à force de battre les draps et de frotter le linge, elles m'impressionnaient et je n'osais lui demander si ses mains la faisaient souffrir.

 Cette question à propos de la douleur, il n'était pas nécessaire de la poser au sujet de son dos : à genoux dans la boîte à laver placée sur « l'arrivoir » qui surplombait la surface de l'eau de notre mare, elle était penchée, trempant et remontant les lourds draps de coton épais que nous utilisions à l'époque. J'avais un jour voulu l'aider mais le drap devait être beaucoup plus lourd que moi et j'aurais bien basculé dans l'eau si elle ne m'avait retenue.

 Debout ? Enfin, si l'on peut dire, car elle était cassée en deux : son squelette gardant l'inclinaison qui lui était habituelle pour ses travaux de lessivage et de lavage. Et c'est à quatre pattes qu'elle brossait le sol avec une brosse en chiendent, à ses côtés, le seau de « lessus », eau de lavage de la lessive récupérée précieusement avant le rinçage. Je l'aidais à se relever mais elle riait « Laisse donc, ça va aller ! ».

 Au niveau de son improbable taille elle plaçait un tablier qu'elle nouait dans le dos. La bouffette de la ceinture faisait comme une petite poignée sur le plat de son dos cassé. Taquin, mon frère tirait sur le nœud pendant que notre blanchisseuse travaillait. Elle riait « Ah ça faisait longtemps ! Tu ne changeras pas toi ! ».

 Je ne sais si Germaine est allée une fois dans sa vie chez le coiffeur, j'en doute. Peu épais ses cheveux gris devaient être longs car elle arrivait à se faire un petit chignon roulé sur la nuque. On voyait la peau de son crâne entre les peignes qui maintenaient sa coiffure. Quelques mèches s'égaraient sur son front, collées par la sueur et la vapeur sortant de la grosse marmite où bouillait le linge. Je lui apportais un verre d'eau fraîche. Elle me remerciait et me rendait le verre vide en disant « Je le laverai, va jouer. ».

Germaine avait un regard bien spécial : elle louchait comme jamais je n'ai vu quelqu'un loucher. Difficile parfois de savoir à qui elle parlait quand elle était face à plusieurs personnes. Cependant, son regard était bon et empreint d'une joie simple comme l'amour qu'elle portait à son travail et au genre humain.

 Sa marche, le long du chemin était unique. Quand on la voyait de face, son visage était à la hauteur de son ventre et, sur son dos à l'horizontal, on voyait, outre la fameuse bouffette du tablier, l'une de ses mains qu'elle posait sans doute à l'endroit le plus douloureux de ses pauvres reins. Elle traînait les pieds et avançait à petits pas, parcourant le village au gré des maisons où elle faisait ses « journées ».

 Ce qui éclairait le visage de Germaine, c'était son sourire. Malgré ses rides profondes aux commissures des lèvres qui auraient pu lui donner un air triste ou bougon, il émanait d'elle une bienveillance naturelle.

 Germaine était mariée à Natole. Je ne sais pas quelle allure avait Germaine quand Natole l'a choisie pour femme mais je suis sure qu'il l'aimait telle quelle était et qu'il ne voyait en elle que sa beauté intérieure : courage et abnégation.

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