UNE HISTOIRE DU BON VIEUX TEMPS
Hervé Lénervé
Le Moyen Age s'étend dans une période du Vème siècle au XVème siècle, Mille ans d'Histoire, voilà qui laisse de la place dans la marge pour une malheureuse petite histoire. N'étant pas historien, nous même, nous allons surtout, nous intéresser aux mentalités de l'époque (« Nous » est un pluriel prétentieux de roi élu divin, car je suis seul à écrire, mais à me faire croire multiple, je donne plus de crédit à mes allégations et je dilue mes responsabilités, pas con ! Non ? Les Dauphins, hein ?) Pour situer davantage la psychologie des personnages plus que la progression des sciences et des techniques, qui, pour leur part, faisaient du surplace dans l'immobilisme du mouvement. Disons que « ces siècles des ténèbres » laissaient la part belle à l'irrationnel teinté de surnaturel, la part du lion aux superstitions équipées toutes options. En France, Dieu nous en est témoin, puisqu'il régnait en despote sur les esprits et sur la vie politique, publique et intime de chacun, que l'on soit puissant ou impuissant ou abstinent. Pour ce faire il avait à disposition ses hommes de mains ; prélats, diacres, abbés, évêques, prêtres, archiprêtres, « supermoines » et on en passe. Les sorcières faisaient partie du paysage comme le nez fait partie du visage, c'est d'ailleurs à cela qu'on les reconnaissait entre autres. Elles étaient au milieu de la démonologie comme le nez est au milieu du… de la parfumerie. Elles suscitaient cependant dans les mentalités l'ambivalent sentiment d'effrayer et d'attirer dans le même temps. On recourait en secret à leurs services clandestins pour quelques actions illicites et honteuses, genre, filer une diarrhée létale à un usurier ou faire se pâmer d'amour une jouvencelle ou un damoiseau. Pour ennemis jurés elles avaient sur leurs chemins les hommes de Dieux. (Le pape Innocent VIII, si mal nommé, a fait exterminer en France, à partir de 1484, plus de sorcières que la sorcellerie n'aurait pu en compter dans le Monde, si elle avait réellement existé.)
C'était à eux, de trancher entre le vrai et le faux dans les dénonciations de voisinage prompte à faire sorcière la moindre contrariété de voisinage, (bonjour l'ambiance dans les copros).
C'était à eux de juger, condamner et châtier les coupables. Lourde tâche, mais il avait pour cela un outil incontournable : le « Malleus Maleficarum » ou en bon françois « le marteau des sorcières » qu'il fallait davantage comprendre comme le marteau sur les doigts des sorcières et quand je dis, les doigts… C'était un livre, genre encyclopédie encyclopédique, qui écrit par des Savants donnait toutes les solutions aux problèmes de la sorcellerie. Ouvrage de référence, s'il en est, publié en 1486 ou 1487, (même la date était, déjà, sujette à caution). On pouvait y lire, en autres, des moyens irréfutables pour démystifier la sorcière de l'honnête ribaude. Une preuve prise au hasard parmi tant d'autres :
« En 1599, le roi Jacques 1er d'Angleterre montre comment il est possible de prouver la culpabilité d'une sorcière en la jetant à l'eau : si la femme s'avise de remonter à la surface de l'eau après y avoir été précipitée, elle est reconnue comme sorcière. »
Simple, certes, mais efficace. Le pire dans cette démonstration sans faille, défiant tout bon sens à la pauvre logique, était que le public qui assistait à cette révélation y croyait dure comme fer dans sa grande majorité, pour ne pas dire, par mansuétude, dans sa totalité.
Tout ce long et fastidieux, m'en est témoin, exposé pour souligner seulement que les esprits, les mentalités, les croyances de nos aïeux étaient quand même assez différentes de la subtilité du plus lobotomisé de nos contemporains.
Voici maintenant, le corps du délit ou le récit autrement dit. Imaginons, maintenant un couple d'enfants, à la sensibilité contemporaine, lâché dans cet obscurantisme de la pensée.
L'une des petites s'appelait Cunégonde autant qu'elle était blonde, l'autre, Castille autant qu'elle était fille. Elles ne pouvaient avoir d'autres amis, car elles étaient seules, non de nombre, mais d'esprit. Les deux partageaient l'ignorance de l'époque, certes, comment aurait-il pu en être autrement ? Mais elles ne se contentaient pas d'explications magiques, elles avaient une logique empirique et se nourrissaient des faits de leur expérience. « Si l'on jette une personne à l'eau en lui ayant attaché pieds et mains, avec quelques pierres à la ceinture par sécurité, elle ne remontera que rarement à la surface ». Hormis le fait, que les gens ne savaient même pas nager, cela faisait, quand même, beaucoup à faire pour prouver son innocence, un esprit éveillé et perspicace aurait pu y nourrir quelques doutes, y voir même une certaine supercherie, une embrouille ecclésiastique, pourtant les mentalités ambiantes prenaient comme coupable toutes personnes incapables de flotter dans de telles conditions. Les coupables étaient donc légions et se noyaient en évitant ainsi la torture… cool ! Il valait, donc, mieux ne se faire accuser de rien pour survivre un brin. Aussi, nos deux enfants avaient pris l'habitude de se cacher pour chuchoter librement, elles avaient une planque, une cabane maison qu'elles rafistolaient tous les ans, et là, à l'abri des regards et des oreilles plus que de la pluie qui goutait par tous les interstices, elles étaient en sécurité des intempéries de l'obscurité des meurs.
- J'ai des nausées et des migraines horribles ces derniers temps, mon amie.
- T'es enceinte ?
- Déconne pas ! Je vais être obligée de consulter la vieille. Confia Radegonde.
- Méfie-toi, tu sais que si quelqu'un te voyait tu serais compromise, ma mie.
- Je sais ! Mais je ne tiens plus, je ne dors plus, je ne mange plus, je maigris, je dépéris.
- C'est vrai que tu es encore plus maigrichonne qu'un furet anorexique, il ne va bientôt, plus rien rester de toi, mon p'tit poids à moi.
- Comment écris-tu petit pois ?
- C'était pour faire un jeu de mots, mais de toute façon, J'sais pas écrire, comme toi, tu ne sais pas lire et on ne peut pas entendre une faute d'orthographe, d'ailleurs !
- Ecoute ! On est en 1492, alors la logique…
Et les deux amies se blottirent l'une contre l'autre pour échapper un peu à la culture de leur temps et à se serrer sans cesse, pour conjurer leurs peurs, l'une contre l'autre, deux contre le reste du Monde, inévitablement, un sentiment d'unicité se créait. Elles étaient seules sur Terre. Une Terre habitée, mais aurait-elle été colonisée par des extraterrestres ? Qu'il n'y aurait eu guère de différence. Ces gamines ne pouvaient parler à personne, à leurs parents moins que quiconque, ils les auraient dénoncés sans une once de culpabilité à l'inquisition. Pour vivre, on a besoin de sentiments, des sentiments d'affection certes, mais aussi des sentiments plus forts. La passion peut naître des situations comme des attirances intimes. La passion est le plus puissant des sentiments, il se vit, il ne s'explique pas. Personne ne cherche l'amour, il arrive tout simplement, il tombe sur les têtes d'êtres démunis et démunies, ces deux têtes l'étaient assurément. L'amour prend ce qu'il peut. La passion se nourrit de ce qu'elle trouve. En Terre aride et stérile, la passion est une fleur qui pousse, dans le champ des possibles et pour ces deux-là les possibles étaient singuliers. Est-ce la seule raison qui fit naître en elle un amour tout aussi singulier ? Ce n'est pas à nous à répondre de cela, quant au Divin, il condamnait, par la voix de ses émissaires, ces déviances contre nature, ces perversions, ces inversions et on sait maintenant, comment étaient traitées toutes condamnations.
Les meurs sont une chose, les mémoires en sont une autre nous souvenons-nous, seulement, pour notre part, que dans les années soixante-dix, (1970 après J.C.) notre Société, donc nous-même, considérait l'homosexualité comme une pathologie mentale, qu'elle pouvait, sans grande contestation civique, enfermer en institution psychiatrique les « invertis » pour les guérir à coups d'électrochocs.
Et les deux amies se blottirent l'une contre l'autre pour, par un chaud câlin, se réchauffer un peu de leur expérience d'isolement extrême.
- Je t'aime ma douce, dit la tendre Cunégonde.
- Pas mieux, ma tendre ! répondit, la douce Castille.
Elles s'embrassèrent et pendant un instant, elles oublièrent leur triste sort, leur condition, mais la peur restait une ombre planante qui ne les quittait jamais, elle était toujours là, elle était en eux comme leur Amour l'était aussi. Elle desserrait seulement, quelquefois, son étreinte pour un court répit, un bref apaisement, mais restait latente, elle ne se faisait jamais totalement oublié et même dans la chaleur de l'enlacement, l'une tremblait parfois et l'autre lui répondait dans le même tremblement sans un mot, les mots n'avaient pas besoin d'être prononcés pour identifier leurs angoisses.
Le lendemain, par matin, les deux malheureuses prirent le chemin à travers bois, pour se rendre à la vieille bicoque où « bicoquait » la vieille folle. Les remèdes de grands-mères étaient considérés comme des remèdes de sorcières. Les apothicaires existaient, alors, mais seuls nobles et bourgeois avaient les moyens d'y recourir, pour tous les autres, la grande majorité donc, il fallait faire avec les moyens du bord, en l'occurrence, des pratiques non orthodoxes, le paganisme n'avait pas très bonne presse, aussi on s'empressait de presser comme citrons toutes personnes s'y adonnant. Si bien qu'il fallait se méfier, mais de quoi ne fallait-il pas se méfier ? La prudence était l'obsession courante au quotidien, mais elle ne suffisait que rarement. C'est un fait, on sait que tôt ou tard, on se fera prendre, mais rien ne saurait nous empêcher de continuer à avancer dans l'impasse, sinon la prise. On continue donc jusqu'à l'issue fatale, comme si fatalement on attendait qu'elle survienne comme unique délivrance.
La « tour à sorcières » était la salle où on pendait par les bras à des chaînes les sorcières préalablement torturées, violées pour les plus jeunes par les ecclésiastiques. Cunégonde et Bastille étaient jeunes et jolies comme l'innocence, elles pendaient à présent l'une à côté de l'autre aux chaines de la « religion de l'amour », un peu plus loin la vieille les accompagnait, avec l'avantage d'être répugnante de saleté et de vilaineté, ce qui ne lui avait pas évité d'avoir subi « le berceau de judas », il y a une limite quand même. Nous ne décrirons pas en détail cette torture elle dépasse les mots, l'entendement, l'ignominie de l'Homme, Dieu a bon dos dans tout cela et tout salaud qu'il puisse être il n'aurait jamais pu imaginer de tels supplices, il y a une limite quand même. Le sadisme reste intrinsèquement humain, comme la bêtise.
Cunégonde et Bastille attendaient la mort en délivrance, la « tour des sorcières » était l'endroit où on laissait les suppliciés mourir d'inanition après qu'ils eurent subi tous les outrages inimaginables qu'il est possible de subir, une sorte de maison de remise en forme avant le grand départ.
Nous sommes bien sinistres dans ce récit, ces temps-ci, mais n'oublions pas que nous sommes dans un recueil de contes et que seraient les contes sans magie ? Pourtant, on va s'en passer, ici ! Les sorcières, fées déchues qui auraient mal tournées, ont été assez sollicitées comme cela, laissons-les se reposer un peu, elles ont assez morflées.
- Tu n'imagineras jamais le cauchemar que j'ai fait cette nuit, mon ouistiti. Dit Camille.
- Ne me dis pas, j'ai horreur d'avoir peur, ma douceur. Lui répondit Joconde.
Nous sommes à l'été 2017 à présent, les deux gentilles ne s'appellent plus Bastille et Cunégonde, mais Camille et Joconde. Elles ne sont plus seules sur Terre, mais amantes, cela, elles le sont tout autant, sans trouver d'autre justification que l'Amour à leur amour… Hé oui !
Le monde des rêves est un mystère, mais où vont donc chercher, pareilles idées, les esprits libérés de toutes contingences historiques ?
FIN