Une journée "hors" de moi

jean-fabien75

Plongée dans une émission de télé (et plus si affinités)

Certaines journées s'écoulent avec leur propre rythme et s'expriment dans des chromatismes qui n'appartiennent pas à votre palette ordinaire, comme si un esprit taquin avait remplacé vos tubes par des gouaches venues d'ailleurs – le vil coquin se sera mélangé vos pinceaux.
Ce mardi 6 décembre appartient assurément à ce cercle restreint des jours peu ordinaires dont on a peine à croire qu'ils appartiennent aux semaines entamées de manière pourtant assez classique par un lundi modérément merdeux.


L'impression d'avoir vécu la journée de quelqu'un d'autre
Arrivé à Genève presqu'à l'heure, je rejoins mon enthousiaste éditeur Suisse d'une précision plus horlogère que mon propre TGV poussif, Olivier Morattel – qui reste le seul mammifère connu à ne pas dormir la nuit.
Après une brève visite touristique (qui me donne cependant envie d'en découvrir davantage et permet à Olivier de découvrir la joie du pas cadencé parisien), nous rejoignons le lieu du tournage de « La Puce à l'Oreille » (émission TV culturelle de la RTS) où nous avions l'honneur d'être invités, à savoir un restaurant dénommé « Le calamar » (j'apprendrai un peu plus tard dans la journée, que le calamar ne désigne pas seulement un restaurant qui a le vent en poulpe ou un quelconque mollusque mais est aussi un terme désuet qui qualifie un étui de plumes à écrire (c'était la minute culturelle, j'espère que vous en avez profité, ça va pas durer)).
J'y pénètre non sans un certain stress car je suis censé présenter, pendant l'émission, un autre invité : un dénommé MHD. Contrairement à ce que je croyais, il ne s'agit pas d'une MST – ni même d'un nouvel avion égaré par Malaysian Airlines – mais d'un rappeur pour ados pré-pubères à peu près aussi rebelle que Selena Gomez sous Tranxène et aussi original qu'une blague de cul dans TPMP. Ma fille m'a tout expliqué – notamment qu'il fait de l'afro trap (WTF ?) – et m'a entretenu de tout un tas de sujets passionnants sur le milieu du rap pour pucelles, mais j'ai tout oublié (c'est marrant le rap, c'est comme le fromage (d'ailleurs, ne dit-on pas du « gruyère râpé » ?), y'a plein de modèles et de sous-modèles). Mais je m'égare, car à peine a-t-on pénétré (le restaurant) que l'on nous apprend que MHD a annulé au dernier moment, prétextant une souffrance passagère (les rappeurs, c'est plus ce que c'était), une souffrance cependant d'une intensité insuffisamment violente pour annuler son concert du soir (no comment)... C'est la panique dans l'équipe de prod, c'est la première fois que ça leur arrive en 5 ans d'existence (on vous avait dit de pas inviter de rappeur français…), bref c'est un peu le bordel. Et le bordel, la Suisse, c'est pas trop son truc (cliché #1).
MHD est remplacé au pied levé par une comédienne qui joue dans une reprise de la pièce « La bonne planque », Anne-France Tardiveau. Cette dernière se présente et me dit qu'elle est à moitié française. Ayant retenu son prénom, j'hésite à considérer cela comme de l'humour (restons prudent).
Je me dis que quand même, je me suis farci tous les clips de MHD pour rien, que je m'étais même mollement entraîné à faire un de ses pas de danse (ça ressemblait plus à du Sarko en bad trip de lexomyl, mais l'effort était là), donc c'est un peu la lose, mais je me reconcentre vite : on a une émission à faire (bordel).

Olivier a mis son joli pull jaune, j'arbore moi-même le sourire des clowns d'hôpitaux pour enfants et nous sommes rejoints in extremis par la journaliste Mélanie Croubalian – grâce à qui j'ai rencontré le monsieur au pull jaune (si vous voulez savoir comment : achetez « La vitre » et lisez la préface) – à qui l'on propose de venir délivrer quelques sourires ultra bright en disant des trucs mega-pertinents afin d'occuper un poil l'espace laissé vacant par l'affreux de Trappes. Malgré le stress qui se lit au niveau de la deuxième ride de sa tempe gauche, elle accepte gentiment (c'est une pro).
Paf, tout le monde au maquillage et on est partis (je dirais bien « mon kiki », mais ça fait bien longtemps que je n'appelle plus ma bite ainsi).


Un absent qui ne nous manque finalement pas trop
Afin de me détendre, je demande un mojito sur le plateau. La chargée de production a l'air surprise mais m'en ramène un avec de belles décorations (et pas mal de rhum aussi). Je l'entame, l'esprit tranquille, l'émission dure 50 minutes, je calcule que si je me démerde bien, je peux en siffler 5 pendant la durée du truc.
Je suis assis en face d'Olivier dont le visage est figé par la concentration (il doit défendre mon bouquin juste ce qu'il faut, avoir l'air sérieux avec un pull jaune, drôle avec des lunettes, sympathique mais pas trop, parler de Vincent Perez sans notes, ne pas renverser sa bière et parler dans le micro, tout ça en faisant des clins d'œil de connivence au public disposé autour du plateau. Cet homme est un dieu) et à côté d'Elena Montesinos, artiste contemporaine qui a lu mon livre. L'actrice est en diagonale de ma pomme (à 10h30 à peu près), ce qui n'est absurde géométriquement parlant, considérant qu'elle est à moitié hexagonale (rire poli autorisé).
Vous vous demandez peut-être pourquoi Elena a lu mon livre et Olivier doit parler de Vincent Perez. Sachez que c'est une excellente question à laquelle je vais répondre illico : le principe de l'émission est que chaque invité présente un autre invité. Ainsi, je devais présenter le malaysian Airlines du rap, Olivier a interviewé préalablement Vincent Perez pour un film qu'il vient de réaliser, Elena a donc lu au moins la préface de mon livre (et même un peu plus comme elle va le prouver par la suite) et personne ne s'est occupée d'Anne-France – même si c'est sûrement très agréable – puisqu'on n'avait pas vraiment prévu qu'elle serait là.
C'est bon, y'a plus de questions, je peux continuer ?
Dès le démarrage du plateau, notre artiste contemporaine se met en tête de brûler une contravention et nous invite tous à la rejoindre un jour prochain afin de faire de même lors d'un immense bûcher (si j'avais su, je n'aurais pas payé mes prunes, on me dit jamais rien à moi (mais bon, je peux aussi amener des chamallows)). Après l'intervention des pompiers, nous parlons de « La vitre » (on aurait bien parlé de MHD, mais comme ce naze a préféré rester avec ses potes à faire des vidéos Youtube, on a improvisé) et Elena, encore elle, m'offre une version reliée par L'atelier du relieur de Genève (collector) du Service Presse qu'on lui avait envoyé (je suis tout ému, c'est la première fois depuis Noël dernier qu'on me fait un cadeau). On voit une courte vidéo où elle réalise une lecture à voix haute (parce qu'à voix basse on n'entend pas sinon) de sa belle voix grave et on passe ensuite dans le désordre à Olivier qui décrypte le film de Vincent Perez, Anne-France qui vante sa pièce (ça a l'air très drôle d'ailleurs, je me le note si je repasse un jour en Suisse (remarque, je repasse déjà pas en France, alors t'imagines en Suisse (deuxième sourire poli autorisé))). Ma voisine est très dissipée, on se fait rappeler plusieurs fois à l'ordre par Iris, la journaliste qui présente l'émission et dont j'ai peu parlé finalement. Elle nous dispute gentiment sur le thème « ça vous intéresse pas ce que je raconte ? ». J'ai un peu honte, une honte que je situerais à environ 2,5 sur l'échelle de l'ado qui se fait prendre par sa mère en train de se masturber dans les chiottes, une honte assez limitée donc bien que tangible (mais comme j'ai fini mon deuxième mojito depuis cinq bonnes minutes, l'alcool a pénétré mes veines et donc je m'en fous).
Après, je sais plus trop ce qui se passe, j'ai l'impression qu'ils s'amusent à changer les intervenants pour nous embrouiller (oh tiens, coucou Mélanie), y'a même un type sympa à lunettes qui arrive (ou alors c'est Mélanie avec une barbe, j'aurais juré qu'elle était assise là) et qui pense que le prénom de Duchovny, c'est Patrick (si j'avais pas été à deux grammes, je l'aurais bien remis à sa place, lui qui écorche le prénom de mon héros (Hank Moody)).
Bon au final, faut vraiment que je regarde cette émission quand je serai à jeun, ça avait l'air marrant et puis Iris était sacrément douée pour nous faire croire que tout roulait comme sur des roulettes et pour nous relancer juste au moment où on avait l'air d'avoir quelque chose à dire (c'est pas possible, elle a des yeux dans le dos), tout ça avec classe et naturel (à croire que c'est son métier).
Je pense qu'on s'en est pas trop mal tiré au final (je me souviens pas, par exemple, avoir confondu mon micro avec la paille du cocktail), et en plus, on n'a pas parlé de rap, donc ça c'est quand même la cerise sur le gruyère râpé.


Et après ?
Au final, et même si, comme d'habitude quand on m'invite à parler d'un de mes bouquins, j'ai eu l'impression d'usurper la place d'un vrai écrivain (un mec avec une écharpe blanche donc), on s'est plutôt bien marrés et donc on a logiquement continué à picoler après (parce que, bon, sérieusement, on pouvait pas s'arrêter à seulement six mojitos – même bien décorés). En plus, je me suis dit que si je finissais assez bourré, je me mettrais à poils et le lendemain, je pourrais mettre un statut Facebook qui ferait plus de 10 likes pour raconter mes exploits et ça c'est quand même bueno.
Nous finissons la soirée à un concert de Vincent Delerm très beau et mélancolique (le concert), puis chez Lipp à avaler des sashimis (classe) et des hamburgers (pas classe), puis à picoler du mauvais vin rouge gratuit avec Vincent Delerm (classe), puis après, c'est un peu flou, mais je tiens à préciser que j'ai bien retrouvé la piaule où je créchais et que je me suis endormi tout seul (Vincent n'aura pas voulu de moi), bien que le pull de mon éditeur émît un sex appeal à convertir une nonne à l'échangisme (classe ou pas, à vous de choisir).
Je crois m'être couché dans mon AirBnB en me disant que la vie était cool, parfois (et tout ça sans médicament (pas classe)), même si elle ressemblait pas trop à la mienne.


Le lendemain matin, je me suis réveillé (ce sont des choses qui arrivent), il n'y avait pas d'eau chaude, j'avais oublié mon déo à Paris et le TGV était à la bourre.
Voilà qui ressemblait déjà plus à ma vie que j'étais presque content de retrouver (même si je puais un peu sous les bras).

Bon Olivier, c'est quand la prochaine télé ?

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Pour visionner l'émission, c'est ici :

http://www.rts.ch/play/tv/la-puce-a-loreille/video/la-bonne-planque?id=8230295


  • Je viens de lire ta chronique qui date de décembre déjà. (Où j’pouvais bien être en décembre, moi ? A l’hosto surement.) Elle a 69 lecteurs au compteur et pas un seul commentaire. Est-ce normal ? Je ne connais pas bien, les us et coutumes du site, j’arrive seulement. (Où j’pouvais bien être avant d’arriver ? En psychiatrie surement.) Bref, donc, je me dis, (j’ai quand même le droit de me parler à moi-même, merde !) Je me redis donc que c’est une injustice flagrante et en tant que justicier masqué et maculé je vais y remédier sur-le-champ d’honneur. Maintenant qu’est-ce que je pourrais bien trouver à dire, qui bien qu’inintéressant au possible, ne soit pas trop con, non plus.) Je cherche… je cherche… Ah, oui, voilà ! Tu ne le sais peut-être pas, pour ne pas me connaître du tout, (je ne t’en veux pas, je suis plus inconnu que le soldat) nous avons deux points communs en grande littérature majeure :
    Un, l’emploi abusif des parenthèses ((bien que je ne sois qu’un débutant à ton côté (je le mets au singulier, car je n’ai jamais compris comment on pouvait être des deux côtés à la fois d’une personne) je n’arrive à enchâsser que la double parenthèse, alors que tu en as une triple dans ta chronique. Bravo !) Bon, là, je suis perdu, je ne sais plus s’il en manque une, tant pis, on s’en fout.
    Deux, l’emploi abusif du mojito pour écrire. J’ai contracté cette manie dans les pays chauds, au point que souvent je ne me mets devant le clavier que pour me servir un verre que je bois sans écrire un mot, puis un deuxième, idem et plus si affinités physiques (la résistance, pas le sex appeal) si bien que j’arrive à être bourré sans avoir entaché particulièrement la belle littérature de notre patriotiquement belle France, d’une seule de mes inepties.) C’est un peu long, parce que je ne savais plus comment m’en sortir, t’es pas obligé de lire jusqu’au bout, tu ne rateras rien. Allez courage et porte toi bien, je vais me resservir tant que c’est encore chaud… froid, j’sais plus, on s’en fout. (Où j’pouvais bien être avant de boire, moi ? J’sais pas… A ta santé !)

    · Il y a presque 7 ans ·
    Photo rv livre

    Hervé Lénervé

    • Merci de flatter mon ego (tout en évoquant le mojito et la parenthèse). C'est pas tous les jours !

      · Il y a presque 7 ans ·
      Jean fabien2

      jean-fabien75

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