Une page

jokerdealer

J’ai envie d’écrire quelque chose. Un récit  avec du style et de la verve.

Quelque chose d’émouvant et de fantastique, comme dans les Jules Verne de mon enfance  que je continu à relire avec plaisir. J’aimerais trouver un personnage charismatique qui se ferait porte-voix de mon imagination. Encore faut-il lui trouver un prénom qui corresponde à son caractère…

Car voyez-vous, à chaque fois c’est la même histoire. Je m’installe bien confortablement sur ma chaise, je me fais craquer les doigts et je réfléchis. Je prends une grande inspiration, et à défaut de pouvoir la garder, je commence à m’avachir en contemplant un sordide spectacle : La Page Blanche.

 On s’y enfonce, toi lecteur qui ne peut pas me lire, et on divague dans le Rien avec une furieuse envie d’y introduire des mots. On perd patience et nos yeux se noient dans le vague. Nos doigts, impuissants, se tiennent au garde-à-vous dans un immobilisme désolant. Soudain ils pianotent timidement par saccades, quelques bribes, un verbe, un adjectif, un prénom, une métaphore, une phrase, puis une seconde, puis une troisi…… Non décidemment ça ne vas pas. J’efface tout sans même relire et je me retrouve à nouveau en moi-même.  

J’essaye de comprendre ce qui ne fonctionne pas chez moi. Ce n’est pourtant pas l’envie qui me manque. Mais elle m’intimide, cette page blanche, elle me fait baisser les yeux car je me sens incapable de l’honorer, là ou d’autres ont su la combler de haut en bas.

Quand on y pense, des philosophes, des romanciers, des poètes, des musiciens, des mathématiciens, des physiciens, des docteurs renommés, des hommes politiques, d’églises, des éminences ont commencé par une page blanche pour y écrire ensuite leurs fantasmes, leurs théories, leurs discours...

Oui c’est terriblement intimidant. Victor Hugo se tenait devant cette même page avant d’y accoucher Les Misérables. Zola, Stendal et Flaubert se sont enfoncés petit à petit dans leurs sièges avant de déflorer leur feuille vierge. C’est un passage à l’acte, un dépucelage littéraire. On a peur de faire mal, d’être maladroit et de ne pas savoir s’y prendre correctement.  Il s’agit par ailleurs de ne pas être précoce pour sa première fois, et à chaque fois que  je tente d’écrire je baisse la lumière.

J’aimerais en remplir au moins une. Que je puisse la relire à loisir et me délecter du plaisir de revenir sur mes phrases, y insérer par ici une modification, par là un effet de style farfelu fantaisiste et fascinant. Une allitération ? Ajouter, enlever, hésiter, corriger,  ajouter à nouveau une virgule. Chasser les fautes d’accord et d’orthographe, même si certaine ont la vilaine habitude de jouer à cache-cache avec moi. Qu’elle soit agréable à lire surtout, cette page. Qu’on se surprenne à reprendre certains passages car ils ont éveillé notre curiosité en éclairant une pensée obscure.

Qu’à la lecture des derniers mots on ait l’impression de la quitter trop tôt.

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