Une promenade
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A l'instant où je franchis le seuil de l'appartement, je suis saisie par la fraîcheur de l'air, contrastant avec l'atmosphère surchauffée de la soirée que je quitte.
Machinalement, je resserre mon écharpe et enfonce les mains dans les poches de ma veste.
Une vingtaine de minutes me sépare de la maison.
J'apprécie toujours cette promenade qui clôt une soirée festive. Je profite de la balade pour dégriser, laisser s'apaiser l'euphorie d'un dîner un peu arrosé, oublier les mots prononcés trop vite ou trop forts et les rires maladroits.
Rentrer chez moi.
Un temps si quotidien et pourtant toujours empli de surprises.
Ce soir, sur ce trajet pourtant parcouru des dizaines de fois, je sens pour la première fois les effluves de géraniums qui émanent de la jolie maison fleurie, juste au dessus de moi. Je savoure d'autant plus la suavité de leur parfum que je sais qu'il sera bientôt anéanti par l'écoeurante odeur des égouts qui enrobe toute la ville sitôt la nuit tombée. Seul le four à pizzas du restaurant au bout de la rue pourra en détourner mon attention l'espace de quelques secondes. Si j'ai un peu de chance, je profiterai aussi du sillage du coûteux parfum de ma voisine sortie promener son énorme chien.
L'air se fait plus humide et je sens une légère bruine me transpercer. Je frissonne.
Plus que quelques pas et je quitterai l'inquiétant silence des quartiers résidentiels qui ne se laisse troubler que par les miaulements rauques de chats en quête de l'âme soeur d'une nuit et le claquement de mes talons sur les pavés.
Plus que quelques pas et je me laisserai guider par les rires des terrasses, la musique toujours trop forte des bars branchés, le tintement de la vaisselle à la plonge et le froissement des sacs poubelle jetés sans ménagement sur les trottoirs.
Je suis trempée et, déjà, je grelotte. Comment cette petite pluie à peine visible réussit elle à vous pénétrer en si peu de temps?
J'allonge le pas.
Plus qu'une rue à remonter et je serai chez moi.
Je manque de heurter un homme qui titube vers moi. Les vapeurs d'alcool qu'il dégage suffiraient à m'enivrer.
Dans deux cents mètres, je serai chez moi. Les derniers mètres sont toujours les plus longs.
Bien des années après avoir quitté ma montagne, je suis toujours submergée par la diversité des sensations qu'offre une promenade en ville. Les parfums tantôt sophistiqués, tantôt nauséabonds. Le silence absolu brutalement rompu par un fracas qui me fait sursauter et battre le coeur à tout rompre. Les promeneurs croisés avec plaisir et ceux que j'ai hâte de laisser derrière moi.
J'ai beau aimer cette animation nocturne, je ne peux m'empêcher de souvent regretter la monotonie de la région qui m'a vue grandir.
L'odeur de foins coupés, la majesté toujours renouvelée des couchers de soleil sur les volcans, le mugissement des vaches dans leurs pâtures et le doux tintement de leur cloche qui m'accompagnait jadis lorsque je regagnais mon foyer où m'accueillait le crépitement et l'odeur âcre d'un feu de cheminée, le bonheur enfantin du crissement de mes pas dans la neige, la contemplation des étoiles de glace dans mes cils gelés et l'emballement du coeur au hululement d'un oiseau étranger ou au craquement inattendu d'une branche.
Cet ensorcellement que seule sait procurer la nature me manque.
Je suis arrivée.