Une rencontre
brooder
Dieu, ce déguisement du néant c'était nous. Chacun tissant sa toile, on s'était rencontrer par ennui ou peut-être était-ce la pitié qui nous fit oublier nos rancunes. Nous tirions notre énergie du vide. C'était en nous et autour de nous. C'était parfois des gouffres, parfois des murailles. Chacun seul dans sa prison. Comment c'est venu ; un trop plein ou une noyade et alors seul c'était plus possible et puis il y avait les contingences aussi. Alors il a bien fallu se raconter une histoire, faire comme si nous n'y étions pour rien, que c'était plus fort que nous, que c'était la première fois et sûrement la dernière. Chacun voulait bien porter le chapeau de l'autre, nous y prenions un certain plaisir. On en rajoutait même pour son propre plaisir. Rien n'était trop beau pour l'autre, on se connaissait trop bien, soi et l'autre. Cela ne pouvait pas être le fruit du hasard, tout allait s'expliquer : ce que nous faisions là, la raison de notre rencontre. Ce n'était pas seulement pour guérir nos blessures, il devait y avoir une autre raison. La preuve c'est que pour chacun de nous la vie continuait comme avant mais elle avait un autre visage, le visage de l'éternel. Je ne l'avais pas oublié mais les circonstances faisaient que c'était déplacé ou au contraire trop prévisible dans ce lieu. Toujours imprévisible pour moi il se faisait pour une fois domestiqué. C'était imprévisible parce qu'on était chez les fous mais c'était un hôpital après tout. J'avais l'habitude de donner de ma personne et j'étais près à me faire à tout, à tout admettre même pour un peu d'espoir.
Ce n'était pas non plus le lieu de l'innocence, il a bien fallu que je mette une croix dessus une bonne fois pour toute mais comment faire pour continuer le jeu quand même. Ce lieu marquait notre échec. Pire que tout, cela semblait être de notre volonté, nous étions à la vue de tous. Pourtant nous venions tous de lieux différents, nos parcours ne se ressemblait pas mais ici il n'y avait plus aucune différence, tout était semblable et ne se distinguait aucunement. J'essayais de pendre aux murs de l'hôpital des peintures que nous faisions à des ateliers mais elles perdaient vite leurs couleurs. Rien ne laissait trace très longtemps. Il fallait que je fasse de gros efforts de concentration pour me souvenir de mes intentions. Peu à peu l'instant s'évanouissait. Le temps semblait hoqueter.
Elle chipait de l'argent à droite à gauche. Ses origines, son histoire, sa vie n'étaient que tissus de mensonge. Quant à savoir ce qu'elle faisait dans cet hôpital, si c'était vrai ce qu'elle racontait, comme je ne le savais pas pour moi-même, je ne me posais pas la question. De toute façon quand l'on se pose la question de la vérité ou du mensonge, c'est soi-même que l'on interroge et j'étais déjà assez bien en peine comme ça. Les « tu es agréable avec toi je peux dire n'importe quoi » et les « si à 40 ans l'on ne sait pas qui l'on est …» ce succédaient donc.
Très vite je perdis pied, et si tout n'était pas désespéré. Cela me désolait. Le sens n'y étant plus, je compris que le désespoir n'était en fin de compte qu'un masque des bonnes manières. La vérité nécessitait autre chose qu'une mollesse de bon aloi.
Il n'y eu plus de gouffre ni de muraille mais seulement des monstres que je contemplais sans les entendre. Ainsi la vérité demeurait une évidence malgré toutes les bonnes intentions que ma volonté dominait contre vents et marée. Il semblait bien que tout cela ne mène nulle part ailleurs qu'à tourner perpétuellement dans une farce sans nom.
Cela ne pouvait pas continuer ainsi, il fallait que l'histoire prenne enfin son envol pour trouver une issue qui sauve les apparences. Quelque chose pour retrouver son souffle en quelque sorte, pour deviner dans qu'elle circonstance il nous en avait été enlevé. Les différents emprunts soulevaient en nous des relents ignorés et suscitaient des mouvements brusques et sauvages, nous poussant plus loin encore dans la nuit.
Seul souvent devant mon assiette, le ventre se remplissant, l'appétit se satisfaisant, il m'arrivait pendant la sieste, la conscience au repos, de me retrouver. Cela ne durait pas mais j'ouvrais les yeux enfin en paix.
C'est venu en s'accumulant, les traces se sont transformées en preuves et les preuves en évidences. Depuis toujours les nuages voilaient mon ciel, les nuages à l'horizon étaient noirs et il fallait bien avancer. Averses après averses, je rentrais dans le déluge.
Dans la nuit j'entendis les cris d'une femme se plaignant du bruit auprès des jeunes en bas de l'immeuble. Rien ne pouvait me sortir de mon sommeil. Je me rendormis et une éternité plus tard, l'envie d'uriner m'en retira et cette fois je sentis bien que s'en fût finie de ma nuit.
Quel était le file de ma vie ? Peut être est t-elle comme celle de ce brave homme, se pliant à tous les désirs de sa mégère de femme et qui un jour devant un plat de nouille refusé par elle, ulcéré une fois de trop, sorti un revolver et tira. La justice ne se prononça pas sur sa culpabilité. L'homme se demande toujours s'il a tué sa femme et si elle est morte d'une crise cardiaque.
Rien ne pourrait me sortir de ma sidération sauf peut-être l'envie d'aimer.