Until the end

manille

Née dans le premier hôpital à avoir créé un bébé éprouvette, une avancée scientifique révélatrice d’un monde qui fout le camp ? Engendrée par une femme et un homme qui, un jour, se sont promis amour et fidélité pour toujours…toujours hum, ça veut pas dire « durée illimité ». Alors voilà j’apprends le monde, mon rapport à lui, les limites de ma chair, mon reflet dans le miroir, dans le regard des autres, bref l’apprentissage de la vie, le truc des carrés dans les ronds, même si je ne suis toujours pas convaincue.

Scolarité médiocre, amis… parfois mal choisis, progressivement je deviens la génération Y. La 2.0 si vous préférez, accroc aux technologies, éduquée pour être carriériste, des femmes en mal d’indépendance, des hommes sombres et craignant les rides, toujours plus connectés, toujours plus sociables… enfin à ce qu’il paraît.

Je suis née dans un monde où nous, êtres humains, sommes les meilleurs, les bêtes suprêmes, capable de transformer un champ en complexe immobilier, assoiffés par la  conquête. Oubliant que nous sommes de simples locataires, des gens qui arrivent, qui partent et qui bousillent entre temps. Il paraît que notre irrésistible faim d’avoir, nous détruira… enfin pas nous, probablement les suivants, ceux dont on se moque. Notre élément de prédilection, la Terre, ne nous suffit plus, on prend la mer pour notre sœur et on s’étonne que les requins tirent la tronche et que les coraux crèvent, mais on s’en fout. La nature nous a prouvé son indépendance, sans pitié, elle ne cessera de nous chambouler,  pauvres quilles à faire tomber. Alors on continue comme une vengeance destructrice et vaine, on surconsomme par peur de ne plus avoir pour ne plus être. On balance les trucs qui marchent plus, de toute façon ils ont 6 mois, c’est dépassé. On remplit nos frigos, on jette ce qu’on n’a pas eu le temps de manger et on recommence. La conservation ? Euh mot inconnu au bataillon, d’ailleurs le Larousse 2020 n’en parle pas. Alors non on ne conservera pas notre terre, on ne conservera pas leur mer. La médiation ? Le Partage ? Les conneries d’un fou qui aurait dû se taire, le jour où il a pondu ça.

Et moi ? Si je ne meurs pas noyée, je mourrais probablement d’un cancer ou du SIDA, c’est possible que je me fasse assassinée ou que je me suicide, ou alors je peux mourir naturellement assise derrière mon bureau parce que ça fait 60 ans que je m’acharne à gagner ma vie. Avant ça ? Je serais sourde probablement, la hi-sick, et puis je peux devenir alcoolique. Je deviendrais folle, alors on dira que j’ai Alzheimer, sans se demander si je n’ai pas de bonnes raisons d’oublier. Et comme je serai chiante, mes enfants et petits-enfants, viendront moins me voir et comme ils m’en voudront de plus pouvoir voir de phoques au zoo d’à côté. Ils m’en voudront, parce que je savais, parce que je n’ai pas prévenu, je leurs ai pas dit, que notre égoïsme nous a poussé à tout remettre au lendemain, celui qui n’arrive jamais.

Aussi bête que je puisse être, j’ai confiance, j’ai envie de croire qu’un jour on y trouvera notre compte, qu’un jour on apprendra à devenir des locataires modèles, soucieux de laisser notre bout de terre aussi beau qu’il était en venant, pour que les prochains jouissent d’une vie aussi belle que la nôtre. Et ce n’est pas une question de politique, c’est beaucoup plus que ça, c’est l’existence d’un être vivant par rapport à son environnement, sa capacité à en prendre soin, autant qu’il a su prendre soin de nous. 

Je ne suis qu'une masse. 

Signaler ce texte