ustaM

wikprod

L'après-midi s'étirait interminablement dans la salle de classe, on n'en voyait plus le bout. J'attendais, on attendait tous en regardant la course immobile des aiguilles sur le cadran de l'horloge noire aux chiffres blancs. Dehors, la vie indifférente suivait son cours flegmatique. C'est marrant, la vie, je me suis dit à ce moment-là. La vie c'est comme une mère avec plein de gamins qui lui traînent dans les pattes. Ils crient, ils braillent, ils se battent, ils dorment, ils rient… Ils font des trucs que les gamins font. Mais la vie, elle, elle s'en fout. Elle continue à avancer malgré tout, l'innombrable mère et ses innombrables chiards.

Dehors, donc. Dehors, les nuages défilaient, le vent soufflait, les oiseaux… oisillaient. La fenêtre de notre salle de classe donnait sur le terrain de sport entouré de son grillage grinçant sous le vent. Un terrain de foot, divisé en deux terrains de hand/basket, entouré par l'anneau écrasé de la piste de course. On a fait ça bien, dans notre bahut. On a un soucis de place, dans notre bahut. C'est à ce moment-là que je le vois. Il est là-haut, sur le toit, au-dessus de l'horloge, encore une horloge, l'horloge blanche aux chiffres noirs. Il est 14h27, cette journée est la plus longue du monde, et le mec est monté sur le toit, et le mec se tient sur le bord du toit, et le mec va…

« Putain, regardez, y'a Matsu y va sauter ! »

Cris d'étonnement, brouhaha, on se presse tous aux fenêtres. Matsu, merde, y va pas sauter quand même ? Si, tu crois ? Il est pas un peu taré, Matsu ? Il est pas un peu gay ? Merde c'est pas tous ces trucs qu'on lui a dit ? Qui ? Tu sais, les mecs là, de la 7B, au dernier cours de gym. Ah les gros cons ? Oui, voilà, les gros cons, oui mais c'est trop tard, tout ça c'est fait. Et son casier, t'as vu son casier ? Je savais bien que ça arriverait, je vous l'avais dit, ce mec est un taré, tous ces genres de mecs sont des tarés… Regagnez-vos places, s'il vous plaît, restez calmes, je vous en prie, ce n'est pas quelque chose dont il faut se moquer, c'est…

Trop tard, le prof n'arrivera pas vraiment à calmer les élèves. La plupart, nous, on, a déjà sorti nos téléphones portables pour filmer ou prendre des photos.

Hé Matsu, Matsu ! Te rate, pas t'es filmé ! Matsu fais pas le con, on t'en veut pas si tu suces des bites ! Putain mais ta gueule, t'es con ou quoi ? Oh ça va j'déconne... Hé Matsu !

C'était l'après-midi. Quelque part en ville, des employés municipaux devaient tondre la pelouse car je me souviens d'une odeur d'herbe fraîche qui flottait sur le lycée. Je cherche Camille des yeux. Elle est là, là-bas. Elle regarde Matsu, les yeux écarquillés. Elle a vraiment l'air inquiète pour lui. Mais non, ce n'est rien, je regarde ses seins qui pressent sous son uniforme, il ne va pas sauter, il va se calmer, les adultes vont faire un truc, l'odeur de l'herbe coupée, les ombres de sa jupe, les ronds de craie sur ses fesses rebondies, il n'y a rien à craindre, un nuage traine dans le ciel.

Le vent, l'herbe fraîche, le bruit du tram, un avion qui passe, Mastu qui saute.

Matsu saute mais… Mais il ne tombe pas. Au lieu de ça, Matsu monte. Il décolle, il s'envole. On le suit tous des yeux, dans le ciel. Rapidement, ce n'est plus qu'un petit point blanc dans l'azur. D'ici on dirait un oiseau, vous savez ceux qu'on dessine en V parce qu'on sait pas vraiment dessiner des oiseaux de loin et que c'est plus joli comme ça. Bah il ressemble un peu à ça Matsu, un oiseau en V. Puis il disparaît. Tout le monde baisse la tête, visiblement déçus. Ils n'ont pas pu prendre des photos. Bon, ce n'est rien, dit le professeur. Tout le monde retourne s'asseoir, on continue la leçon. Camille va s'asseoir. Elle me regarde vite fait mais ses yeux sont vides, je contemple le nacre de son âme. Elle pense encore à Matsu. Pour quoi faire ?

Je m'assois et enfouis la tête entre mes bras. L'après-midi s'étire interminablement dans cette longue journée qui s'achève. Je regarde l'horloge. Il est 14h23.

Comme le temps est long depuis que les jours vont à rebours, je regarde dehors et les nuages reculent dans le ciel, je regarde dehors et ce soir il fera jour.

Il est 14h22, et l'après-midi s'étire interminablement, comme un chewing-gum collé à une basket sur un sol brûlant.

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