V. est mort hier

Zoé Lombard

V. est mort hier.

V. est mort hier et dimanche le soleil revenait déjà. Dehors, les gens allaient et venaient comme à l'accoutumée, loin de se douter du drame où nous étions plongés. Nous glissions parmi eux sans que la foule ne puisse nous absorber tout à fait. Aujourd'hui, nous étions étrangers à nos pairs, nous portions ce lourd secret qui nous séparait du reste du monde. V. était mort.

Pourtant, rien n'était différent, nous avions une tête, deux bras, deux jambes. Comme tout le monde. Bien sûr, si l'on avait pris la peine de s'approcher de notre visage, on aurait pu deviner les traits tendus, les yeux gonflés, les lèvres serrées, encore que ce portrait ne soit pas inhabituel dans les rues de Paris. Et nous allions, semblables à tous les autres. Dedans, nous étions vides. Nous portions un trou béant, une plaie à vif, cruelle, insupportable et, malgré tout, invisible. Désespérément invisible.

J'aurais voulu crier, tempêter, me débattre. Hurler mon chagrin à la face du monde. Par pudeur je me retenais, à moins que ce ne soit par faiblesse. Quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, le deuil est solitaire. De toutes mes forces, j'appliquai sur ma plaie le cataplasme des sourires, des mots de soutien, des mains tendues sans parvenir à combler l'absence. Le vide vertigineux laissé par l'absence.

Pendant un long moment, le temps m'apparut comme suspendu, arrêté. Compagnon de mon malheur. Aussi, lorsque le jour se leva, le lendemain, de la façon la plus ordinaire qui soit, je fus surprise. A quoi ressemblait le monde maintenant que V. l'avait quitté.

Je sortis dans la rue d'un pas hésitant. V. était mort et moi je marchais. Je me mêlais à la foule, finirai bientôt par y disparaitre, par m'y noyer. J'avais peur si je baissais ma garde de perdre l'étincelle qui me reliait encore à mon deuil. Je m'assis sur un banc, à l'écart du passage.

Je ne sais combien de temps j'y restais, perdue dans la douceur des souvenirs et des images. Quand je revins à moi, le soleil était déjà haut dans le ciel et ses rayons me caressaient le visage. Je m'y abandonnais sans réserve. Le soleil continuait sa course, la vie reprenait.

J'étais en paix. 

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