Vent, moucherons etc

Sophie Marchand

Alors ils avaient fermé la porte bien hermétiquement...

Il s'était levé, un vent qui avait traversé les montagnes enneigées et qui glaçait.
Iris était allongée sur le canapé, elle entendait le vent en stéréo, il s'engouffrait, grondait dans le conduit de cheminée et à l'extérieur, il soufflait puissamment et cela la faisait frissonner de plaisir, c'était sa musique préférée sur laquelle ses pensées pouvaient s'envoler, vers son ami par exemple, qui lisait, installé sur l'autre canapé.
Alors, elle se redressait et se lovait contre lui passant sa tête sous son bras en évitant de gêner sa lecture puis d'autres idées lui venaient alors, elle se relevait et le chevauchait. Celui-ci se décidait à abandonner son livre et lui disait d'un ton rieur « ah oui, c'est dimanche aujourd'hui et c'est le tiercé, l'Arc de triomphe peut-être » et il poussait un hennissement et entamait une cavalcade qui la projetait rapidement parmi les étoiles.


La vie s'écoulait et c'était le bonheur mais elle ne prononçait jamais le mot par superstition bien sûr, car elle se disait que tout pouvait basculer, il suffisait parfois de pas grand chose pour que tout se transforme en cendres et poussière, il n'y avait qu'à lire les journaux, écouter la radio, pour comprendre que tout n'était qu'une suite de faits divers plus horribles les uns que les autres, que leur bonheur était un îlot au milieu de la Mer des gémissements.
Alors ils avaient fermé la porte bien hermétiquement et leur maison était devenue leur royaume, un royaume hanté par le bruit du vent.


Le grain de sable était déjà là malheureusement, le ver était dans le fruit.
Cela avait commencé innocemment par une lampe qui avait été installée au milieu du séjour, elle baignait de lumière toute la journée une série de plantations très inoffensives et tout à fait licites, des salades, du persil, des tomates, du coriandre etc. et tout cela croissait dru vers le plafond provoquant un plaisir sans pareil au roi de ce royaume qui ne rêvait plus que de nouvelles lampes et de nouvelles plantations. Celles-ci ne tardèrent pas à envahir la maison amenant un florilège d'insectes, moucherons en tout genre et qui venaient chaque matin à son grand dam, se noyer par escadron complet dans le café de la reine de ce royaume.
Un jour n'en pouvant plus, elle confia au vent mauvais les plantations et les lampes de malheur. Le jardinier ne s'en remit pas et pour se venger mit fin aux cavalcades du dimanche, la joie déserta la maison.

Il fallut attendre que le vent se calme, que la brise du printemps sème de nouvelles graines et apporte du baume aux cœurs pour entendre de nouveau de joyeux hennissements.


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