VENTS CONTRAIRES
Melvin Dia
Ce trajet combien de fois l'ai-je fait ?! Barcelone - Paris, Paris - Barcelone. Un avion, des roues qui grincent, un moteur qui s'emballe, et un coeur qui se serre aussi. Barcelone au mois de mai, sous la pluie ! Quelques jours rapides en Catalogne, en mai, oui sous la pluie ! Du jamais vu. Étrange printemps vraiment ! Vents contraires...
Et puis ces mots qui reviennent d'un jeune du quartier, du Raval, quelques mois plus tôt : «Espana se ha hecho a la mierda» ( L'Espagne est partie en couilles ) et cette volonté, ce désir exprimé, bien qu'aimant Barcelone, d'aller tenter sa chance en Angleterre, en Allemagne, mais ailleurs, comme tant de jeunes espagnols expatriés ces dernières années. Comme trop de jeunes espagnols abandonnés à leur propre sort.
Alors que suis-je venu faire ici, en pleine crise ? Comme d'autres ! Vents contraires : les uns s'en vont, d'autres arrivent. Tous des migrants ? L'un s'en va, l'autre arrive. Non des privilégiés, un privilégié parmi d'autres. Et un passeport, le bon. Français, italiens, suédois... Pas des migrants dans ce cas mais des expats ! Un européen parmi des européens, donc un privilégié. C'est ainsi, mais ne pas l'oublier. Et payer sa dette un jour.
Oui pourquoi suis-je venu ? Ne pas esquiver une fois de plus. Question qui trotte depuis le début. Près de six ans déjà !
Bien sûr il y a eu, la version live de l'auberge espagnole, ce mélange de nationalités, de visages nouveaux, de drogue, d'alcool, de mojitos, de sorties qui s‘entrechoquent. Rencontres faciles. Des lits que l'on ne reverra plus. Certains visages sont restés. Pas toujours celles ou ceux prévus. La vie, ses surprises. Des expériences...
Mais une réalité souvent plus triviale. De longues ballades dans la ville. Barcelone et ses passages : paseo de Gracia, paseo San Juan, paseo Maritim !!! La mer ! Les hauteurs, La montagne, Montjuic, Tibidabo ! Des petits rues aussi, exigües, le Gotico, le Born, le Raval ! Des restaurants, des bars, des lieux inattendus...
Et ce simple sentiment de liberté. Indifférence : « le da igual aqui» me dit si bien l'ami italien, ce soir de mai où la pluie tombe fort dehors !
Ce besoin de partir à un moment. Critique ? Faut-il mettre en comparaison deux villes, deux pays ? En Espagne on vous fout la paix, en France on vous les casse tout le temps. C'est ainsi. Mais on mange mieux en France, avec un raffinement inégalé, qui tourne souvent au snobisme.Etc... Mais pourquoi comparer ? Pourquoi choisir ? Pourquoi ne pas se laisser porter par ces vents contraires ?
Vents contraires ? Facile diront certains. Ceux qui vous connaissent parleront de vaste escroquerie, de retournement de veste : " Escroc, opportuniste ! Que fais-tu ici ? " Après avoir tant critiqué ! ". La situation l'exigeait, l'exige toujours, de se regarder en face. Et l'on n'est jamais tout à fait celui qui écrit, heureusement. J'assume tout. « Ouais mais c'est facile de revenir après avoir tant craché dans la soupe. Elle n'est pas si mauvaise la soupe, hein ? » Et les conditions économiques incontestablement meilleures, oui. Surtout la prise de conscience de trente-cinq ans de vie passées avant de partir. Et Paris au printemps, irrésistible !
Les raisons qui m'ont poussé à partir ? Elles sont au fond assez communes pour être sincère. Et assez partagées avec d'autres ici ou ailleurs. Besoin comme une nécessité de prendre l'air, de se ressourcer, à quelques milliers de kilomètres..
Et surtout un coup de foudre : Barcelone mon amour ! Barcelona tu ne m'as jamais trahi ! Des mots reviennent, ceux que me disaient un ou une espagnole (je ne sais plus trop) en arrivant ici il y a maintenant près de six ans « tu verras ici on ne te fera pas chier, on te laissera tranquille ». Ils font écho ce soir.
Les matches du Barça regardés d'une terrasse, où simplement la rumeur de la ville, du quartier, du raval, remontant du balcon. Ou ces terrasses grandes, larges, toujours animés avec ou sans match. Des vieilles, des vieux sur des bancs qui discutent, qui rient et les chiens qui tournent autour.
Bruyante, calme, une ville qui s'indiffère de vous : percé, tatoué, ou simplement banal soyez qui vous voulez ici. Je suis resté, hésitant parfois, mais la ville, elle ne m'a jamais trompé! Elle m'a toujours ressourcé ! Je suis revenu, reparti... Poussé par des vents contraires... Et le lien ne s'est jamais rompu...
Et ces raisons qui poussent dans l'autre sens, sens contraire, à revenir ? Paris toujours si belle en mai, au printemps, et souvent en août aussi quand elle se vide. Si compliquée en dehors. C'est ainsi. On l'aime Paris !
Ce même lien, ce même fil qui me relie, trente, trente-cinq plus tard à toutes ces personnes dans cet hexagone. Nous. Ni par la couleur, ni par l'origine, mais bien par le vécu. Sentiment encore éprouvé récemment en ce début mai (20 ans, 40 ans). Et ces certitudes, je l'ai écrit déjà qui se sont transformées en nuances de gris, emportées par des vents contraires.
Barcelone un soir de mai, je sors d'un restaurant, les meilleures pizzas de la ville ! Avec un ami italien bien sûr ! Et la pluie, juste à ce moment, s'est arrêtée de tomber. Le beau temps revient parait-il demain après trois jours dégueulasses.Mais demain c'est Paris ! Pairs en mai !
Vents contraires, drôle de printemps et pas seulement par ce que toutes les saisons s'y seront mêlées, croisées, chaud, froid, pluie, soleil. Bien des contraires...
Melvin DIA.
11 mai 2016
Chronique issue du recueil "Je vous vois de loin", éditions BCN.