Vert de peur

Gilbert Libé

LÉO est un sexagénaire taciturne. Il vit seul depuis longtemps à la campagne et décide de revenir en ville où il possède un petit appartement. Il voit sa vie bouleversée par l'irruption d'un couple de militants écologistes qui ont élu domicile dans son appartement qu'il n'habite plus qu'épisodiquement. Les squatters, THÉO et sa petite amie, ELSA, militants écologistes radicaux veulent imposer à Léo l’installation d’une éolienne et la culture de légumes bios sur le balcon. Arrive alors l’ex-femme de LÉO, LÉA dont il a divorcé il y a 20 ans, qui revient vers lui après le décès de son mari. Elle est chercheuse en climatologie et lutte contre la pensée unique. Léo reprends goût à la vie à son contact et retombe amoureux d’elle. Le couple squatter et la scientifique vont s’affronter sur les causes « du réchauffement de la planète ». LÉO soutient LÉA et démontre au couple qu’il est victime d’une manipulation culturelle à des fins politiques. ELSA et THÉO, après s’être séparés, retrouvent leur intégrité et leur amour en s’engageant aux « restos du cœur » et au Droit au Logement après être passés par les dédales du pouvoir en place. 

Le texte intégral version papier ou numérique est disponible sur : http://www.edilivre.com/doc/20283/Vert-de-peur_Une-comedie-ecologiquement-incorrecte/Gilbert-Libe


EXTRAIT :

« Qui contrôle la peur contrôle les âmes » - Machiavel

 1.

Un salon avec un coin cuisine, une entrée, une porte vers une chambre, une autre vers un cabinet de toilette. Un couple est dans l’appartement. Lui, Théo, une trentaine d’années est assis sur un canapé et lit. Elle, Elsa une trentaine également est occupée dans le coin cuisine avec une plante verte. Soudain, on entend la serrure de la porte d’entrée s’ouvrir. Le couple cesse toute activité et se tourne vers l’entrée. Après quelques hésitations, la porte s’ouvre enfin et apparaît un homme, Léo, d’une cinquantaine d’années avec une valise à roulette dans une main et deux sacs dans l’autre. Il se retourne instantanément vers la porte pour la refermer, gêné par les paquets qui l’encombre. Il n’a pas vu le couple. La porte refermée, il se retourne et reste ébahi, sans voix face au couple…

THÉO & ELSA (en cœur)

Bonjour !

LÉO : (hésitant)

..Jour…

THÉO :

Vous êtes qui ?

LÉO : (restant muet)

…/…

ELSA :

Oui, vous vous êtes trompé, non ?

LÉO :

Bah, Euh, je ne sais pas…

THÉO :

Vous ne savez pas où vous êtes, c’est ça, sans déconner !…(à Elsa) Il a perdu la mémoire ?

ELSA :

Tu crois ? Il n’a pas l’air…

THÉO:

…Tu sais, c’est ça les amnésiques.

ELSA:

Non, il n’a pas le profil !

LÉO  :

Euh ! Excusez-moi, mais que faites-vous là ?

ELSA:

Eh bien, on est chez nous, quelle question…

THÉO :

Oui, justement on se disait : tiens, un inconnu qui se trompe d’appartement  pourquoi on l’inviterait pas à l’apéro ? 

ELSA:

Bien sûr, avec un type comme vous qui a récupéré la clef on ne sait comment, on peut trinquer !

LÉO :

Attendez là… Laissez-moi réfléchir…

THÉO : (à Elsa)

C’est la mémoire, je te dis…

LÉO  

Non, je vous en prie, taisez-vous !

ELSA :

Eh là, sur un autre ton, s’il vous plait.

THÉO:

Il est gonflé, le mec. Il débarque à l’improviste, on lui offre l’apéro et en plus il nous engueule !

LÉO :

Non, vous n’y êtes pas…Excusez-moi…Je, je suis simplement surpris de trouver quelqu’un chez moi…

ELSA:

Comment ça, chez vous ?

THÉO :

Oui, comment ça ?

LÉO  :

Je ne suis pas venu depuis 8 mois.(Un temps) J’ai loupé quelque chose là…

THÉO :

Sans aucun doute.

ELSA:

Ca fait 6 mois qu’on est là, nous !

THÉO :

Ca y est. Je comprends. Vous avez quitté l’appartement à la fin du bail…Et vous ne vous en souvenez plus, c’est ça ?

LÉO :

Ne m’emmêlez pas, je vous prie…

ELSA:

Écoutez, vous avez des preuves ?

LÉO :

Des preuves de quoi ?

ELSA:

Et bien de ce que vous avancez, pardi !

LÉO :

Comment voulez-vous que ….Je ne trimbale pas sur moi mon acte de propriété.

THÉO :

Sans déconner, il se prend pour le propriétaire maintenant !

ELSA:

Allez, stop. On arrête tout…

THÉO :

…On recommence.  S’il vous plait, allez à la porte et refaites votre entrée…

LÉO : (toujours dans ses pensées)

Je rêve, oui c’est ça je rêve. Je suis dans un mauvais film. L’histoire d’un type enlevé par des extraterrestres qui revient chez lui et qui découvre que contrairement à ce qu’il croit il n’est pas parti 5 ou 10 minutes mais 8 mois…

ELSA:

C’est du délire…

THÉO :

Allez, soyez gentil, retournez à la porte et on la refait, d’accord ?

Machinalement, Léo vient se placer devant la porte, dos au public. Après un temps, il se retourne d’un seul mouvement.

 LÉO :

Bon. OK,  je suis chez moi et vous êtes chez moi. ..On va faire les présentations.

ELSA:

On n’en finira jamais…

THÉO :

Si ça peut vous aider. Allez-y.

LÉO  :

Léo. Je m’appelle Léo . Léo Bardi. J’ai cinquante ans et je vis à la campagne depuis 8 mois. Auparavant, j’habitais ici, chez moi, au 113 rue Pasquier,  5e étage, avec ascenseur. J’ai acheté ce deux pièces il y a 20 ans quand j’ai divorcé.

THÉO : (lui coupant la parole)

…Je suis Théo Desgranges, 30 ans,  je vis avec Elsa Ludovic depuis 5 ans et on a signé un bail de 3 ans renouvelable avec le propriétaire Luigi Scarpone il y a  6 mois…

ELSA : (enchaînant)

…En bonne et due forme, le 16 janvier dernier. Je vais chercher le contrat….

LÉO :

Pas la peine, je vous crois. (Un temps)… Le problème est que ce Scarpone n’est pas le propriétaire. Le propriétaire, c’est moi….

THÉO :

Sans déconner ?

NOIR


2.

Les 3 personnages sont assis sur le canapé et discutent.

ELSA:

On s’est fait avoir par cet escroc. On est mal Théo…

THÉO :

Mais non, Monsieur Bardi va reprendre les choses en main. Et puis, officiellement, on est chez nous après tout ! On a un bail, merde !

LÉO :

Vous êtes chez moi. Nuance… Je suis chez moi, même si j’ai eu beaucoup de mal à grimper jusqu’à chez moi… On ne revient pas là-dessus.

ELSA:

Oui, je sais, l’ascenseur a été coupé…

LÉO :

J’en sais quelque chose, j’ai peiné pour monter…

THÉO :

On l’a fait couper.

LÉO :

Comment ça « on l’a fait couper » ?

THÉO :

Oui, trop de CO2 dépensé pour ce petit confort superflu !

LÉO :

Cinq étages à se taper sans ascenseur, vous avez une drôle de conception du confort, vous !  Et qui c’est « ON » ?

ELSA:

Savez-vous qu’un ascenseur c’est 450 Kg de C02 par an, en électricité…Et d’abord tout l’immeuble était d’accord…

LÉO :

Tout l’immeuble ? Et moi, il me semble que cela me concerne, non ?

THÉO :

Tout à fait, d’autant que cette électricité, elle est produite par la centrale thermique de la région.

LÉO : (surpris de la remarque)

Ah bon !

ELSA :

Vous imaginez les tonnes de C02 dégagées par cette centrale !

LÉO :

Mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit ! Qu’est-ce que j’en ai à faire !

ELSA :

Vous êtes vraiment inconscient…

THÉO :

D’autant que en tant que propriétaire, vous allez devoir régler quelques taxes écologiques instituées par l’ensemble de l’immeuble pour payer les charges et discipliner la communauté.

LÉO :

Qu’est-ce que c’est que cette histoire ? Vous croyez qu’on en n’a pas assez comme ça de taxes ?

ELSA:

Oui, mais là ça vient pas de…Qui vous savez…Avec Théo, on a mis en place une antenne de BÉA …

LÉO :

Qui c’est celle-là ? Encore une squatter de plus chez moi ?

THÉO :

Non. Vous n’y êtes pas du tout ! BÉA c’est BLUE EARTH ASSOCIATION l’organisation dont on s’occupe et qui nous permet de lutter contre le réchauffement climatique.

ELSA :

Nous sommes très engagés avec Théo et l’immeuble a adhéré à l’unanimité. On ne supporte plus tout ce CO2 balancé dans l’atmosphère qui va accélérer l’effet de serre et réchauffer la planète…

THÉO :

Avec toutes les conséquences que l’on connaît. La fonte massive de la banquise avec la remontée des océans. L’aggravation des canicules et la multiplication des incendies de forêts. Les Inondations intensives des côtes proches de la mer avec plusieurs millions de personnes obligés de s’enfuir. Et les îles submergées….Les deltas envahis par les eaux et plus encore…

ELSA :

…Le réchauffement climatique, ça fait froid dans le dos !

LÉO :

Pas seulement, ça fait peur votre scénario !

THÉO :

BÉA  a décidé de réduire ses émissions de gaz à effet de serre avec 20 gestes simples au quotidien. (Il donne la parole à Élsa) tous adoptés en Assemblée Générale des copropriétaires.

ELSA :

Je prends des mesures drastiques. Plus de voiture. Le vélo, sauf si je suis obligé. Je pratique l’éco conduite : 218 kg de CO2/an, Je n’utilise pas l’air conditionné dans la voiture : 420 kg de CO2/an. J’utilise pour cuisiner une cocotte-minute : 25 kg de CO2/an (pour le gaz) ; 35/an (pour l’électricité). Je cuisine toujours avec un couvercle sur les casseroles et les poêles : 50 kg de CO2/an (pour le gaz) ; 71/an (pour l’électricité). Je passe 3 minutes de moins sous la douche : 301 kg de CO2/an. Je ne chauffe que les pièces de la maison qui sont utilisées : Emissions économisées selon le type de chauffage, ça fait 290 kg de CO2/an (gaz) ; 390 kg pour le mazout et 405 kg pour l’électricité, soit une moyenne par habitant en France de 364 kg de CO2/an…

LÉO :

La belle vie quoi. ! Épargnez-moi les autres mesures de ce scénario du cauchemar !

ELSA :

Monsieur  Bardi, vous ne vous rendez pas compte. Heureusement que nous sommes là pour vous remettre dans le droit chemin…

THÉO :

Sans déconner, vous êtes un sceptique du CO2 ? (Léo hoche la tête) Si, si, je les reconnais à cent lieues. Vous êtes du genre à enfouir la tête dans le sable en priant que la nature arrange tout ça…

LÉO :

Attendez, attendez…je crois que ce n’est pas la question du jour…

ELSA :

Comment pouvez-vous dire cela ? On va droit dans le mur et vous nous dites que ce n’est pas la question ?

LÉO :

Ce n’est pas ce que j’ai voulu dire…Le réchauffement c’est une chose et mon appart en est une autre… Oh et puis vous commencez à m’énerver.

THÉO :

C’est regrettable, Monsieur Bardi que vous évacuiez de cette façon le problème…Faute d’argument. (Il s’adresse à Élsa) C’est toujours comme ça, avec les anti-réchauffement de la planète. (Il revient vers Léo) Mais soyez tranquille Monsieur Bardi, le thermomètre nous mettra d’accord !

LÉO :

En attendant, la fièvre monte et vous allez pouvoir l’utiliser votre thermomètre…Et pas pour mesurer la température de la couche d’ozone…

THÉO :

Ne soyez pas vulgaire Monsieur Bardi, je vous en prie…

ELSA :

Quand on a plus d’argument, on laisse aller ses réactions primaires : on se lâche.

LÉO :

Bon, on ne discute plus maintenant. Vous allez faire vos bagages et partir. Ma patience a des limites.

THÉO :

Monsieur Bardi. Monsieur Bardi… Ne vous énervez pas. Nous sommes entre personnes de bonne compagnie, intelligents, responsables et sensés, n’est-ce pas ?

LÉO :

(Un temps)…Soit, mais j’ai besoin de réfléchir, d’être tranquille maintenant. Il me faut du repos. D’ailleurs, c’est pour cela que je suis revenu ici.

ELSA :

Mais rien ne vous empêche de vous reposer Monsieur Bardi…

LÉO :

…Arrêtez de m’appeler Monsieur Bardi….Mon prénom, c’est LÉO.

ELSA :

Léo, soyez gentil.  Ne nous jetez pas dehors. Ne nous laissez pas tomber.

THÉO :

Léo, sans déconner, gardez nous avec vous.

LÉO :

J’en sais rien…Je ne veux pas…Je ne peux pas. Je ne sais plus vivre que tout seul…Et puis, ce n’est pas possible, enfin ! Je rêve. Je vais me réveiller. Je suis en vacances là. Je suis chez moi. Il n’y a pas eu de raz de marée, c’est pas l’apocalypse, on est pas en 2012, le monde est toujours debout… Et vous, que faites-vous là, chez moi ? Qu’est-ce que vous me voulez ?

THÉO :

Votre bien, Léo. Entendons nous bien, pas votre appartement. Une vie bien réglée avec une nourriture saine, bio, écolo. Pas d’émissions de CO2 exagérées… Et  une éolienne sur le balcon… !

ELSA :

On veut une prise de conscience de votre part de la catastrophe qui nous attend si on ne fait rien… Et vous initier à la culture bio…!

LÉO :

Une éolienne, et un potager bio ? Mais ça va pas. Et pourquoi faire d’abord ? Je n’ai pas besoin de produire mon électricité ni de cultiver mes légumes surtout en appart.  EDF me fournit ce dont j’ai besoin et  la superette d’en bas a tout ce qu’il me faut, point barre !

ELSA :

Avouez que vous mangez mal Léo. Des plats surgelés, de la viande rouge bien grasse  : « Je choisis des fruits et légumes frais au lieu de surgelés : 58 kg de CO2/an », « Je réduis de 300 grammes par semaine (soit deux steaks) ma consommation de viande de bœuf ; à la place, j’opte pour des protéines végétales (soja, pois, haricots, lentilles) ou de la volaille et de la viande de porc dont la production émet moins de gaz à effet de serre : 180 kg de CO2/an ».

THÉO :

Élsa et moi allons vous initier à la culture de ces produits afin que vous retrouviez un bon équilibre alimentaire…On fera ça sur le balcon ou dans la loggia, hein !

LÉO :

Je ne veux rien de tout ça. Foutez-moi la paix.

On sonne à la porte.

LÉO :

Qu’est-ce que c’est encore ?

ELSA : (elle se précipite à la porte d’entrée)

Je vais ouvrir.

THÉO :

Vous prendrez bien un petit lait biologique : 46 kg de CO2/an seulement, si vous buvez un verre par jour ?

LÉO :

J’aimerais mieux un gin !

THÉO :

Sans déconner ! On n’a pas. Mesurez-vous le CO2 produit pour fabriquer cet alcool, le transporter depuis des contrées lointaines ?…On doit être dans les 300 kg de CO2/an…

LÉO :

Lâchez-moi avec votre CO2. Vous n’avez que ça à la bouche. Il est vrai qu’à force de parler, vous en dégagez du gaz carbonique !

Élsa ouvre la porte. Une femme, LÉA, d’une quarantaine d’années est debout dans l’entrebâillement de la porte. Elle est habillée avec soin. Elle a de la classe.

NOIR

A suivre …..

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