Vertigo - Chapitre 3

A S Mtzr

Je sursaute dans mon lit et me précipite sur l'ordinateur qui m'indique qu'il est six heures moins dix. J'ai mal dormi, un peu anxieuse de commencer à travailler ailleurs que chez moi. J'ai fait des cauchemars toute la nuit, comme dans le bus. Je suis un peu secouée. J'avais aussi peur que Mickael oublie de venir me réveiller. Je me lève et jette un œil par la fenêtre. Il fait encore nuit dehors. J'ai une vue imprenable sur la cour d'Alexis et Mickael. Tout est calme, je remarque que les quatre boxes en face de ma fenêtre sont vides. Je suppose que ce sont ceux des chevaux qu'Alexis a emmenés en meeting. Trois coups cognent contre ma porte.

-Debout là-dedans, me dit la voix pâteuse de Mickael.

-C'est bon, je suis debout ! Merci.

Je l'entends grommeler quelque chose lorsqu'il s'éloigne.

Je file à la salle de bain pour prendre une douche rapide avant de commencer la journée. La tension commence à monter, je n'ai jamais travaillé ailleurs que chez mes parents. J'ai fait mon apprentissage chez eux et y travaillais depuis plusieurs années. Je n'ai jamais rien vu d'autre. Je vais devoir faire mes preuves et ça c'est totalement nouveau pour moi. Mais je ferai tout ce qu'il faut pour garder ce travail.

J'essuie la buée sur le miroir, les vilaines cernes que j'aperçois sous mes yeux me donnent mauvaise mine. J'enfile mes sous-vêtements et je reste quelques instants à contempler mon reflet. Je ne vois que le haut de mon corps, c'est bien assez, cela m'évite de voir les stigmates de mon enfance. Je supporte mal de les voir. Ils me rendent répugnante.

Mes traits sont fins, j'ai un nez un légèrement retroussé, mes cheveux blonds sont coupés en un carré long qui ondule. Ce que je préfère chez moi, ce sont mes yeux bleus. Pour le reste, ça ne passe pas. Je n'arrive pas à m'y faire et ça ne date pas d'hier. En baissant les yeux, je constate que l'hématome sur mon côté est violet foncé, presque noir, et recouvre largement ma hanche. Je n'ai rien pour le soigner, il disparaîtra tout seul, ce sera un peu long vu sa taille. Mais j'ai déjà connu pire comme blessure, en tombant de cheval par exemple. J'enfile un t-shirt, un legging puis ma combinaison chaude par-dessus. Je me maquille rapidement les yeux. Dans ce métier la féminité est souvent laissée de côté, les pieds dans le fumier, avec des vêtements peu glamour pour travailler dehors, on pourrait rapidement avoir l'air ridicule avec trop de maquillage. Juste un léger trait d'eyeliner et un peu de mascara, pour souligner mes yeux, rien de plus.

Avant de sortir, j'enfile mon bonnet, sous lequel je prends bien soin de dissimuler toutes mes mèches de cheveux. J'aimerais éviter les réflexions sur les blondes. Je mets une écharpe et une grosse veste imperméable et je suis parée pour affronter cette journée hivernale.

Je sors de ma chambre et en fermant la porte, j'aperçois Charlotte qui se penche vers la porte de Mickael pour écouter. Elle ne me voit pas, elle me tourne le dos.

-Salut !

Elle sursaute et tourne la tête vers moi, surprise.

-Oh bon sang tu veux ma mort ou quoi ?

Je lui souris tandis qu'elle reprend ses esprits.

-Tu sors déjà ? Tu ne prends pas de petit déjeuner le matin ?

-Habituellement si, mais je n'ai pas eu le temps de faire de courses pour manger, alors j'ai grignoté quelques gâteaux que j'avais...

-Tu aurais dû venir, on avait ce qu'il fallait. Tu mangeras avec nous à midi.

-Merci, c'est sympa.

Je suis soulagée et me sens chanceuse d'être bien accueillie.

Si tout le monde est aussi agréable que Charlotte et Mickael je sens que je vais vraiment bien me plaire, ici.

Nous descendons dans la cour, Mickael s'active pour remplir des seaux de grain pour chaque cheval de son écurie. De son côté de la cour, Lorenzo termine de nourrir les siens, tirant une brouette remplie de céréales. Il est au téléphone et râle parce que le jockey qu'il convoitait pour monter un de ses chevaux en course, ne sera pas disponible. 

Charlotte m'emmène faire une visite de l'écurie. Le brouillard est épais, il fait humide, il tombe comme une sorte de bruine. J'enfouis mon nez dans mon écharpe et tire sur mes manches pour recouvrir mes mains. 

Elle m'indique la limite entre les boxes de Lorenzo et ceux d'Alexis. 

-Alex rentre demain. Mika bosse pour lui depuis un peu plus de six mois. 

-Ok, dis-je sur ses talons.

Elle me montre la graineterie, là où sont entreposés les sacs d'aliment pour les chevaux, puis nous sortons de la cour par la grande arche. Elle donne sur le chemin qui conduit au parking, au tas de fumier, au marcheur mais aussi à la piste d'entraînement. La piste est plutôt grande et faite de sable gris foncé. Des prairies l'entourent et des paddocks* (N.D.A : petit enclos) avec des cabanes sont au centre de la piste. Près du parking se trouve un grand marcheur pouvant accueillir jusqu'à huit chevaux pour les échauffer et les faire récupérer après l'effort. Charlotte m'explique l'organisation et la répartition des parcs pour les deux écuries. Le domaine est magnifique, les clôtures en bois, peintes en blanc, lui donnent beaucoup de style et les écuries, en pierre de la région, sont superbes. Malgré le brouillard et la grisaille cet endroit paraît chaleureux. Les chevaux dans les parcs mangent paisiblement et nous entendons toujours l'agitation des derniers chevaux aux boxes, qui attendent leur petit déjeuner.

-Ça fait combien de temps que tu travailles ici ? demandé-je, curieuse.

-Je suis ici depuis trois mois. Avant je bossais chez Gérard Boyer, pas loin d'ici, il passait son temps à gueuler, c'était l'horreur. Lorenzo pique des crises des fois mais ça va, ce n'est rien à côté. Il nous fait rire.

-Et on sera combien à travailler ensemble ?

-Il y a Lorenzo, toi, Roxanne que tu as vu hier soir, Laura qui est là à mi-temps et moi. En fait Roxanne a obtenu son stage d'entraîneur il y a six mois. Elle a trois chevaux qui sont à ses propriétaires et en échange de leur hébergement et de l'accès aux installations, elle donne un coup de main à Lorenzo. Elle s'est faite virer de deux écuries différentes et ça fait une semaine qu'elle est ici.

Si elle est aussi désagréable qu'elle en a eu l'air hier soir dans le bureau de Lorenzo, je comprends ce qui a pu conduire les gens à la pousser vers la sortie. Je ferme les yeux en essayant de calmer ma conscience qui devient désagréable. On ne se connaît pas, après tout c'est certainement quelqu'un de très sympa et qui gagne à être connu. Je lève les yeux au ciel.

Nous rejoignons Lorenzo qui écrit le programme de la journée sur un grand tableau Velléda. Je me familiarise avec les noms des chevaux et les différentes informations inscrites.

Un visage inconnu sort de la sellerie. Charlotte me présente Laura. C'est une petite jeune femme châtain foncé, avec des formes généreuses, dissimulées sous des vêtements amples et informes. Nous nous saluons, elle me paraît très timide mais gentille.

Roxanne fait son apparition, tout sourire.

-Salut la blonde ! me balance-t-elle d'une voix enjouée en avançant sa joue vers moi pour me faire la bise.

Je me sens irritée mais je m'avance à contre cœur pour lui faire la bise en marmonnant un "bonjour".

Je l'observe, ses cheveux roux sont attachés en arrière en un chignon brouillon. Sa peau est pale et fait ressortir de nombreuses tâches de rousseur. Elle a les dents du bonheur, elles sont mal alignées et ses incisives sont irrégulières.

Elle est très à l'aise et détendue. Elle est mince, presque maigre. Ses cuisses ne se touchent pas. Elle entre dans la sellerie et se fait un café. Elle parle fort, de sorte que tout le monde puisse l'entendre, et fait des mimiques et beaucoup de gestes. Je ne reconnais pas la jeune femme renfrognée vue hier soir dans le bureau. La Roxanne que je vois ce matin est exubérante. Elle raconte qu'elle a eu une altercation avec sa voisine. Je ne fais pas attention à ce qu'elle dit.

Lorenzo sort un cheval d'un boxe et l'installe dans une stalle de préparation, à côté de la sellerie. Je vais sous le hangar et attrape la brouette à fumier et une fourche pour commencer à nettoyer le boxe qu'il vient de libérer.

Roxanne piaille tant qu'elle le peut :

-Vous êtes d'une tristesse, les gens ! Vivement qu'Alex revienne, ça manque d'ambiance ici !

-T'en as pas marre de parler pour ne rien dire ? lui-balance Lorenzo.

Je pouffe, le nez dans mon écharpe.

-En tout cas c'est super que tu aies embauché une palefrenière, j'en avais marre de faire les boxes.

Je me retourne et la vois rire bêtement en me regardant une tasse de café à la main. Je reste scotchée. Je ne sais pas quoi penser ni quoi dire. Est-ce du mépris envers les gens qui font ce métier ? Envers le métier en lui-même, qui n'est pas assez valorisant pour elle ? Ou simplement envers moi ?

Je sais désormais avec certitude qu'elle et moi n'allons pas nous entendre. Il y a une incompatibilité de personnalité évidente entre nous. Les relations sociales et moi cela fait deux et je le sais. Mais là, je suis désemparée, elle incarne tout ce que je déteste. Je la sens hypocrite et fourbe.

Je commence à charrier le crottin dans ma brouette et je l'entends toujours parler derrière moi :

-Je n'avais jamais vu de palefrenier travailler en combinaison Finn-Tack, moi. A trois cents balles la tenue... Ça paye si bien que ça ?

Je ressens comme des sueurs froides et je me fige. Je baisse les yeux sur mon ensemble et passe une main sur le tissu imperméable de ma parka. Il est vrai qu'au prix de la combinaison, je ne suis pas certaine que des palefreniers en portent. C'est plutôt fait pour sortir les chevaux en piste. J'hésite à me justifier, je réalise que je n'aurais pas dû l'emmener.

-T'es pas dispensée de bosser alors grouille toi de préparer Valco, je vais être en piste avant toi, si ça continue ! 

La voix de Lorenzo résonne dans la cour. Je crois qu'il vient de me sauver la mise. Je soupire intérieurement et me remets au travail. 

Tout en faisant les boxes mon esprit s'évade. J'admire les gens qui ont de la répartie, et ce franc parler à toute épreuve. Mais, moi qui suis timide, j'avoue que cela m'impressionne. Je n'aimerais pas leur ressembler pour autant, mais peut être simplement trouver un juste milieu pour ne pas être écrasée ou rabaissée. Mais c'est vrai que je ne sais pas comment réagir pour qu'il en soit autrement. Il le faudra pourtant. Je suis partie pour cela... pour changer.

Faire les boxes est la bête noire de toute personne travaillant auprès des chevaux. C'est ingrat, ça ne sent pas forcément très bon et physiquement c'est dur. Je suis habituée et en condition donc je nettoie chaque boxe libre le plus efficacement possible en prenant soin d'enlever la paille souillée. Puis en étalant de la paille propre. 

Ce métier ne consiste pas uniquement à charrier du fumier, c'est surtout le moyen de contrôler que le cheval va bien, qu'il n'est pas malade, que son eau est propre, qu'il a mangé son foin, sa ration. C'est aussi lui faire son coin douillet dans lequel il pourra se coucher et se reposer confortablement. J'aime m'occuper des chevaux de cette façon, un peu dans l'ombre et c'est tant mieux parce que je dois m'en contenter.

-Tu peux me donner un coup de main, Emma ?

La voix de Roxanne me tire de mes pensées. Je pose ma fourche et vais à auprès d'elle.

-Tu sais préparer un cheval ?

-Oui.

-Super ! Est-ce que tu peux lui mettre tout ça ? J'ai un coup de fil urgent à passer.

D'un signe de tête, elle désigne le harnachement posé au sol près du cheval, attaché dans une stalle.

-Ok.

Je m'aperçois que Lorenzo est parti en piste et qu'elle n'a pas encore préparé son cheval pour le rejoindre. Je m'exécute en vitesse. Le cheval que va sortir Roxanne est petit, un mètre cinquante-cinq au maximum, il a un œil sympathique et semble vif. Sa crinière est noire et brillante et sa robe est d'un joli ton de bai foncé avec des reflets flamboyants. Il me laisse lui enfiler le harnais, la bride et les protections sans broncher pendant que Roxanne jacasse au téléphone à quelques mètres de là. Je ne fais pas attention à ce qu'elle dit, je préfère l'ignorer. Charlotte et Laura font des allers retours avec des chevaux pour les mettre à l'échauffement, au marcheur.

Une fois le cheval harnaché je retourne à mon nettoyage de boxes et profite du va-et-vient de chevaux pour nettoyer les boxes libres et leur distribuer leur foin. En me tournant pour jeter du fumier dans la brouette, je sursaute en voyant la tignasse rousse de Roxanne à la porte du boxe.

-Merci hein ! Tu l'as bien préparé. Comme tu as l'air d'aimer ça, et que tu le fais vite, je te redemanderai à l'occasion.

Je pense qu'avec son horrible sourire elle se permet de dire toutes les vacheries qu'elle veut.

Je n'aime pas cette façon de me considérer comme moins importante juste parce que je suis palefrenier. J'aime la cohésion et l'esprit d'équipe, avec elle, c'est sûr, il ne pourra pas y en avoir. C'est le genre de personne qui divise pour mieux semer le chaos. Et se faire virer, me souffle sournoisement ma conscience.

Le bruit de pas d'un cheval au trot précipité retentit dans la cour. Lorenzo, en colère, se met à hurler :

-Cazzo ! Tu fais chier Roxanne ! Ça fait dix minutes que je t'attends ! Au lieu de ça tu fais la discutes ? Magne-toi !

S'ensuit un chapelet d'injures italiennes.

Roxanne part atteler son cheval sans demander son reste. Lorenzo tourne en rond au petit trot dans la cour. Assis sur son sulky, il passe devant moi, me regarde et me lance :

-Et toi, t'es pas payée pour parler ! Au travail !

Se faire remettre à sa place dès son premier jour : ça c'est fait ! déçue, je baisse les yeux et me remets à mon travail.

Le ballet des chevaux continue toute la matinée. Lorsque j'ai terminé le nettoyage des boxes, je donne un coup de main là où je peux me rendre utile. Tantôt je vais prendre en charge un cheval qui vient de travailler et à qui il faut enlever le harnachement, donner une douche et remettre au marcheur pour sécher tranquillement, tantôt je vais nettoyer les stalles de préparation, qui voient s'accumuler crottins et boue au fil des douches. Laura a un peu la même fonction que moi et aide partout où elle le peut avec beaucoup d'énergie mais sans se faire remarquer. Elle est si discrète qu'elle m'intrigue.

Mais je ne m'attarde pas à rêvasser, j'essaie de voir tout ce qu'il y a à faire : ramasser des protections sales pour les laver et les étendre pour qu'elles sèchent, aider à atteler ou dételer les chevaux etc.

Sur les coups de midi et demie tous les chevaux qui devaient travailler ont été sortis et l'écurie est propre et presque entièrement rangée. Charlotte commence à servir les rations aux chevaux et je prends la ratisse et entreprends de nettoyer la cour pour enlever les brins de paille, de foin et les saletés qui jonchent le sol. Je pense ne pas trop m'avancer en disant que cela doit faire des semaines qu'elle n'a pas été nettoyée. Chez moi, une cour pourrie à ce point aurait valu un sacré savon au premier garçon de l'écurie.

Je n'ai pas vu la matinée passer, je n'ai pas eu le temps d'être nostalgique ou triste de ce que j'ai laissé derrière moi. Lorenzo m'observe depuis la porte de la sellerie, mes mains se crispent sur le manche de la ratisse, j'espère qu'il ne va rien me dire.

Je ne suis pas quelqu'un de maniaque, loin de là, mais mon père m'a transmis l'amour du travail bien fait. Une cour d'écurie dégoutante ça ne fait pas sérieux et j'aime bien que lorsque l'on entre, on se dise que l'écurie est bien entretenue et propre. En plus de cela, l'effet mal entretenu est accentué par le fait qu'en face, chez Alexis et Mickael, la cour est impeccable.

Mickael passe devant moi pour rejoindre Lorenzo et les filles dans la sellerie :

-Tu viens prendre l'apéro ?

Je suis surprise et cela doit se voir puisqu'il ajoute :

-Souvent quand on a fini, le midi, on prend un verre avant d'aller manger.

-Ok, je termine et j'arrive.

Je trouve l'idée géniale. 

Une fois la demi-cour nettoyée, ce qui m'a pris un certain temps, je rejoins tout le monde dans la sellerie. Roxanne est affalée sur un fauteuil recouvert d'un cuir usé et craquelé, Charlotte et Laura sont assises sur une malle de course, Lorenzo est adossé au mur et Mickael est accroupi à côté de la porte. Un petit radiateur électrique est en marche au milieu de la pièce et il y fait presque chaud. Les têtes se tournent vers moi lorsque j'ouvre la porte.

-Qu'est-ce que tu veux boire ? me demande Lorenzo en se dirigeant vers un petit frigo dans un coin de la pièce. Bière ? Pastis ?

-Rien, merci.

Je fais un signe de la main.

-Ah ouais ?

Il est étonné.

-T'es économique comme fille au moins ! S'écrie Roxanne avec son rire de bécasse et sa bouteille de bière vide à la main.

Lorenzo la regarde d'un air blasé.

Encore une remarque qui fait plaisir à entendre. Décidément cette fille est désagréable. Comme si je n'avais rien entendu, je me frotte les mains pour essayer de les réchauffer et j'enfonce un peu plus mon bonnet sur mes oreilles. Je vois que Lorenzo est pensif devant son frigo qui ne contient que de l'alcool.

-Ça va, je n'ai besoin de rien.

Il est embêté puis conclut en souriant :

-Je peux acheter des sodas.

Du coin de l'œil, j'aperçois Charlotte observer timidement Mickael. Je la revois, écoutant à sa porte ce matin, et cela me fait sourire.

-Hé ! C'est qui qui a acheté le cheval top price aux ventes de Deauville ? Demande Roxanne.

-Aucune idée. Fait Lorenzo désabusé. 400 000 euros...

-Tu ne sais pas, toi, Micka ? Fait elle en lui faisant les yeux doux.

La porte s'ouvre d'un coup et nous nous tournons tous pour regarder qui va entrer. C'est un homme, assez grand, blond foncé, emmitouflé dans un manteau chaud qui nous rejoint dans la sellerie, déjà bien remplie. Il est jovial, son visage est sympathique et je remarque en rougissant, qu'il est joli garçon. Je baisse rapidement les yeux et souffle sur mes doigts engourdis par le froid.

-Putain les gars ! Qu'est ce qui s'est passé chez vous ? Il y a eu une tornade ou quoi ? s'écrie-t-il. Vous avez une cour propre !

Son rire est communicatif et nous rions avec lui.

-Hé ouais mon gars, il y en a qui bossent ici, dit Lorenzo en s'avançant pour lui serrer la main et lui taper sur l'épaule.

-Tu ne vas pas me dire que tu as mis Castello au travail ?

Tout le monde rit de bon cœur et à voir la tête de Roxanne, je comprends que c'est d'elle dont il s'agit. Vexée, elle lui adresse un regard mauvais et moi je savoure cet instant avec bonheur.

-Non, moi j'entraîne des chevaux, je n'ai pas le temps de récurer la cour, désolée. C'est un travail de palefrenier.

Elle me désigne rapidement d'un signe de tête et on ne peut pas dire que le terme « palefrenière » ait était dit pour me valoriser, bien entendu. Je me sens rougir et souffle de plus belle sur mes mains froides. Je sens tous les regards sur moi. Je jette un coup d'œil à cet inconnu, qui m'observe avec un grand sourire. Il serre la main de Mika, fait la bise à Charlotte et Laura et les discussions reprennent.

-Bravo, dit-il d'une voix basse en s'approchant de moi pour me faire la bise, il fallait du courage pour attaquer ce gros chantier. Moi c'est Lucas.

-Emma, dis-je osant à peine lever les yeux.

Je m'agace moi-même tellement je me sens ridicule d'être intimidée.

-Je t'ai mis le poulain dans le premier paddock, c'est l'alezan avec un licol rouge.

Lorenzo s'approche de nous et me permet de me faire oublier.

-Ok, merci. Quelles sont ses origines ?

-C'est un Roméo de Célac.

-C'est pas mal du tout, ça. Il est à toi ?

-Il aimerait bien ! lance Mickael, moqueur.

-Non à un propriétaire. Tu crois vraiment que j'ai dix mille euros à mettre dans une saillie, toi ?

-On ne sait jamais, tu pourrais avoir gagné au loto.

-Ouais, tu peux être sûr que si c'était le cas, tout le monde serait déjà au courant. 

-Pour gagner au loto, il faudrait déjà y jouer, ajoute Roxanne.

Elle pensait nous faire rire, mais sa remarque a eu l'effet d'un pétard mouillé. Laura fait au revoir de la main et en profite pour s'éclipser discrètement. Charlotte me fait signe de la suivre. Mickael lui emboite le pas. Je les suis en direction de la porte.

-Au fait, le poulain que tu viens chercher ne se laisse pas bien attraper, Roxanne, peut t'accompagner pour t'aider à l'attraper si tu veux ?

-Ah non ! Moi, je vais manger. S'exclame Roxanne en bondissant de son fauteuil.

Lorenzo et Lucas sont surpris, ils se regardent puis observent Roxanne me bousculer pour sortir de la pièce sans même se retourner.

Je m'arrête net.

-Je peux aider, dis-je d'une voix timide. 

Lucas me sourit et me fait signe de passer devant lui pour sortir. 

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