Vile promenade en ville

merielle

Pensées sur le quotidien de ma ville où vivre bien, sans en attendre rien, masque un relent d'évidences

Je vis dans une ville sale. Je vis seule dans une ville sale. Une ville qui pue. Une ville qui suinte. Une ville qui grouille comme les rats quand ils se rassemblent. A chaque détour, s'échappe l'acidité d'une pisse déposée contre un mur. A chaque pas, j'évite une merde ou un crachat. Je marche sans lever le nez. Je marche sans regarder le ciel. Je vais droit devant sans regarder les gens. Mes yeux clignotent entre les passants et les obstacles que je refuse sous mes semelles. Se cogner ou ramener de l'organique, ça me laisse à l'arrêt en warnings. Je vois sans voir. Je fais attention aux trottoirs.

Je vis seule dans ma ville sale, dans mon appart pas grand mais déjà prétentieux pour les petits budgets. J'y suis propre, dents, corps, cheveux, parfum et vêtements vieillis aux 60° mais sale quand je rentre. Se laver les mains dès l'arrivée chez soi. Ils le disent, les virus, les miasmes, ne résistent pas au savon. Alors je frotte, jusqu'à l'arrière des poignets. A grandes eaux. Après je caresse mon chat.

Il y des transports dans ma ville. Des transports sales et parfois propres. Des transports en grève, en retard, en problème technique, en incident de voyageurs, en attente pour régulation de traffic ou en nouvel itinéraire mais quotidiens. Parfois j'y croise les mêmes têtes. Les têtes de mendiants. Les têtes de souffrants mais pas toujours avec les mêmes accents, ni les mêmes vêtements. Déchirés, sales, dépareillés, cassés, absents. Quand c'est pas toujours c'est probant, ça sent le mourant qui veut pas. Moi non plus je ne veux pas mourir dans ce magma. 

Quand je regarde les vieux dans ma ville, j'ai mal. D'abord parce qu'ils l'ont connu autrement, ensuite parce que leurs corps s'affaissent comme s'ils n'en supportaient plus le poids. Ils courbent, tremblent, s'échinent à suivre un rythme qui leur échappe avec une vie d'avance; Ils font les poubelles pour compenser le pécule ridicule de leur retour de dette et trouver leur pitance. Une sentence pour services rendus. Un truc pas propre à ma ville. Un truc propre à la vieillesse, au manque de plus value. Vieux tu cours moins vite, tu gueules moins fort. Et si tu ne t'es pas entraîné avant à dire ce que tu pensais, à rêver et rester ferme sur tes objectifs, alors tu fermes ta gueule et les yeux avec, histoire de te laisser guider et de tomber dans le premier trou; 

Si les mendiants et les vieux ont parfois la même tronche, les quotidiens moyens ont aussi un visage commun. Celui qui tire la gueule, qui zieute le portable comme une bouée de survie. Celui qui ne dit rien mais qui crie “je t'emmerde, j'aimerais bien vivre autre chose !!”.

Ma ville, elle aime le bruit. Elle le garde, le chérit, le pétrit. C'est son grain de beauté sur la fesse, celui qu'elle montre à l'intime, l'habitant. La journée c'est cacophonie symphonique. Un grand orchestre à sections où personne n'a travaillé sa partition mais où tout le monde connaît la musique. Les moteurs s'énervent à coups de Klaxons. Ils hurlent et s'enragent, agressent le vide et vomissent sur les passants. Des bas fonds aux ciels de rails, des wagons bondés répètent un tic tac percussif lorsque les roues adhèrent à l'usure des fers. Des chaines qui tiennent les voyageurs dans une répétition. La réitération qui retient l'attention. Celle qui déchaîne la sauvagerie, les rugissements des plus forts qui arriveront les premiers au point B. Et quand vient le soir, les mêmes sortent les dents et les font claquer, prêts à arracher un bras pour revenir au point A. 

Au coeur de son battement ma ville se veut belle, s'agrandit, se détruit, se reconstruit. Elle se donne aux marteaux piqueurs, aux grues, aux pelleteuses, aux jets de gravas. De l'aube au déclin, elle s'offre tous les terrains à réhabiliter. Ceux qui sont habités mais mal habillés, mal éduqués. Elle en fait des zones de non droit. Non droit d'être comme soi et surtout pas comme toi. « A la manière de » convient mieux aux endroits devenus trop étroits pour y garder tout le monde. Alors le tri s'impose, il s'affirme là où tout s'oppose. Ne sont gardées que les petites choses. Celles qui donnent un cachet à la nouvelle panoplie, une touche d'originalité, un faux pli, qui détermine les nouveaux prix. Et cette hausse des loyers déferle comme une vague inattendue qu'on aurait vue de loin. Telle la théorie animale des phares dans la nuit; Elle efface dans un bruit mat, sans échec.

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