Vodka frappée

leocadief

Ne jamais se fier aux apparences



« By Jove ! » furent les derniers mots que Ben prononça en ma présence.


La première fois que j'ai vu Ben c'était au bar de l'Imperator à Nîmes.

Il était environ 23H et une foule compacte se bousculait dans le célèbre hôtel. Un mélange de purs afficionados et de fêtards, les uns espérant apercevoir une de leurs idoles les autres mus par le seul désir de boire et s'amuser.

L'ambiance habituelle des soirées de féria était transcendée ce soir-là comme elle peut l'être quand dans l'après-midi un homme a su faire vibrer une arène entière unissant les spectateurs dans une même émotion. C'était le 16 Septembre 2012 et José Tomas avait triomphé.

J'étais assise sur l'un des tabourets rouges du célèbre bar Hemingway et sirotais du champagne avec des amis en commentant pour une énième fois la « corrida parfaite » consciente d'avoir assisté à un évènement historique.

J'ai vu Ben arriver de loin. Il n'était pas seul et son groupe ne passait pas inaperçu .Je ne me souviens pas de chacun dans le détail mais les hommes et les femmes qui l'accompagnaient avaient tous cette allure naturelle qui les démarquait immédiatement du commun des mortels. Cependant on ne voyait que lui.

Le groupe s'installa autours d'une table qui leur été réservée mais Ben s'approcha du bar.

Il connaissait un de mes amis. Nous fûmes donc présentés. Il commanda une nouvelle bouteille de champagne, du Pol Roger, le seul, comme son illustre cousin, qu'il acceptait de boire.

Je m'étonnais qu'il plante sa bande pour continuer la soirée avec nous mais visiblement ni eux ni lui ne semblaient s'en inquiéter. L'alcool coulait à flot comme tous les soirs de férias....et comme tous les autres soirs que je passerai avec Ben.

Nous parlâmes tous beaucoup et très tard. Ben semblait connaitre la terre entière. J'avais compris qu'il était anglais et qu'il avait une arrière-grand-mère Russe, un grand père américain et de la famille sur chacun des continents. Il se disait écrivain mais son œuvre restait mystérieuse. Outre le champagne c'était un grand amateur de vodka . La seule boisson qu'il acceptait pour accompagner son autre péché mignon le pudding aux huitres de Simpson's on the Strand à Londres auquel il fut initié par son père la veille de son entrée à Eton, comme le voulait la tradition familiale. Il aimait également rappeler qu'un peu de sang français coulait dans ses veines juste assez pour qu'il sache apprécier les grands crus . Il ne refusait jamais un verre d'Armagnac en hommage à son lointain ancêtre un gentilhomme gascon.

Mon métier m'avait appris à noter chaque détail. Par réflexe je dressais mentalement son portrait : un mètre quatre-vingt, une bonne cinquantaine, blond, certainement habillé par un des meilleurs tailleurs de Savile Row.

Mais ce qui me troublait réellement c'étaient ses grandes mains toujours en mouvement, son regard azur qui semblait percer mon âme quand il plongeait dans le mien et surtout cette voix chaude et grave. J'étais sous le charme et buvais ses paroles. Et je n'étais apparemment pas la seule. Toutes les femmes autours de moi semblaient captivées.

Il partit comme il était venu, suivi de son aéropage miraculeusement réapparu vers trois heures du matin après avoir sifflé un dernier verre de vodka qu'il m'avoua préférer au champagne. Il me dit au revoir en effleurant mes lèvres et en me glissant un papier dans la main

Je traversais alors une période compliquée de ma vie personnelle et professionnelle ; une séparation pénible m'avait entrainée au fond du trou et obligée à m'éloigner un temps de mon travail. Mes supérieurs avaient été compréhensifs ; il était évident pour nous tous que je devais me reconstruire avant de reprendre m activités. J'avais proposé de démissionner mais R. qui me connaissait parfaitement avait refusé en me disant : « je sais que tu reviendras, le lien qui t'unit à ton job est plus fort que tu ne le crois. » Comme toujours la suite prouva qu'il avait raison mais j'étais trop mal à l'époque pour le croire et je ne voulais surtout pas y penser .

Incapable de rester seule face à mes idées noires, je décidais de profiter de ce break forcé pour accepter toutes les invitations qui se présentaient et m'étourdir dans des fêtes en profitant de l'instant présent, consciente que cette parenthèse ne pourrait pas durer. Je ne voulais plus m'attacher, juste oublier.

Ben m'avait laissé un numéro de téléphone.

Sans hésiter je l'appelais dès le lendemain. Il dit qu'il avait attendu mon coup de fil depuis la veille et me donna rendez-vous à l'aéroport de Marseille. Un jet nous attendait. Deux heures plus tard nous atterrîmes à Palma où il possédait une maison sur la côte Ouest à Deià. Un endroit magnifique à flanc de falaise surplombant la méditerranée avec un accès direct à une plage privée. Nous passâmes des moments magiques uniquement guidés par nos désirs et notre plaisir. Le jour succédait à la nuit sans que nous n'ayons réellement conscience du temps qui s'écoulait. Caviar, langoustes, champagne, vodka apparaissaient comme par magie à toute heure apportés par un personnel aussi efficace que discret. De temps en temps cependant une alarme s'allumait brièvement dans un coin de ma tête, ancien réflexe de ma vie d'avant mais je l'enfouissais immédiatement au plus profond de ma conscience.

Au bout de trois jours, le jet de Ben se posa au Bourget. Un chauffeur me raccompagna chez moi. Nous ne nous étions rien promis, je savais que cette aventure n'était qu'une parenthèse enchantée et que je ne devais rien attendre d'un séducteur comme lui. Mais je dois avouer que cette rencontre m'avait plus troublée que je ne voulais l'avouer et que j'aurais tout donné à ce moment-là pour qu'il me fixe un nouveau rendez vous .

Quelques semaines plus tard alors que j'attendais dans le salon d'Air France, je repensais à cette étrange soirée à Nîmes et aux quelques jours incroyables qui avaient suivi. J'avais attendu en vain un appel de Ben  et je finissais par me demander si je n'avais pas vécu un rêve éveillé.

Je savais en outre que le temps approchait où je devrais reprendre du service. La patience de mes employeurs avait des limites .J'allais mieux, ma blessure intérieure était toujours béante mais j'avais repris le contrôle de mes émotions, la raison reprenait doucement le pas sur mes sentiments et je ne m'effondrais plus aux moindres détails qui me rappelait la trahison d'Hubert. Mon métier nécessitait d'avoir des nerfs d'acier et j'avais prouvé à maintes reprises que j'étais à la hauteur. Je me devais de remonter la pente rapidement si je voulais continuer à l'exercer. Je savais aussi au fond de moi que j'en avais besoin.

Deux mois plus tard je partais pour la Grosse Pomme retrouver Maria, une amie mexicaine dont le mari ambassadeur était en poste à Washington. Elle possédait un appartement dans l'Upper East Side donnant sur Central Parc dans lequel elle résidait quand elle voulait échapper au protocole. Maria était belle, drôle et fantasque. Elle adorait cuisiner elle-même des plats de son pays qu'elle offrait à ses amis cosmopolites. J'étais impatiente de la retrouver.

J'embarquai et m'installai confortablement dans mon fauteuil de la business class d'air France remerciant intérieurement mes employeurs de m'avoir mise au vert tout en me permettant de conserver tous mes avantages. Juste avant d'éteindre mon portable je vis que j'avais un message. L'avion roulait déjà sur la piste, j'éteignis mon smart phone sans chercher à le consulter. 

Je dormis de ce sommeil haché que connaissent les voyageurs mais me réveillai en forme quand l'avion amorça sa descente, ayant demandé qu'on ne me réveilla pas pour me servir ce petit déjeuner. Mon excitation était restée la même depuis trente ans à chaque fois que je me posai à New York. Apercevoir Manhattan avait toujours agi sur moi comme un électrochoc et je comptais sur celui-ci pour mettre fin à ces longs mois d'errance.

Comme d'habitude le passage de la douane à JFK prit un temps fou. Les mesures de sécurité avaient encore été renforcées depuis mon dernier voyage. Je mis plus d'une heure avant de me retrouver devant cette loterie commune à tous les voyageurs, le tapis des bagages. Ma valise arriva en troisième position. Cette chance était-elle la fameuse et maigre compensation inhérente à ma situation conjugale, je refusais de laisser mon esprit glisser sur cette pente toxique et rallumais mon portable.

J'appelai rapidement Maria qui me confirma que Juan son chauffeur m'attendait. L'enveloppe des messages clignotait. Je savais au fond de moi que celui-ci devait être important. L' intuition qui m'avait maint fois sauvé la vie lors de mes missions m'avait fait sérieusement défaut dans ma vie personnelle . Depuis ma séparation avec Hubert je refusais inconsciemment de la laisser me guider.

J'attendis donc d'être confortablement installée dans la limousine de Maria pour l'ouvrir. 

Le frisson d'excitation qui me parcouru ne fut en aucun cas dû, cette fois ci, à l'apparition du skyline de Manhattan qui se profilait à l'horizon.

« Il est temps de remettre ta panoplie, Mata Hari. Z trouvait qu'il était encore un peu tôt mais on n'a pas le choix, ça urge et celui qui te surveille depuis ton repos forcé nous a affirmé que tu semblais prête et que tu serais à la hauteur. Ta mission et les documents annexes sont envoyés selon la procédure habituelle. Good Luck and take care . R. »

Le style net et concis de R n'avait pas changé. Ce bref message eu l'effet d'une décharge électrique et j'eu la sensation de me réveiller d'un long comas. Rapidement le tremblement de mes mains cessa et je retrouvai comme par enchantement les codes d'accès enfouis au fin fond de ma mémoire pour télécharger les documents. Ma longue convalescence prenait fin.

Dire que la surprise fut totale serait faux. J'avais verrouillé mon inconscient pour pouvoir vivre sans réfléchir depuis le soir où j'avais découvert par hasard qu'Hubert me mentait et me trompait depuis 18 mois, mais je ne serais pas totalement sincère si je disais que je n'avais eu aucun doute sur Ben. Une foule de détails que j'avais volontairement ignorés me revint en mémoire : sa façon de susciter les confidences dès le premier soir, les différents métiers qu'il dit avoir exercé dans sa jeunesse, sa soi-disant famille répartie sur tous les continents...trop d'incohérences dans tout ça. Mais j'avoue que je ne m'attendais pas à devoir l'affronter si rapidement.

Je ne vis rien de Manhattan durant tout le trajet qui me conduisit de l'aéroport à l'appartement de Maria, moi qui d'habitude humais avec délectation l'air de New York dès que je franchissais la porte de JFK . Mon cerveau recommençait à carburer comme avant. Je devais réintégrer ma peau de professionnelle froide et sans état d'âme pour accomplir ma mission.

Le chauffeur stoppa devant l'élégant immeuble de Maria.

Je m'engouffrais rapidement dans le hall, le portier me souhaita la bienvenue et appela l'ascenseur. En arrivant au 60 ème et dernier étage du building mon plan était en place.

-Jo, mi querida como estas ? You look amazing. Tu as fait bon voyage ? J'ai fait préparer ta chambre habituelle, celle qui donne sur la petite terrasse. Les invités vont arriver. Mejor que te des prisa y que te cambies . Je t'apporte une coupe de champagne, see you ...

Comme à son habitude Maria parlait à toute allure en mélangeant les langues, comme le font souvent les personnes habituées à vivre à cheval sur plusieurs pays. J'admirais son énergie et sa capacité à rendre la vie légère. C'était une vraie amie que je pouvais appeler à toute heure du jour et de la nuit même après de longs silences. Elle écoutait et ne jugeait pas. Comme tout le monde elle ignorait tout de mon vrai métier, pour elle j'étais rédactrice pour la revue Art and Travel ce qui expliquait mes nombreux déplacements à travers la planète. En revanche elle savait tout de ma vie privée et avait été un réel soutien durant la salle période que je venais de passer. Elle était à Nîmes le soir où j'avais croisé Ben pour la première fois et avait suivi avec une passion toute sud-américaine le récit que je lui avais fait de mon escapade à Palma.

Je n'aimais pas le coup que je me préparais à lui faire. But business is business et dans mon job les questionnements et les sentiments n'avaient pas leur place.

Ma chambre donnait sur une terrasse face à Central Park. J'adorais ce poumon vert de la grosse pomme. Mais ce soir je n'avais pas le temps d'admirer la vue en fumant une cigarette et en sirotant mon Ruinart comme j'aimais à le faire quand je débarquais chez Maria.

Je devais agir vite et efficacement. Je sifflai quand même mes bulles tout en inspectant soigneusement les balustres de la terrasse, le champagne m'a toujours aidé à avoir les idées claires . Les indications de R. étaient claires. Je trouvais rapidement l'endroit. Le « superacide » (mélange d'acide fluorosulfurique et de pentaflure) avait commencé à agir. D'ici quatre heures le fer forgé serait totalement rongé et je comptais sur l'obscurité pour que cela reste invisible à première vue. J'ouvris le mini congélateur qui se trouvait sous le bar de la terrasse, la bouteille de Vodka était en place comme prévu dans le plan.

-Querida, tu es prête, ils arrivent ...

Maria était resplendissante dans une robe fourreau vert d'eau qui mettait en valeur sa peau mate et ses yeux de chat. J'avais juste eu le temps de plonger dans la baignoire en entendant ses talons résonner sur le parquet du couloir.

Elle me tendit une autre coupe de champagne

-Hurry up darling, tu as vu la tenue que j'ai déposée pur toi dans le dressing, je pense que comme d'habitude tu as choisi une robe noire mais j'aimerai te voir avec de la couleur...t'es divorcée pas veuve et si tous les cocus s'habillaient en noir on aurait l'impression de vivre des obsèques permanentes. Je te veux resplendissante et conquérante surtout que j'ai une surprise pour toi...

Comment lui dire que sa surprise était un agent des services secrets Egyptiens, aux origines anglaises . Il était né d'une brève liaison passionnelle entre sa mère, fille d'un Lord, et le fils du jardinier égyptien que ses grands parents avaient ramené avec eux pour s'occuper du parc de leur Manoir dans le Sussex lorsqu'ils avaient quitté l'Egypte à la veille de la seconde guerre mondiale. Lord Southbourne s'était empressé de marier sa fille au fils du Lord voisin, lointain descendant d'un gentilhomme français, avant que « l'état intéressant de sa fille ne se remarque ». Ben était donc né « grand prématuré » sept mois après le mariage de ses parents qui fidèles à la devise leur Reine, never complain, never explain, n'avaient jamais plus évoqué Zine, fils du jardinier Fayssal et véritable père de Ben.

Ben grandit alors dans la plus pure tradition anglaise, fréquenta le collège d'Eton (où en bon anglais il eu ses premières expériences amoureuses) et voyagea dès son plus jeune âge pour visiter ses lointains cousins américains du côté maternelle, russes (installés en Suisse) et français du côté paternelle. Il parlait parfaitement anglais, français, russes et espagnol et son éducation parfaite et multiculturelle lui avait donné cette aisance et cette confiance en soi qui permet de se fondre n'importe où.

L'affaire en serait restée là si Ben lors d'un voyage sur le Nil l'année de ses 40 ans n'avait pas cherché à retrouver des traces de l'ancienne vie de ses grand- parents. Et selon la loi quasi universelle qui veut que les secrets même les mieux gardés resurgissent un jour, Ben a tout su de ses origines de la bouche même de celui qui était son cousin : Hassan.

La suite est simple, Ben fut totalement déboussolé par ce qu'il apprit, il passa six mois en Egypte auprès de sa vraie famille paternelle et quand il revint en Angleterre il faisait partie des services secrets égyptiens. Il travaillait pour eux depuis quinze ans.

Aujourd'hui il était aux Etats Unis pour infiltrer différents mouvements d'opposition à la politique du président Obama au Moyen Orient. Son but était simple : recruter des jeunes pour fomenter une série d'attentat afin de déstabiliser le gouvernement américain.

Une taupe égyptienne avait prévenu la CIA depuis quelques mois. Un des patrons des services secrets américains était un excellent ami de R. Durant ma retraite forcée mes chefs savaient exactement où j'étais et ce que je faisais. Et j'en vins à penser que ma rencontre avec Ben à l'Imperator n'était pas aussi fortuite qu'elle en eu l'air. J'avais été invitée à la Féria pour tomber dans ses filets.

R. avait toujours su deviner mes réactions d'autant plus qu'il avait parfaitement étudié le profil de Ben qui jouait parfaitement le rôle que la vie lui avait donné au départ :celui du fils de famille anglais à l'humour so british et au sourire ravageur.

Je compris également que Ben s'était trouvé à la féria pour rencontrer Maria. Femme de diplomate en poste à Washington, elle était pour lui la porte d'entrée idéale. Grâce à elle il pouvait approcher au plus près la présidence. Je lui avais certainement servi d'alibi pour rester en contact avec la belle mexicaine. Nous étions toutes les deux en grande discussion lorsqu'il nous avait rejointes au bar et nous nous étions présentées comme étant des amies intimes. J'étais libre, ouverte, proche de Maria la proie idéale ... Je me demandais quand même si le weekend end de rêve que l'on avait passé ensemble faisait partie de son plan pour en savoir plus sur Maria ou si il l'avait vraiment eu envie de passer quelques temps avec moi.

Mes chefs me garantissaient que Ben ne savait vraiment pas qui j'étais. Je n'avais jamais été grillée, j'avais toujours travaillé seule et dans l'ombre. Mes missions étaient brèves et je m'étais toujours arrangée pour ne jamais laisser de traces. Même Hubert avec lequel j'avais été mariée 20 ans ignorait tout cette vie secrète. Si il m'avait trahi en entretenant cette liaison pendant un an et demi mais je le trompais avec les services secrets depuis bien plus de 15 ans.

Ma tête recommençait à carburer à toute allure et j'aimais ça. Le puzzle se mettait en place rapidement et je savais que je n'avais pas le choix je devais obéir et tuer Henry ce soir

C'est R. un ancien de ma promo de l'ENA qui m'avait approchée pour me recruter. On se connaissait depuis le lycée, on avait passé des jours à réviser ensemble nos différents concours, des soirées à débattre sur notre vision du monde et des nuits à faire la fête dans les endroits les plus hétéroclites de la terre aux cours de nos différents stages. Nous passions pour de gros fêtards et nos bons résultats avaient toujours surpris et agacé les premiers de la classe qui étaient entrés à sciences Po puis à l'ENA comme on entre en religion. R. était comme mon frère et me connaissait mieux que quiconque, mieux que moi-même. Quand j'ai rencontré puis épousé Hubert, R. avait eu cette phrase sibylline, je reviendrai te chercher car tu auras besoin de pimenter ta vie. Ce qu'il fit 5 ans plus tard. Après une année de tests et d'entrainements intensifs j'entrais secrètement au « Service de la France » et officiellement chez Art and Travel.

Maria avait eu raison de me pousser à mettre cette robe de soie rouge qui mettait en valeur mon teint halé. Les boucles d'oreilles en diamant qui complétaient la tenue étaient parfaites pour me faire passer aux yeux de tous et de Ben en particulier pour cette divorcée indépendante et insouciante qu'ils imaginaient que j'étais.

L'appartement de Maria était un de ces immenses penthouse de la cinquième avenue conçu pour les réceptions. Lorsque j'arrivai dans le salon, il était déjà à moitié plein. L'atmosphère était légère, alcoolisée et botoxée. Elle sentait également le dollar fraichement gagné. Maria profitait d'être loin de Washington et des obligations inhérentes à la fonction de son mari pour organiser les fêtes qui lui chantaient. Elle avait hérité de l'immense fortune de son père, un homme d'affaire mexicain et vivait sans compter. Une foule cosmopolite faite d'artistes, de fils à papa, de golden boys plus ou moins bien accompagnés et de cougars prêtes à tout pour retarder les outrages du temps remplissait la pièce de conversations ponctuées de « OH my God », « It's Amazing » . On parlait de vacances aux Bahamas, de virées dans les Hampton ou à Saint Barth, de fashion week à Milan. On échangeait les adresses des meilleurs chirurgiens esthétiques de Rio ou de Beyrouth et des restaurants étoilés à Paris. Maria ne donnait qu'un seul mot d'ordre on ne devait parler ni de politique ni de religion. Le fond sonore était assuré par un orchestre qui alternait des rumbas, calypsos et salsas avec le répertoire des crooners des années cinquante. Le champagne coulait à flot le caviar se servait à la louche. Cet univers était loin du mien mais j'avoue que j'appréciais de temps en temps ces soirées hors du temps que le magnifique Gatsby n'aurait pas reniées.

Mais je ne perdais pas de vue que ce soir j'étais en mission. Je remerciais silencieusement le ciel de m'avoir permis de tenir relativement bien l'alcool (l'entrainement acquis durant mes années étudiantes y était aussi certainement pour quelque chose).

J'étais en grande discussion avec un certain Jack Duff qui m'expliquait qu'il ne faisait rien puisqu'il avait la chance d'avoir épousé l'héritière unique d'un homme ayant fait fortune dans les sacs en plastique quand un souffle chaud me murmura à l'oreille.

-Hello Sweety

J'avais chaud tout d'un coup .Il était là, derrière moi, cet homme qui m'avait perdre la tête au point de le suivre à Majorque sans avoir fait la moindre vérification à son sujet et que je devais abattre dans quelques heures. Il me fallut faire appel à toutes les ressources enfouies au fond de moi pour pouvoir me retourner avec un large sourire et lui répondre.

-Ben, quelle joie de te revoir. Mais que fais-tu ici ?

-Je suis à New York depuis hier pour rencontrer un éditeur, j'ai appelé Maria qui m'a dit que tu arrivais aujourd'hui. Une heureuse coïncidence, je suis désolé de ne pas t'avoir donné signe de vie depuis Palma mais je ne t'ai pas oubliée, tu m'as manqué.

La chanson de Dalida, « Paroles, paroles » raisonna en moi et pendant une nano seconde, l'idée de le gifler puis de lui balancer mon verre à la figure m'a effleurée (on a beau être agent secret on en est pas moins femme surtout qu'il avait toujours les yeux aussi bleus et le sourire aussi charmeur) mais je me ressaisis rapidement et l'entrainais vers le buffet. Je devais me montrer telle qu'il me connaissait : pétillante et insouciante ne vivant que pour l'instant présent et les plaisirs faciles.

Mon plan était simple, R. m'avait demandait de glaner quelques renseignements avant de le tuer. Nous connaissions le défaut de sa cuirasse il ne résistait pas à un verre de vodka. Et il ne se méfiait pas de moi.

J'avais appris par cœur tous les documents que l'on m'avait transmis à son sujet, je savais qu'il était à l'origine de nombreux morts, qu'il manipulait des jeunes sans cervelle pour les envoyer au combat que sa cause était tout sauf juste. Ne l'intéressaient que l'argent et sa soif de vengeance contre un occident qui à ses yeux représentait la trahison. Il en voulait à sa mère de lui avoir toujours menti, à son père qu'il admirait de ne pas être son père, à la société anglaise qui a toujours voulu tout cacher sous un masque hypocrite tant que les apparences étaient sauves. La perfide Albion ...jamais à ses yeux un surnom n'avait été si bien choisi.

De coupes de champagne (pour moi) en verres de vodka (pour lui), la soirée passait à toute allure. S'il n'avait pas de soupçons à mon égard il n'en restait pas moins un professionnel entrainé par des hommes pire que des machines. Au bout de deux heures je savais tout sur son éditeur New Yorkais qui lui rappelait un des ancien camarade d'Eton dont il avait été très, très proche, de son premier métier de photographe, ;métier qu'il aurait exercé jusqu'à quarante ans, et qui pour lui se doublait d'un véritable travail psychologue car selon lui il photographiait aussi bien les âmes que les corps (ce que je n'eus aucun mal à croire me souvenant du pouvoir de ses mains sur mon corps) . Mais je n'avais aucune des informations que R. m'avait demandé de recueillir.

Je décidai donc d'abattre ma dernière carte.

-Après demain je vais à Washington avec Maria. Paolo lui a téléphoné tout à l'heure, il est invité à déjeuner à la Maison Blanche avec Maria et il a obtenu que je les accompagne. Rencontrer Michèle est un rêve pour moi je suis super excitée.

-Oh dear, et si je t'accompagnais. Je pourrais passer pour ton boy friend . J'aimerai tellement partager ce moment avec toi.

Je sentais qu'il mordait à l'hameçon et en rajoutais une couche

-Nous déjeunerons avec Barak et Michèle. .Barak et Paolo ne resteront pas longtemps car ils ont une réunion avec les chefs de l'état-major, réunion au sommet pour parler de la politique au Moyen Orient. Paolo ayant été ambassadeur en Iran et en Syrie son avis les intéresse au plus au point.

Je lui tendis un verre de vodka (le huitième si j'avais bien compté) et continuais :

-Maria et moi ne comprenons rien à tout ça et ce qui nous intéresse c'est de savoir comment Michèle arrive à garder une telle ligne malgré tous ces dîners et ces réceptions officielles. Mais il parait que la sécurité des états Unis est menacée...Barak a été réélu cependant son second mandat ne commence pas sous les meilleures augures. Mais assez parlé de choses sérieuses on est là pour s'amuser.

-Oui tu as raison mais excuse moi j'ai un coup de fil à passer...ma mère ...il est sept heure du matin en Angleterre, elle se lève tôt et je dois l'appeler c'est son birthday.

Il s'éloigna vers le hall d'entrée. Je le suivis discrètement et je me cachais derrière un lourd rideau de velours ce qui me rappela mes premières planques.

J'arrivais à saisir l'essentiel de sa conversation. Plus de doute il fallait le tuer .J'envoyais rapidement un message à R.

Il me répondit illico

-Bien joué Mata, enclenche la phase finale.

Je fis mine de revenir des toilettes et retrouvais Ben en conversation avec Maria un nouveau verre de Vodka à la main.

L'orchestre entonna My Way .Maria nous poussa littéralement vers la piste.

Au moment où Ben m'enlaça je croisai le regard d'un homme adossé à une des colonnes en stuc du salon de Maria. Un agent de la CIA j'en aurais mis ma tête à couper. Ils n'avaient leur pareil pour se faire remarquer dans n'importe quelle foule incapable qu'ils étaient de se fondre dans une masse. Je ne sais pas ce qu'on leur apprenait durant leur formation mais il était aussi visible que s'il avait porté son badge en bandoulière. J'étais furieuse. Était-il là pour me surveiller. R ne me faisait-il plus confiance ?

J'ai toujours agi seul et la présence de cet homme si peu discret menaçait de tout faire rater.

Je devais passer à l'acte le plus rapidement possible.

Je m'appliquais à danser le plus langoureusement possible appuyant bien ma tête au creux de l'épaule Ben et lui murmurais à l'oreille quand les dernière notes de la chanson de Sinatra s'éteignirent

- Montons admirer la vue dans ma chambre, j'ai de la Jewel of Russia.

Je l'attrapais par la main et nous disparûmes.

J'arrivais dans ma chambre parfaitement maitresse de moi-même. Je pris la bouteille dans le mini congélateur et les deux verres parfaitement glacés qui l'accompagnaient.

Je versais le liquide transparent en regardant Ben droit dans les yeux . Nous bûmes un premier verre cul sec sans nous quitter du regard. Ce verre fut rapidement suivi de deux autres ...je tenais moins bien la vodka que le champagne et ne pouvais continuer ainsi. Nous étions au milieu de la terrasse et Ben m'enlaça. Je me dégageais rapidement et me plaçais contre la balustre à quelques centimètres de l'endroit fatidique. Ben me rejoignit après s'être resservi un verre. Il commençait à tituber. Je fis un rapide calcul il avait du boire une bouteille de vodka entière et ses yeux avaient perdu de leur limpidité. Je lui tendis la main de façon à ce qu'il se place à mon côté pour admirer la vue. Il me regarda alors avec une expression étrange, :

-Tu sais honey si seulement....

Je ne voulais pas le laisser continuer, j'ai lâché sa main et je me suis penchée feignant d'être absorbée par la vue

-Il s'est penché à son tour curieux de voir ce qui me captivait. J'ai mis ma main dans son dos en opérant une forte pression, la balustre a cédé, il est tombé en criant ...

-Good job ! entendis-je derrière moi et je vis la silhouette de l'homme de la CIA disparaitre .

 

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