Voici venu le temps des adieux
Anneloup Roncin
Voici venu le temps des adieux.
La mort me semblait préférable à cet état de constante hébétude. Après tout, quelle chimère que cette vie ! Moi, mon monde se limitait à ma chambre, à ses murs blancs, son lit blanc, ses rideaux, chaise et bureau blancs. Qu'est ce que ça pouvait bien me faire, d'avoir une télévision ? Des livres à foison, des cours par correspondance ? Quoi ? Il fallait que j'accepte, que j'endure ? J'ai essayé, pourtant. Mon père m'avait promis de venir me voir. Il m'avait dit que si je restais bien sage, et ne faisais pas d'esclandre, il viendrait me voir. Pourtant, les semaines défilent, laissant place aux mois. L'hiver succède à l'été, puis l'été à l'hiver. Un an, un an de cette terrible machination. Oui, j'ai essayé. Je n'ai rien dit, j'ai pris mes médicaments. J'ai souris, je suis restée polie. Tout ça pour quoi ? Après tout, je ne dois rien à personne, n'est-ce-pas ?
12 novembre 2000
Une larme coule sur ma joue. Je ne l'essuie pas. L'océan éternel qui s'étend devant moi calme mon cœur meurtrit. Je regarde mes gélules bleues, posées sur la table. J'en prends une, que j'avale sans eau. Il ne m'en reste bientôt plus. Peu importe.
1 décembre 2000
Qui suis-je ? Peut-on dire que l'on existe, que l'on est vivant si personne d'autre que soi-même ne le sait ? J'imagine que non.
21 décembre 2000
Oh ! Que le monde est beau ! J'ai bien fait de venir ici. Le soleil, les oiseaux. Comme si tout ici était fait pour me plaire. Maintenant, j'existe. Quelqu'un connaît mon nom, m'a donné le sien. Oh, ce sentiment ! Je me sens acceptée, quelle paix dans mon cœur ! J'espère. J'espère que cela durera toujours.
24 décembre 2000
Il a vu. J'ai toussé du sang, il a vu. Nous qui prétendions ne rien savoir de ma malédiction. Quand il m'a demandé ce que j'avais, je n'ai pas pu garder le secret. Il ne comprenait pas. Il a dit que je devais me soigner, mais je n'ai plus de médicaments. Alors il est parti. Il ne m'a pas dit au revoir.
26 décembre 2000
Il n'est pas revenu. Je l'attends.
27 décembre 2000
Il m'a laissé un mot. Il dit qu'il n'en a pas pour très longtemps, de ne pas m'inquiéter. De prendre bien soin de moi. De l'attendre.
5 janvier 2000
Va-t-il vraiment revenir ? Peut-être pas. Il semblait étrange ces derniers temps. Peut-être
est-il parti pour toujours. Mon cœur me fait mal. Je crache toujours du sang.
13 janvier 2000
Est-ce que j'ai toujours le droit d'espérer ? Je n'y crois plus.
15 janvier 2000
Je suis brûlante. Je n'arrive pas à me lever. Quand va-t-il rentrer ? Oh, je ne veux plus être seule. Je vois flou.
17 janvier 2000
Peut être a-t-il eu un accident ? J'espère qu'il va bien. Ma tête me lance. J'ai vomis mon repas, rouge de mon sang. Mon nez ne s'arrête plus de saigner.
18 janvier 2000
Papa ? Papa, tu es là ? Viens me chercher, s'il-te-plaît. Je serai sage, je te le promets. Maman ? Maman, tu m'attends ? Je ne veux pas encore te rejoindre. Laisse-moi rester, Maman !
20 janvier 2000
Qu'est-ce que j'attends, déjà ? Le mirage d'un garçon me traverse l'esprit. C'est important. Mais je suis seule, ici. J'ai mal. Pourquoi crier ? Personne ne m'entend hurler.
21 janvier 2000
Je n'en peux plus. Je veux que cela cesse. Pourquoi personne ne m'aide ? Papa ! Papa !
25 janvier 2000
D'accord, j'ai compris. Maman, j'arrive. C'est toi qui a raison.
30 janvier 2000
J'ai l'impression d'oublier quelque chose, mais quoi ?
31 janvier 2000
Adieu. Adieu, Journal.
10 février 2000
Je te ramenais des médicaments. Je suis arrivé trop tard, je suis désolé. Pardonne-moi.