Yves, 56 ans

georges

Yves râle contre tout en particulier et rien en général.  Il râle contre le soleil, les nuages, la pluie, la grêle, la neige, le verglas et contre les prévisions météorologiques.  Contre les émissions de téléréalité.  Contre les speakerines.  Contre l’absence de speakerines.  Contre son magnétoscope qui a bouffé la bande de son film favori.  Contre les nouvelles technologies auxquelles il ne comprend rien.  Contre son ordinateur qui a mangé son quota de virus.  Contre Microsoft et son omnipotence.  Contre Apple et ses prix prohibitifs.  Contre la sonnerie aigre de son  réveil.

Yves grogne contre les éboueurs qui n’ont toujours pas enlevé ses poubelles.  Contre le chien du voisin qui a compissé sa porte.  Contre sa voisine qui a encore passé du Frank Michael à plein régime.  A des heures indues.  Contre la STIB et ses retards.  Contre le mobilier urbain peu pratique.  Contre ces bandes de jeunes qui tagguent tout ce qui leur passe sous la bombe.  Contre les travaux qui barrent sa rue.  Il maugrée contre les cafetiers et leurs parasols qui encombrent les trottoirs.

Yves peste contre la mauvaise foi de son patron.  Contre la tenue indécente de la secrétaire.  Contre les techniciennes de surface qui ont déplacé ses dossiers.  Contre la climatisation qui fait encore des siennes.  Contre le repas infect de la cantine.  Trop chaud, trop froid, carbonisé.  Contre la machine a café qui vole sa monnaie.

Dans le bus, Yves râle contre les lecteurs MP3 qui grésillent.  Contre les GSM qui piaillent des sonneries ridicules.  Contre ces gens qui jettent leur vie privée aux oreilles de tous.  Contre le chauffeur qui roule comme un dératé et freine comme un possédé.  Contre tous ces corps qui l’entourent et suent dans des odeurs d’égouts.  Contre ces jeunes qui…

Et Yves explose.  Contre ce gamin au sourire arrogant qui ne lui cède pas sa place.  Un strapontin d’handicapé en plus.  Alors qu’Yves traîne sa carcasse aigrie depuis le début de la journée.  Yves secoue le gosse dont la casquette brinquebale sous les regards de la foule silencieuse, trop contente de s’offrir un spectacle gratuit avant les actualités du soir et la tambouille de Bobonne.  Le gamin tente une explication mais Yves postillonne contre cette jeunesse pourrie, les parents démissionnaires et l’éducation jetée au fossé de cette société malade. 

Yves lève l’enfant de force.  S’assoit d’autorité.  Le gamin tombe.  La prothèse qui lui sert de jambe n’a pas tenu.

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