Zagreb
tiphanya
Difficile d'aimer une ville que l'on n'a pas vraiment choisi. Cliquer sur réserver, entrer son numéro de carte, et se rendre à l'aéroport font parti du déplacement. Mais si l'on ne rêve pas, en répétant le nom de la ville, du pays, juste pour le plaisir des sonorités, juste pour s'imaginer y être, où est le plaisir ?
Zagreb.
Aucun autre mot ne commence par une telle syllabe. La douceur du [s] de Sahara, invite le soleil et la nonchalance. La dureté du [z], ce [z], je ne sais quoi en faire, quoi en penser.
Et pourtant, tandis que je tente de me perdre dans cette ville à l'agencement bien trop géométrique, les murs décrépis, le jaune clinquant mais sale et vieux, me font penser à ce [za] âpre dans la bouche.
Mais au devant de cette austérité architecturale, comme un vieux film, un mauvais film sur la splendeur austro-hongroise, les terrasses s'alignent, toutes sur une petite estrade. Et chaque café tente de rivaliser avec son voisin en terme de confort, fauteuil, coussin, petite couverture, chacun ruse pour inviter le passant à se poser, à discuter, à oublier le temps qui file. Un peu comme on pourrait le faire tranquillement installé face à la mer. Mais à la place on contemple la circulation, on hume les pots d'échappement et on échange sa fumée de cigarette entre voisins.
Et dans cette atmosphère engluée dans ce que la ville a de plus désagréable, le café nous emporte en Italie, le chocolat nous laisse rêveusement au cœur de Vienne et les macarons pourraient être parisien.
Puis dans un marché digne des villages de l'Asie Centrale, les vieux sont vraiment vieux et fripés et recouverts de vêtements disparates. Et ma pudeur m'empêche de les prendre en photo tandis que je pense à ces livres qui se vendent sur les beaux présentoirs de ces chaînes qui ne sont plus vraiment des librairies, ces livres photos, offrant des centaines de portraits de vieux asiatiques à qui ils manquent des dents mais que cela n'empêche pas de sourire. Dans ces marchés qui sont les centres vitaux de Zagreb, il y a un exotisme et en même temps une europanéité si complète dans chaque visage, que je me demande si mon grand-père aurait vraiment été dépaysé dans un tel endroit.
La langue m'échappe, la ville me glisse entre les mains telle la fumée de chaque cigarette qui m'exaspère quand je quitte les terrasses pour me réchauffer à l'intérieur des cafés. Zagreb, dont je ne comprends ni le nom, ni l'énergie, ni l'atmosphère me laisse sur le bord du chemin. Et d'ici peu je vais reprendre la route, découvrir une nouvelle ville, avec la certitude de ne jamais revenir et celle de n'y avoir rien compris.