Zarbi

haedrich

Chapitre 1

"Moi, j'en peux plus, j'm'arrête deux minutes" geignit Bertrand, qui suait, soufflait, soupirait, avait des papillons devant les yeux. Il s'était planté debout, penché en avant, les mains sur les genoux, tâchant de reprendre son souffle. Il soufflait, crachait, toussait. Son coeur battait à tout rompre. Ses genoux lui faisaient mal, son dos lui faisait mal, sa nuque lui faisait mal, il sentait la sueur dégouliner sur toutes les parties de son corps endolori, réveillé par un effort trop intense et trop rare.
Il s'essuya le visage avec le bas de son T-shirt très large. Son short le grattait, ses chaussures le serraient, ses chaussettes étaient tortillées. Il s'assit sur un muret en pierre. De le sueur, tombant de ses cheveux bouclés, lui coulait sur le front, sur le nez, dans les yeux. Il était exténué.
"Je l'avais bien dit, que c'était idiot de partir faire une randonnée en pleine campagne, surtout par cette chaleur", râlait-il, entre deux quintes de toux. Il faut dire que pour une randonnée en plein soleil, ses cent dix-huit kilos constituaient un handicap sérieux.

Les autres le regardaient d'un air dépité, l'attendaient.
-Allez, fais un effort!, l'exhorta Muriel, la jolie fille du groupe. Muriel avait une poitrine opulente qui se dessinait généreusement sous un débardeur un peu étroit. Elle portait un short très court, ses cheveux roux et frisés, attachés à la va-vite, lui retombaient sur le visage et le front. Elle cachait son regard bleu derrière des lunettes de soleil très noires et très épaisses. Une goutte de sueur coulait dans son décolleté, juste entre ses seins. A cet instant, Bertrand aurait voulu être une goutte de sueur.
-Allez, on repart!, insista Benoît, en le tirant par le bras. Bertrand se leva paresseusement, lourdement, de mauvaise grâce. Benoît l'agaçait, souvent. En ce moment-même, il l'exaspérait. Benoît était grand, musclé, élancé, beau gosse. Il avait un visage carré et doux, un sourire à faire pleurer de jalousie n'importe quel acteur Hollywoodien.
Ils reprirent leur chemin. Cela faisait maintenant près de deux heures qu'ils marchaient dans la campagne, au milieu des champs peuplés de vaches, ne croisant pas âme qui vive, foulant la terre des chemins d'un pas alerte. Ils croisaient parfois des vieilles maisons vides, certaines en ruines, d'autres retapées mais désertes. Le soleil de juillet cognait fort, cuisait les champs vallonnés, semblait vous prendre à la gorge pour vous étouffer. Bertrand pestait encore, intérieurement. Pourquoi était-il parti en vacances avec eux, dans cette campagne pourrie? Pourquoi les avait-il suivi en randonnée, au lieu de rester tranquille à l'ombre?
-Si seulement on n'avait pas oublié de prendre à boire!, râla-t-il
-C'est vrai, admit Muriel sur un ton de reproche à l'égard de Benoît. Quelle idée, aussi, d'avoir oublié les bouteilles d'eau sur la table.
-Oh, ça va, grogna Benoît, vous allez pas vous déshydrater, non plus.

Ils passèrent devant une très vieille maison qui se trouvait au sommet d'un colline. Le chemin très pentu passait juste en-dessous de la maison, qui semblait très très vieille, et était pourtant en bon état. Les pierres jaunes luisaient au soleil, les tuiles orange et plates semblaient tenir le choc malgré la fatigue et le poids des ans. Ils firent quelques pas, puis s'arrêtèrent un instant pour admirer la bâtisse.
La demeure était imposante, et comptait deux étages, plus les combles. En bas, il y avait une grande cour avec des cailloux. Dans la cour, assis près d'une vieille table de jardin en fer forgé, à l'ombre d'un immense tilleul, un gros bonhomme vêtu d'un costume blanc, portant un chapeau blanc, dégustait une boisson de couleur pâle, opaque, dans un grand verre, avec beaucoup de glaçons. Il semblait y prendre du plaisir. Il portait des lunettes de soleil épaisses. Il vit les randonneurs, leur fit un petit signe de la main.

-Lui, il se pavane sous son arbre, pestait Bertrand. Il s'écluse des verres, au frais, pénard, alors que nous allons encore devoir crapahuter des heures avant de pouvoir boire de l'eau.
Muriel semblait songeuse.
-Il a l'air gentil, dit-elle, si on lui demandait un peu d'eau, il ne refuserait pas? On lui dira qu'on s'est perdus...

Benoît haussa les épaules et fit une moue dédaigneuse. Mais déjà, le bonhomme s'était levé, et leur faisait de grands signes. Il marchait vers eux d'un pas rapide.
"Venez, entrez! leur dit-il d'une voix enjouée. C'est ma maison que vous admirez? Belle bâtisse n'est-ce pas? "
-En effet, admit Bertrand
-Que faites-vous dans le coin, par cette après-midi torride?
-On faisait de la randonnée, dit Muriel avec une moue boudeuse, en retirant ses lunettes pour mieux aguicher l'homme de son regard bleu affriolant, je crois bien qu'on s'est perdus, et on n'a pas pris de bouteille d'eau ni rien.
-Ah, mais qu'à cela ne tienne, s'exclama le bonhomme. Venez, mes amis, venez, installez-vous à l'ombre. Vous aimez l'anis? Rien de tel qu'un bon sirop d'anis bien frais par ces chaleurs. Chacun s'assit à la vieille table.
-Placide!, appela l'homme, en tapant dans ses mains, Placide!
Un majordome vieux style, en livrée, les cheveux noirs plaqués en arrière, la face rêche aussi râpeuse qu'un vieux parchemin, arriva d'un pas tranquille.

-Monsieur?
-Placide, mon bon, amenez-nous trois verres et de l'anis bien frais. Ces randonneurs se sont perdus en plein soleil et n'ont pas une goutte d'eau sur eux.
-Bien, monsieur, obéit l'homme, avant de repartir vers la maison d'un pas mécanique.
L'homme en blanc se rassit, retira son chapeau pour s'éventer
-Quelle chaleur! Dit-il
-M'en parlez pas!, grogna Bertrand, qui reçut immédiatement un coup de coude dans le gras des côtes de la part de Benoît.

L'homme en blanc avait posé son chapeau sur la table, et farfouillait sa poche arrière.
-Je vous prie de m'excuser, dit-il d'un ton suave, mais cela me gêne. Et, avec un calme olympien, il retira de sa poche et posa sur la table, sous le regard effaré des trois randonneurs, un pistlolet Beretta dont la crosse brillait au soleil.

Chapitre 2

Placide apporta les verres. La vision de l'arme ne sembla provoquer aucune réaction en lui. Son coeur d'éternel larbin semblait aussi sec que sa face parcheminée et inexpressive. Il repartit sans mot dire. Le revolver luisait insolemment au soleil, semblait les narguer, ajoutant un aspect effrayant à la touffeur ambiante. Bertrand, malgré l'ombre du vieux tilleul, transpirait à larges gouttes et semblait au bord de l'apoplexie, il se tortillait sur sa chaise, la faisant craquer de toutes parts. Il en était maintenant définitivement sûr: il aurait mieux fait de rester tranquille à la maison. Muriel but quelques gorgées, pour se donner une contenance. Elle ingurgitait à grand peine son verre d'anis, comme s'il avait été rempli d'aiguilles. Ses cheveux en bataille et ses yeux exorbités par la peur lui donnaient l'air d'une folle. Benoît, raide sur sa chaise, tâchait de garder son sang froid, mais les grosses perles de sueur qui luisaient sur son front démentaient le calme de son attitude, il cachait sa peur derrière ses lunettes de soleil.

L'homme en blanc souriait à pleine dents. Il avait une bouche très large, et des dents blanches, si grandes qu'on se demandait comment elles pouvaient toutes tenir dans sa bouche.

Il savoura une première gorgée d'anis qui lui procura un sentiment d'intense satisfaction, fit claquer sa langue en reposant bruyamment son verre sur la petite table en fer forgé. Il les regarda calmement, un par un, et sembla repenser à quelque chose. Enfin, il s'exprima:
"Oh pardon, je suis impardonnable. Je ne me suis pas présenté. Je m'appelle Zarbi, Valentin Zarbi. Puis il se leva pour leur serrer la main, à chacun. Benoît bougea à peine, aussi inerte qu'un mort qu'on aurait oublié sur sa chaise. Muriel gloussa quand il lui toucha la main. Bertrand balbutia "enchanté", avant de retranspirer de plus belle.
Zarbi retourna s'asseoir, posant son lourd postérieur sur la chaise qui gémit de douleur, puis but une nouvelle gorgée d'anis.
"Et vous, dit-il, comment vous appelez-vous?Hein, vous le fringant athlète, c'est quoi votre petit nom?"
-Benoît... articula Benoît entre ses dents, sans bouger d'un iota
-C'est charmant, comme prénom. Êtes-vous homosexuel, Benoît?
L'intéressé fit non de la tête, sous le regard interloqué de ses compagnons de randonnée.
-Non? C'est dommage, j'ai un neveu qui l'est. Vous êtes tout à fait son genre. J'aurais pu vous le présenter, à l'occasion... il but une nouvelle gorgée d'anis, puis reprit:
-Et vous, charmante demoiselle, quel est votre nom?
-Mur-ri-eeeel, prononça Muriel d'un voix étrange et robotique, étranglée par l'angoisse, une voix ressemblant à celle de Nono le petit robot.
-Charmant, charmant, vraiment, complimenta Zarbi, qui semblait transpirer de plus en plus. Ses yeux, planqués derrière d'immenses lunettes noires, devaient être exorbités, rivés sur le décolleté de Muriel. Puis, il se tourna vers Bertrand, qui ressentait une furieuse envie de se faire dessus, but encore une gorgée d'anis, puis lui dit:
Et vous, jeune homme, quel est votre prénom?
Pour toute réponse, Bertrand se leva violemment en faisant tomber sa chaise, piqua un sprint vers les buissons adjacents, et vomit sur un rosier.

-Il est émotif, ce jeune homme, constata Zarbi en souriant. Puis il rigola avant de finir son verre d'anis.
Benoît n'avait même pas suivi la scène. Il semblait absent, le regard perdu dans le vide, comme pour se convaincre que tout cela n'était qu'un mauvais rêve et qu'il allait bientôt se réveiller. Muriel ne pouvait détacher son regard de l'arme, toujours posée sur la table.

Bertrand revint piteusement vers la table, la tête basse. Muriel commença à sangloter.

Zarbi allait parler, mais il fut interrompu par un bruit de klaxon et le ronflement d'un voiture. Une Ford Capri Ghia modèle 1969, rouge vif, venait de pénétrer dans la cour à vive allure, et vint se garer tout près d'eux, expédiant des gerbes de cailloux de tous les côtés. Une jeune femme en sortit. Elle était belle et mince, avait les cheveux mi-longs et très bruns, et portait des lunettes de soleil. Elle portait simplement une petite robe rouge et d'élégantes chaussures à talons, rouges elles aussi. Elle arborait un sourire charmant, avait une petite bouche bien dessinée, pulpeuse dont la beauté était rehaussée par un rouge à lèvre carmin. Elle possédait une rangée bien alignée de dents blanches, si grandes qu'on se demandait comment elles pouvaient toutes tenir dans une si petite bouche.

Zarbi se leva, et alla embrasser la jeune femme. Il la fit venir près des trois amis.

"Je vous présente ma fille, Sarah!", dit-il d'un ton fier, faisant briller ses dents parfaites au soleil.
-Enchantée, dit Sarah Zarbi en souriant, néanmoins quelque peu surprise par la mine dépitée de Bertrand, Benoît et Muriel. Le premier était toujours immobile sur sa chaise, raide comme un cadavre, dégoulinant de sueur. Le second était vautré dans les cailloux, se balançant d'avant en arrière en position foetale tout en poussant des gémissements,tirant à intervalles irréguliers sur son large T-shirt maculé de vomi. Muriel tortillait le bas de son débardeur en poussant de petits gémissements de pintade, tout en pleurant. Ses cheveux ébouriffés lui donnaient l'air d'une sorcière.

Puis, Sarah Zarbi s'adressa gravement à son géniteur:

"Papa, dit-elle d'un ton plein de reproches, en agitant l'index , tu as encore laissé traîner ton revolver! "

Chapitre 3

Zarbi constata:

"En effet. Je suis vraiment impardonnable." Il rempocha vivement son arme, et reprit la conversation, comme si de rien n'était: "Quel temps magnifique!" éructa-t-il, puis, s'adressant à nouveau à ses convives terrorisés: " voulez-vous encore à boire? Par ces chaleurs, il faut s'hydrater. Placiiiiiide?? Plaaaaciiiiiiideeeeee!!!"

Icelui rappliqua de son pas mécanique:
"Monsieur m'a appelé?"
-Oui mon bon Placide, veuillez nous ramener un peu d'anis, je vous prie.
-Bien, monsieur, obéit le domestique, avant de ramasser les verres sales et de se rediriger vers la maison. Soudain, ce fut le silence. L'air étouffant semblait avoir anihilé tous les bruits de la campagne, pas une vache ne meuglait, pas un insecte ne volait, pas un criquet ne criquettait.
Zarbi était vautré sur sa chaise, les mains sur les cuisses, le visage ravi, souriant aux anges en contemplant le ciel immaculé. Sarah, quand à elle, admirait avec gourmandise les muscles saillants de Benoît, qui s'était légèrement détendu. Muriel avait séché ses larmes, et Bertrand, qui s'était endormi dans les cailloux, ronflait à pleins poumons.
"Je vous laisse, dit Sarah en tapotant l'épaule de son père, je vais vaquer à mes occupations. Amusez-vous bien!" Puis elle se dirigea vers la maison et sur le seuil elle croisa Placide, qui revenait avec un plateau chargé d'un pichet rempli d'eau et d'anis, et des verres propres.
-Merci, mon fidèle Placide, grasseya Zarbi, vous m'êtes d'une aide précieuse. Tenez, pour la peine, je vais augmenter vos gages. Ainsi, vous pourrez emmener votre femme aux Seychelles, comme elle en rêve depuis des années.
-Je remercie Monsieur, dit le domestique, en posant délicatement le plateau sur la table, mais puis-je me permettre de rappeler à Monsieur que ma femme est décédée depuis cinq ans?
-Ah oui, c'est vrai, j'oublie tout le temps!, se consterna Zarbi en se frappant le front. Maudit cancer!
-A vrai dire, Monsieur, elle s'est tuée en voiture
-Ah oui, j'oublie tout le temps; pauvre Raymonde!.
-Puis-je me permettre de rappeler à Monsieur que ma femme s'appelait Rachel?
-Vous en êtes sûr, Placide?
-Absolument certain, Monsieur.
Durant ce dialogue ubuesque, Benoît, qui avait quelque peu repris ses esprits, se dit qu'il était temps de faire quelque chose. Il devrait trouver un moyen de quitter cette maison de fous au plus vite. Quel prétexte trouver pour s'absenter? Que faire? Où aller?
-Pardon de vous couper, intervint-il, mais j'aurais besoin d'aller aux toilettes. (peut-être y avait-il une porte derrière, par laquelle ils pourraient s'échapper? Son envie pressante était un prétexte pour explorer la maison, trouver une sortie discrète par où s'enfuir. Comment emmènerait-il ses amis avec lui? Il n'en savait encore rien).

-Certainement, très cher Benoît, tenez, Placide va vous montrer.
-Certainement, Monsieur. Suivez-moi, je vous prie.
Il emboîta le pas au majordome, tout en se retournant furtivement pour faire un clin d'oeil à Muriel qui, prostrée sur sa chaise, ne le vit pas. Il pénétra dans le long couloir ombragé et frais d'un pas peu rassurant. Au bout du couloir, il y avait une autre porte, qui donnait sur l'extérieur.
-C'est la dernière porte à droite, au fond du couloir, dit Placide d'une voix sépulcrale qui résonna sinistrement dans le long couloir sombre et glacial, au carrelage de grosses dalles claires et usées, au papier peint pâle , vide de meubles. Au mur étaient accrochés des portraits effrayants, de chevaliers, de nobles divers... Benoît avança lentement dans le couloir, fit mine d'entrer dans les toilettes, et s'assura que Placide était reparti vers la cuisine, puis fila dehors par la porte de derrière.
Cette porte donnait sur un petit pré en pente, verdoyant, à l'herbe courte et bien entretenu. Au milieu de ce pré, allongée sur une serviette, totalement nue (je dis bien: totalement nue) Sarah Zarbi faisait bronzette. Benoît ne pouvait détacher son regard de ce corps superbe, offert aux rayons brûlants du soleil, perlé ça et là de quelques mignonnes gouttes de sueur qui coulaient sensuellement sur ses courbes appétissantes. Benoît avait la bouche ouverte et commençait à baver. Sarah s'aperçut de sa présence, elle se retourna, se releva, et se dirigea vers lui d'un pas tranquille, toujours nue (je dis bien: nue ).

Ses deux seins fermes et dodus se balançaient au ryhtme de son pas. Captivé par cette vision paradisiaque, nirvanesque, walhallaesque, jardin d'Edenesque, pittoresque, fresque, presque, arabesque, sensuellesque ... , Benoît était comme figé, comme planté dans la terre: il ne pouvait plus bouger, hypnotisé, immobilisé par ses hormones. Il banda... ses muscles pour avoir l'air plus viril, mit ses mains contre ses hanches et retira son T-shirt. Il resta ainsi, immobile, subjugué.

A mesure qu'elle approchait de sa future victime, Sarah Zarbi esquissait un sourire machiavélique...

Chapitre 4

Zarbi s'impatientait, se dandidant sur sa chaise, regardant sa montre.
"J'espère que Benoît ne s'est pas perdu."
Muriel émit un rire nerveux, et fit tomber ses lunettes de soleil. Bertrand, allongé dans les cailloux, dormait en suçant son pouce. Une grosse pierre lui servait d'oreiller.
"Vous pensez que votre ami ne serait pas mieux dans un lit, ou dans un hamac?"
-Non non, il a l'air très bien, répondit Muriel, en pouffant de rire, avant d'éclater à nouveau en sanglots.
A cet instant, Sarah sortit de la maison, vêtue simplement d'une serviette. Elle avait les cheveux mouillés.
-Ah, ma chérie, aurais-tu vu notre ami Benoît? Cela fait un bon moment qu'il s'est absenté, et...
-Benoît, c'est le grand musclé? , demanda-t-elle d'un air détaché, en réajustant sa serviette. Oui, je l'ai vu. Je l'ai laissé dans l'herbe, là-bas. Et elle montrait d'un doigt négligent l'arrière de la maison.
-Tu n'as pas pu t'en empêcher, hein? Tu as recommencé?, gronda Zarbi.
-Oh, papa, ça faisait tellement longtemps.
-Peu importe, je t'ai déjà dit de ne plus faire ça ici.
-Bien, je ne le ferai plus. Ici. Elle arbora une moue boudeuse et s'éloigna de l'autre côté du jardin.
Muriel, subitement prise d'un étrange et mauvais pressentiment, se leva et dit:
-Bien, je vais aller chercher Benoît, et nous allons partir. On ne va pas vous déranger plus longtemps.
Zarbi caressait d'un geste nerveux sa poche droite, celle où se trouvait son revolver. Il avait soudainement l'air tendu. Il regardait dans le vide d'un air anxieux.
-Vous ne nous dérangez aucunement, dit-il dans un sourire crispé.
Muriel traversa le couloir d'un pas rapide et l'aperçut dès qu'elle sortit de la maison.
Benoît gisait tout nu au milieu du gazon, la tête renversée en arrière, le corps ruisselant de sueur. Elle se précipita vers lui.
-Oh mon Dieu, oh mon Dieu, gémit-elle, il est mort! Elle tomba à genoux et se mit à sangloter.

-Rassurez-vous, Mademoiselle, votre ami n'est pas mort. Elle reconnut instantanément la voix morbide de Placide. Il se tenait droit comme un I, les pieds, bien parallèles, plantés dans l'épaisse pelouse, la face plus plate, plus creusée de sillons, plus livide, plus inexpressive que jamais. Il ressemblait à un vieux bout de bois sec.
-Vous entendez? Il ronfle.
Effectivement, Benoît ronflait comme une tondeuse. Il bavait, même. Un immense sourire élargissait son visage.
-Mais, que lui a fait cette folle?
-Que du bien, je puis vous l'assurer, j'ai tout vu
-Quoi, mais que voulez vous dir... ah, j'ai compris. Et elle se mit à rire nerveusement, puis à pleurer de nouveau.
-Je vous en conjure, reprit-elle entre deux sanglots; si vous n'êtes pas un monstre, emmenez-nous loin d'ici, je vais devenir folle!
Il s'approcha d'elle, l'aida à se relever, et lui tendit un kleenex.
-Puisque nous sommes seuls, je dois vous avouer quelques chose.
-Quoi?
-Je ne m'appelle pas Placide, et je ne suis pas majordome. Je...
-Eh bien, Placide, que se passe-t-il? Où est passé tout le monde?
(Il fit un clin d'oeil à Muriel avant de se retourner vers Zarbi, puis dit:)
-Tout va bien, Monsieur. Monsieur Benoît s'est endormi, et Mademoiselle Muriel était un peu inquiète, je l'ai rassurée.
-Ah, j'aime mieux ça, dit Zarbi, qui semblait de plus en plus nerveux.
-Réveille-toi, Benoît!, dit Muriel en le secouant. Et surtout, rhabille-toi.
-Ce n 'est pas du tout ce que tu crois, bredouilla ce dernier en se frottant les yeux.
-On règlera ça à la maison. Debout!
"Placide" avait ramassé les vêtements de Benoît qui traînaient un peu partout sur la pelouse, et les lui tendit. L'air semblait plus étouffant que jamais. Le ciel était d'un bleu immaculé et il n'y avait aucun souffle d'air. Aucun bruit ne se faisait entendre. Ils semblaient perdus au milieu de la campagne.
-On va s'en aller, Monsieur Zarbi, merci de votre hospitalité.
-Vous partez déjà?
-Oui, il se fait tard et on nous attend. Merci encore.
-Je vous en prie, répondit-il d'un air plus jovial. Un dernier verre pour la route?
-Non merci, vraiment.
-On n'est pas pressés,intervint Benoît, qui finissait d'enfiler son T-shirt
-Toi, ta gueule!
Ils retraversèrent le couloir. De l'autre côté, Bertrand avait disparu. Muriel s'emporta:
-Il est où, le gros, maintenant? Je vais pas passer ma journée à vous courir après, tous les deux?
-Mon Dieu, s'inquiéta Zarbi, Sarah a disparu également. Pourvu que...
Au loin, on entendait des éclats de voix
-Ils ont dû s'éloigner vers le petit bois, Monsieur
-Bien vu, Placide. Allons-y! Zarbi sortit son revolver et commença à courir vers le bois. Les autres lui emboîtèrent le pas. Soudain, en provenance d'un fourré, un coup de feu retentit.

Chapitre 5


Lorsqu'ils se trouvèrent tous près du buisson en provenance duquel leur était parvenu le coup de feu, ils furent immédiatement saisis par un frisson d'horreur devant la vision horrible qui s'offrait à leurs yeux offusqués. Un faisan, ensanglanté, mort, raide, figé dans l'agonie, gisait à leurs pieds.
Placide arbora un air inquiet. Pour la première fois, sa face parcheminée exprimait des sentiments. Il s'enfonça vivement dans le sous-bois en écartant les branches de ses bras.
"Placide, que faites-vous?" demanda Zarbi.
Un autre coup de feu retentit, les figeant sur place. Muriel poussa un cri de: stupeur, effroi, angoisse, colère et incompréhension. Soudain, émergeant du sous bois, toujours nue sous sa serviette à présent déchirée, le dos maculé de mousse, de feuilles mortes, d'humus, et d'un malheureux escargot mort écrabouillé, les cheveux en bataille, emmêlés de bouts de branches, le regard fatigué, Sarah Zarbi s'avança d'un pas lent vers le groupe stupéfait.
"Sarah, où étais-tu?, s'énerva Zarbi, on ne peut pas te faire confiance une seconde.
Sarah arbora une moue boudeuse, aposa un doigt sur sa bouche délicieuse et leva les yeux au ciel.
-C'est pas de ma faute, geignit-elle
-Tu as recommencé, c'est ça, s'emporta Zarbi
-Où est Bertrand?, s'inquiéta Muriel
-Oui, où est-il? Sale gueuse, tu as recommencé, hein?
-Oui papa
-Mon Dieu, s'exclama Muriel
-Est-ce que tu l'as...
-Oui, je l'ai...
-Salope!
Un autre coup de feu, et des cris d'hommes se firent entendre


Muriel s'élança à son tour dans le sous bois, courant sur l'humus, se blessant les pieds sur les dures racines des arbres jonchant le sol, la face fouettée par des branches mortes. Elle déboucha sur une clairière, au centre de laquelle se tenaient deux hommes: Placide, dans son costume de majordome, un revolver à la main, tenait en joue un homme obèse habillé en chasseur.

-Que se passe-t-il?, demanda Muriel au bord des larmes
-Il faut que je vous explique, répondit Placide, d'un ton laconique. Il semblait épuisé, et transpirait.
-Effectivement. Mais où est Bertrand?
-Là-bas, derrière ce tronc. Il ronfle comme un bienheureux. Figurez-vous que Melle Sarah est une nymphomane, et qu'elle lui a fait la même chose qu'à M. Benoît
-Bref, évitons d'en reparler. A quoi rime tout cela?
-Comme je vous l'ai dit, je ne m'appelle pas Placide, et je ne suis pas majordome. En réalité, je me nomme André Zilianse. Docteur André Zilianse. Je suis psychiâtre. Cette maison est en réalité une sorte de maison de repos pour des gens souffrant de troubles psychiatriques.
-Dans ce cas , Zarbi est bien atteint. Et sa fille aussi.
-Effectivement. Zarbi est un ancien truand, qui est devenu fou en prison. Sarah, sa fille, souffre également de troubles psychotiques. Et Monsieur Eugène, que je tiens présentement en joue avec mon arme, est aussi un patient. Il a perdu la raison après avoir mortellement blessé son fils lors d'un battue au sanglier. Lorsqu'il s'échappe de sa chambre, il revêt ses habits de chasseur et parcourt la forêt à la recherche de son fils. L'homme avait une large tête ronde et un regard absent. Ses bajoues mal rasés, et ses triples mentons recouvraient son cou et dépassaient de sa chemise kaki. Il avait le regard perdu, les yeux d'un bleu délavé, comme son esprit. Une vieille casquette dépouillée ne parvenait pas à cacher la calvitie qui avait décimé la majorité des ses cheveux bouclés et gris-clairs.
-Ah, c'est donc lui qui a tué ce faisan.
-Oui, j'ignore où il a trouvé ce fusil, d'ailleurs
-Je récupère Bertrand et nous partons. Désolée pour le dérangement, Docteur.
-Allons, avancez, Eugène. Et gardez les mains en l'air

Muriel secoua Bertrand qui était vautré, totalement nu, au creux d'un vieux tronc. Il grogna comme un sanglier.

-Allez, lève-toi, nous partons. Tiens, je t'ai ramassé tes habits. Allons, active-toi. A demi-reveillé, le sanglier humain s'exécuta. Il dut s'y reprendre à trois fois pour parvenir à enfiler son T-shirt. Ils rejoignirent le docteur Zilianse qui les attendait près du chemin.

-Allons-y, maintenant
-C'est drôle, dit Bertrand en se grattant le ventre, je me sens.... comment dire, comme si j'avais couru un marathon et dormi quinze heures d'affilée... je me sens...
-Vidé?
-C'est ça. Je ne me rappelle pas tout ce qui s'est passé
-On t'expliquera

Un coup de feu interrompit leur dialogue....

Chapitre 6

Ils se précipitèrent vers le chemin où Zarbi, Sarah, et Benoît étaient restés seuls. Muriel, d'autorité, avait empoigné le fusil de Monsieur Eugène.

Au milieu du chemin, Zarbi était debout, estomaqué, son revolver encore fumant brandi en direction de Sarah. Benoît, debout lui aussi, était pétrifié, ne comprenant pas ce qui venait de se passer.
Sarah, quant à elle, riait nerveusement. Sa serviette était tombée à terre et elle était à nouveau totalement nue.

"Mais qu'est-ce qui se passe?", demanda Muriel
-Je n'y comprends rien, bredouilla Benoît. Sarah a recommencé à me faire des avances, mais, tu t'en doutes bien, je l'ai repoussée...
-Abrège. Et n'oublie pas que j'ai un fusil chargé dans les mains
-Bref... en voyant ça, son père est devenu fou de rage, et lui a crié d'arrêter ça. Mais Sarah ne l'a pas écouté, elle a commencé à me caresser le torse...
Muriel arma le fusil et le pointa vers Benoît.

-Aaah... OK, j'abrège... Là, Zarbi est devenu fou et a sorti son flingue. Il a menacé de lui tirer dessus si elle n'arrêtait pas. Mais elle a continué, alors Zarbi a tiré... mais il a dû la manquer. D'ailleurs, si quelqu'un pouvait lui retirer ce revolver des mains, ce serait bien aimable.
-Des balles à blanc.... bredouillait Zarbi....

Un rire sardonique, épouvantable, guttural, manichéen et ésotérique rententit alors, leur glaçant le sang. C'était le docteur Zilianse qui rigolait à gorge déployée.

-Eh oui, des balles à blanc, vous ne pensiez tout de même que je vous laissais vous ballader avec un soufflant rempli de vraies balles, non, espèce de taré?
-Placide, comment avez-vous osé?
-Docteur, je crois que vous vous égarez, vous allez nous l'énerver
-Ta gueule, Zarbi. Et toi aussi, ta gueule.
-Placide, comment osez-vous? Vous qui fûtes, pendant toutes ces années, un si fidèle servit....
-LA FERME, LA FERME pauvre fou!! Ils me rendent fou, moi aussi, vous vous rendez compte? Je vous prends à témoin, Bertrand, Benoît, Muriel, vous avez vu ces dingos? Trente ans que je m'occupe de ce genre de tarés!! Y'a pas de quoi devenir cinglé?
-Certes, je le conçois, intervint Bertrand. Dites, sinon, vous ne voudriez pas que je vous débarasse de votre revolver?
André Zilianse sembla ignorer les propos de Bertrand, et reprit ses élucubrations, le regard exorbité, regardant vers l'infini, tout en se grattant la nuque avec son revolver chargé.

-Et les études, me dites-vous? Toutes ces années d'études à trimer comme un chien de la casse, à lire Freud et les autres connards, ah, vous voyez à quoi ça m'a mené, tous ces diplômes? Il y a quelques années, j'ai créé cette petite maison de santé, où on accueille des malades très atteints, où on entre dans leur jeu, on fait tout ce qu'il faut pour qu'ils se sentent bien, et comment on est remercié? Ils me rendent fous, vous entendez? FOU! Quand c'est pas un, c'est l'autre, et ça n'arrête jamais. Ce sont des merdes, des inutilités, des bons à rien, faudrait les enfermer dans la baraque et tout faire cramer!!! Je voudrais tous les buter! TOUS! Vous entendez, mes gueux? JE VAIS VOUS DEGLINGUER!!!

Zarbi, Sarah, Muriel, Benoît, Bertrand et Monsieur Eugène se regardèrent, interloqués.

-Comme vous y allez, docteur, dit Muriel en souriant. Allons, allons, calmons-nous, on va tous aller prendre un petit café pour calmer nos esprits.
-J'en peux plus, dit André Zilianse en abattant sa tête sur l'épaule de Muriel. Il commença à sangloter vigoureusement, et jeta son revolver dans un buisson.
-Là, là, ça va aller
-Je ne comprends pas, intervint Zarbi; vous voulez que j'augmente vos gages, c'est cela, mon bon Placide? Mais il était inutile de vous mettre dans un état pareil, il suffisait de.... Placide?

"Placide" s'était redressé, les poings serrés, le regard imbibé de haine. D'un geste prompt, il se jeta sur Zarbi, ce qui les fit tous deux basculer en arrière et tomber sur les cailloux, puis commença à l'étrangler en lui hurlant dessus:

-Ta gueule gros con! Quinze ans que vous me faites chier, toi et ta salope de fille! Maintenant...
-Maintenant, tu lèves les mains en l'air et tu le lâches.

Tous les regards consternés se retournèrent vers Sarah Zarbi qui avait ramassé le revolver du Docteur et le menaçait avec....

Chapitre 7

Hormis le fait qu'elle était folle et qu'elle brandissait un révolver, Sarah Zarbi était sublime. Elle avait un corps magnifique. Nue, transpirant de colère, ses cheveux bruns ébouriffés cachant en partie son doux visage. Son regard bleu était transi de colère, et elle respirait fort bruyamment. Ses deux seins, généreusement avenants, étaient, eux aussi, très tendus, et sur iceux coulaient quelques gouttes de sueur que le plus intégriste des Talibans ou même le plus castré des eunuques aurait sans hésitation bues goulûment. Son ventre plat, au nombril si désirable, à la peau ambrée et douce, était un appel au désir. Ses longues jambes, douces, gracieuses, ajoutaient un charme indéniable à ce corps de déesse, et son vagi[ Censuré ]ander comme un cheval.

Tout son être reflétait sa tension intérieure. Tout le monde était silencieux, un silence de mort.

Les deux hommes se relevèrent sans dire un mot. Zilianse, toujours tenu en respect par Sarah, levait les mains en l'air, la face décomposée. Zarbi soufflait comme un phoque. Il épousseta son pantalon et sa veste, ramassa son chapeau, et le remit sur sa tête. Puis il se dirigea vers sa fille, ramassa la serviette qui était à terre, et la lui noua autour de la taille, à la grande déception des garçons.
"Voilà, c'est mieux ainsi, dit-il simplement.
-Ne faites pas l'enfant, geignit Zilianse, vous pensez bien que je ne pense pas ce que j'ai dit. Mes mots on dépassé mes paroles, j'étais en colère. Sarah transpirait de plus belle, le regardant avec haine, tremblant de toutes parts. Puis son regard se vida, et elle s'évanouit. Zarbi la rattrapa, et la prit dans ses bras.
-Sarah!
-Ce n'est rien, dit promptement Zilianse en baissant les bras et en se dirigeant vers la fille, plus pour reprendre son pistoler que pour s'assurer qu'elle allait bien. C'est l'émotion, et la chaleur. Portez-là, nous allons l'allonger au frais, dans sa chambre. Suivez-moi, mes amis.
Le petit convoi se dirigea vers la maison. Zarbi, étreint par l'émotion, ne parlait pas. Il portait sa fille en la couvrant d'un regard paternellement inquiet. Zilianse, qui avait rempoché son revolver, ouvrait la marche; derrière marchaient Monsieur Eugène, complètement absent, qui suivait le mouvement sans rien dire ni rien comprendre. Il était suivi par Bertrand, Benoît, et Muriel, qui tenait toujours le fusil de M. Eugène.

Ils montèrent au premier étage, Zilianse ouvrit prestement la porte, et Zarbi déposa sa fille sur le lit.
-Sarah, ma petite Sarah... , pleurnichait-il.
-Ne vous inquiétez pas, il lui faut juste du repos. Laissons-la dormir.
-Je vais rester près d'elle
-Bien, tenez, vous n'avez qu'à vous installer dans ce fauteuil.
Zarbi s'assit dans le vieux fauteuil près de la fenêtre ouverte. Il s'endormit instantanément et se mit à ronfler comme une locomotive. Soulagé, Zilianse sortit de la chambre. Les autres l'attendaient dans le couloir

-Comment va-t-elle?, demanda Muriel
-Bien, elle est juste fatiguée. Zilianse paraissait, lui aussi,épuisé. Il quitta sa veste, et s'essuya le visage avec un mouchoir. Sa chemise, autrefois blanche, était maculée de taches de sueur.
-Venez, allons dans mon bureau. Quant à vous, M. Eugène, regagnez votre chambre. Si je vous vois encore dans le bois, vous serez privé de dessert. Et je résilierai votre abonnement au Chasseur Français. L'autre, penaud, le regard bas, obéit au médecin.

Muriel, Bertrand et Benoît suivirent Zilianse dans son bureau. C'était une grande pièce fraîche et ancienne, dont les volets étaient fermés pour préserver la fraîcheur. Au fond, il y avait une vieille cheminée en marbre, et, tout autour de la pièce, sur chaque mur, des étagères remplies à craquer de livres divers. Au milieu de la pièce, trônait un large bureau en acajou. Dans un coin, il y avait un canapé, sur lequel il les invita à s'asseoir. Il se dirigea vers le bar, posa son pistolet, sortit quatre verres et une bouteille d'alcool fort.

-Whisky pour tout le monde?, demanda-t-il
-Euh, c'est à dire qu'il est un peu tôt, hasarda Muriel.
-Ah, à la bonne heure, je pensais bien que vous aimiez le whisky. Et d'autorité, il remplit à ras bord les quatre verres et leur en donna un chacun, puis il commença à siroter goulûment le sien.
-Voyez-vous, reprit-il, ce n'est pas facile d'être psychiatre. Il alla se poster près de la fenêtre, et regarda au-dehors, à travers l'interstice des volets à demi-clos. Pourtant, j'ai toujours voulu faire ce métier. Cela remonte à mon enfance...
-Qu'est-ce qu'on fait?, chuchota Benoît
-On se tire d'ici, intima Muriel. Posez vos verres sans faire de bruit, et barrons-nous discrètement. Il parvinrent à s'extirper du bureau sans faire de geste bruque, sans faire craquer le plancher, sans faire grincer la porte, et ils sortirent, tandis que Zilianse continuait son monologue sans leur prêter la moindre attention. Ils traversèrent le couloir et s'apprêtaient à dévaler l'escalier, au pied duquel on voyait la lumière salvatrice qui entrait depuis la cour, lorsqu'ils tombèrent nez-à-nez avec Zarbi...

Chapitre 8

"Ah, vous êtes là", dit Zarbi d'un ton calme.
Ils ne savaient que faire ni que dire. Zarbi prit à nouveau la parole.
-Je cherche Placide, dit-il. J'étais descendu chercher un verre d'eau pour Sarah, mais je ne sais pas où il range les verres.
-Il est... dans sa chambre, dit Muriel.
-Ah bon, répondit simplement Zarbi, en gravissant les marches d'un pas lourd. Il s'éloigna dans le couloir du premier étage. Muriel, Bertrand et Benoît se mirent à courir comme des fous vers la sortie. Dans la cour, tout était calme. Le soir commençait à tomber et une douce fraîcheur commençaient à rendre l'air plus agréable. La Ford rouge était abandonnée, la table et les chaises vides gisaient toujours à l'ombre du tilleul.
-Continuez à courir !, ordonna Muriel
-Inutile de le préciser !, répliqua Benoît, qui courait devant. Ils sortirent de la cour et empruntèrent à toute vitesse le chemin qui montait. Ils s'arrêtèrent au bout de quelques centaines de mètres, pantelants, essoufflés, ruisselants de sueur. L'air, de plus en plus doux, sentait la lavande et le foin coupé. Un bruit de moteur, lent, puissant, se faisait entendre, de plus en plus proches.
-Quelle bande de cinglés!, s'exclama Benoît.
-Tu l'as dit, Bouffi
-Si on reprenait notre marche?, suggéra Muriel. Ils se remirent en route, marchant lentement. Arrivés au sommet de la colline, ils virent arriver un tracteur, roulant lentement au beau milieu de la route, sur lequel était juché un paysan portant un chemise à carreaux jaunes. Il s'arrêta à leur hauteur.
-Bonsoir, Monsieur, dit poliment Muriel.
-Bonsoir, les jeunes, dit le paysan, qui avait une cinquantaine d'années, une barbe grisonnante et fournie, et une rangée de dents inégales, aussi jaunes que les carreaux de sa chemise. Un vestige de mégot pendait à ses lèvres. Il parlait fort, roulant les r, avec un fort accent bourguignon qui faisait traîner les voyelles.
-Qui que vous faites par là?, leur demanda-t-il d'un air affable. Vous avez l'air tout apeurés.
-Oh, c'est une drôle d'histoire, dit Muriel. On faisait une randonnée, et comme on avait oublié d'emmener de l'eau, on s'est arrêtés dans cette maison, là-bas. Elle désigna du doigt la maison du docteur Zilianse.
-Le paysan regarda d'un air bizarre la bâtisse qu'elle désignait, il ouvrit la bouche en laissant tomber son mégot qui alla rouler derrière l'embrayage du tracteur, puis dit:
-La maison des fous?
-On peut dire ça, oui, dit Benoît d'un ton ironique.
-Ces gens-là sont vraiment cinglés!, renchérit Bertrand
-Quels gens, demanda le fermier, de plus en plus intrigué et méfiant.
-Ben, les gens qui habitent là. Les fous!, dit Muriel, un brin agacée
Le paysan marqua un temps d'arrêt, souleva sa casquette crasseuse pour se gratter les cheveux, puis dit:
-Mais, il n'y a personne qui habite cette maison depuis belle lurette!
-Quoi?
-Mais oui.... à une époque, il y avait des fous...
-Comment ça?
-C'était un docteur psychiatre, de Lyon. Il avait racheté cette vieille maison pour en faire une sorte d'asile psychiatrique pour les fous. Il y a hebergé quelques pensionnaires, mais ça a mal fini. Un beau jour, l'un d'eux est devenu complètement fou, il a pris un fusil et a tué tout le monde avant de se suicider....

Abasourdis, Muriel, Bertrand et Benoît échangèrent des regards interrogateurs et terrifiés.

-Ce docteur, demanda-t-elle,ce psychiatre, de Lyon, comment s'appelait-il?
-Ouh, ça, je ne sais plus, répondit le fermier, qui semblait s'impatientait. Vous savez, ça fait peut-être quinze ou vingt ans de ça.
-Mais, il ressemblait à quoi?
-C'était un grand type sec, un peu chauve. L'air strict.
-Est-ce que, parmi les pensionnaires, il y avait aussi un gros type à barbichette, vêtu de blanc?
-Oui, il me semble. Je crois que c'était un ancien gangster. Il y avait aussi une jolie brune qui conduisait une voiture rouge. Bon, maintenant, les jeunes, c'est pas que je m'ennuie, mais j'ai du boulot. Il écrasa l'accélérateur, et le tracteur s'éloigna.

Les trois amis restaient là, incrédules, les bras ballants, au milieu de la route.
"Vous avez entendu ce qu'il a dit?", bredouilla Bertrand
-Mouais. Il a sans doute voulu nous faire peur.
-Bien sûr, répondit Muriel. Allez, partons, il se fait tard.

On entendait au loin le tracteur qui s'éloignait. Les reflets des vitres de la cabine luisaient, en bas de la colline, aux derniers rayons du soleil couchant. Les trois amis se remirent en marche dans la direction opposée.
-Quand même, c'est bizarre, cette histoire, dit Bertrand
-C'est des conneries, dit Muriel en s'arrêtant brutalement. C'est des conneries et je vais vous le prouver. Elle se mit soudain à courir comme une folle en direction de la maison.
-Tu ne vas pas retourner là-bas?, s'inquiéta Benoît. Muriel ne l'écouta pas, et continua à courir.

Elle pénétra vivement dans la cour, et fut glacée d'effroi. La Ford n'était plus là. La table et les chaises en fer, complètement rouillées, gisaient par terre, renversées, au milieu de la cour. Tous les volets étaient fermés, la façade était envahie par le lierre. L'herbe, haute, envahissait les cailloux. Il y avait des trous dans le toit, et la pelouse, sur l'arrière de la maison, était envahie par les ronces.

Muriel se rendit alors à l'évidence: ils avaient passé l'après-midi avec des fantômes.

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