Le livre du moi

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Les circonstances ont brouillé la réception du livre de Valérie Trierweiler. On peut, en premier lieu, incriminer le sujet : les relations d'un président de la République et de sa compagne. Eût-elle choisi d'évoquer la politique extérieure du Nicaragua que le propos de madame Trierweiler aurait suscité des commentaires moins sarcastiques. On le sait : l'auteur n'était pas attendu sur ce terrain.

Quelles que soient les intentions du texte, nous l'affirmons comme un postulat : il convient d'accueillir ce livre pour ce qu'il est, c'est-à-dire une œuvre littéraire. Et la preuve qu'il s'agit d'une œuvre littéraire : les journalistes, dans leur immense majorité, en ont parlé avant de l'avoir lue. Comble de désarroi : depuis la publication de l'ouvrage, il n'est pas un commentaire qui, enjambant l'écriture, ne privilégie pas les sujets évoqués, d'abord un vaste psychodrame sentimental au sommet de l'Etat, mais aussi la formidable complexité du Chef de nos armées, et enfin les conséquences sur l'image du premier d'entre nous.

Or, il ne sera pas dit, ne sera jamais dit que Merci pour ce moment repose sur une structure cohérente : l'avant-propos qui justifie l'entreprise, éminemment rousseauiste, exprime un désir de « transparence », pour reprendre le célèbre mot de Jean Starobinski. « J'ai trop besoin de vérité », écrit l'auteur, rétablissant, comme le grand Jean-Jacques, les lignes d'une image déformée. Par qui ? Vous, moi, les médias, la Terre entière. Si la paresse nous conduit à l'ellipse des autres chapitres -au demeurant passionnants-, nous constatons que les derniers paragraphes du récit répondent en écho à ce pacte de sincérité établi avec le lecteur, sésame sans lequel l'autobiographie n'est qu'un roman déguisé : « Tout ce que j'écris dans ce livre est vrai » affirme madame Trierweiler.

On ne demande qu'à la croire et comment douter, lorsqu'au gré d'une histoire avançant chaque jour vers le précipice, à l'unisson d'un malheur chaque fois plus grand, le style s'effondre. Formules hyperboliques, comparaisons à la petite semaine (de trente-cinq heures), zeugmas approximatifs : Valérie Trierweiler nous démontre que les affects peuvent briser une écriture, la rendre perméable aux clichés littéraires. Un parmi d'autres : évoquant la passation de pouvoir entre Nicolas Sarkozy et François Hollande, l'auteur commente : « La journée est chargée. Autant que le ciel. ». « Autant qu'un camionneur » aurait sans doute provoqué quelques remous. Avec la nature, on est plus tranquille.

Disons-le tout net : dans ce texte, rien n'est épargné au lecteur : il faut qu'il vive le supplice d'une écriture à l'agonie, suivant en cela, sur le principe de l'harmonie imitative, les derniers soupirs d'un amour moribond. Plus les amants se déchirent et plus l'écriture se troue. Jusqu'à l'absurde : « Le pouvoir a agi comme un acide, il a miné notre amour de l'intérieur ». A moins qu'il ne s'agisse d'un jeu de mots déguisé - « l'acide a miné »-, l'association des deux termes témoigne d'une dépression affective et intellectuelle, à peine compensée par l'amour d'une famille unie.

Qu'on ne se méprenne pas : si Merci pour ce moment n'est pas le livre du siècle, il s'agit sans doute de l'oeuvre d'un moi, blessé dans son orgueil. Non contente d'attaquer les murs de la maison Hollande, madame Trierweiler choisit le hara-kiri littéraire. Hélas : plus que le sabre, ce sont les flèches que l'opinion retiendra.

Par Jérémy Gallet