Portrait d'auteur #10 : Découvrez un de nos auteurs de la semaine !

Suzy

Bonjour à tous,

Pour ce nouveau portrait d'auteur, nous avons demandé à Julia Nast de nous parler d'elle, de ses projets, de ses lectures et de sa rencontre avec WeLoveWords il y a bien longtemps.

Quelques mots sur vous :

Dans les grandes lignes, j’ai eu la chance de beaucoup voyager depuis mon plus jeune âge provoquant chez moi l’envie et le besoin de comprendre ce monde dans sa complexité, dans ce qu’il a de beau et de terrifiant. Etudiante j’étais sociable avec modération, fidèle à la lecture, aux tableaux et à une solitude prolifique en écriture. Jusqu’au jour où, suite à un événement big bang, la solitude n’était plus admise et l’extrême sociabilité était de mise. Elle est devenue fond de commerce, objet d’étude et addiction affective. J’exagère mais c’est là tout l’intérêt d’un portrait, c’est un peu grossier, on schématise, on tire des grandes lignes à la craie bien grasse pour que ce soit lisible du fond de la classe.

Ma vie sociale est un terrain de jeu où j’essaie de faire muter ma misanthropie vers une empathie. Parce qu’au fond ma misanthropie n’est pas innée, bête et méchante, elle est de celles qui naissent de l’Amour, au sens large, confronté à une acide lucidité, lapidé par les petites réalités et brûlé à vif par des attentats à la raison dont une moitié était kamikaze et l’autre commis de l’extérieur. (Les points ne sont pas mon fort, prenez de grandes respirations et tout ira bien.) Et c’est là mon activité principale. Mais sur le papier, j’ai commencé des études en sciences politiques et en communication, je voulais être lobbyiste en armement, mes motivations - croyez-le ou non - étaient poétiques. Après quoi je me suis réorientée dans la conservation d’œuvres d’art. Aujourd’hui je ne suis ni experte en Renaissance italienne ni en armement. Je travaille dans la « communication » comme 1/3 de la population mondiale, pour des marques et dans la musique. Mon orientation vers la musique ne vient d’ailleurs pas de moi, mais de l’envie de faire vivre quelqu’un à travers à moi.

Je me rends bien compte en écrivant là que mes phrases ne sont pas transparentes et ne donnent pas à voir une réalité immédiate - et encore vous n’avez pas eu à subir mes textes sur l’art pour divers catalogues d’exposition et autres « notices » (l’utilisation de ce mot est bien ironique quand on sait que le verbeux et le pompeux y sont encouragés et décomplexés. Une intellectualisation de l’art poussé à son paroxysme pourvu que le public ne comprenne pas !). Je ne sais pas s’il existe un écrit qui s’est penché sur la question de la position du lecteur dans sa compréhension et dans son appréhension au texte mais cette question est intéressante. Dans quelle mesure est-ce que le lecteur fait le sens de ce qu’il lit ? L’auteur n’a pas le monopole du sens sur ses mots. Pour moi le lecteur et l’auteur ont la même importance, on devrait ouvrir un panthéon des grands lecteurs, certains ont fait l’histoire autant que les auteurs. Le lecteur ne veut pas comprendre trop vite, il aime piétiner. D’où la pérennité des auteurs confus d’ailleurs. J’aime lire comme on dissèque, comme une enquête de la pensée. Ca ne vaut pas pour toutes mes lectures, il y en a où je me laisse happer par une compréhension spontanée, mais certains auteurs m’ont parfois poussé à l’obsession. C’était le cas pour Nietzsche par exemple, dont j’ai lu les mêmes ouvrages dans des traductions françaises différentes parce que certains traducteurs prennent un peu trop leur aise en s’éloignant de l’intention de l’auteur. Je poussais le vice jusqu’à approfondir chaque note et lire chaque ouvrage de référence. En somme, j’ai dû passer un an sur « Ainsi parlait Zarathoustra » en passant par une myriade d’interprétations possibles, souvent contradictoires, où j’étais chaque fois convaincue d’avoir saisi une vérité absolue sinon l’exacte pensée de l’auteur. Jusqu’au jour où, un peu comme Zarathoustra, j’ai réalisé que je m’évertuais vainement à chercher des vérités et surtout qu’aucune vérité ne se trouve dans les livres. Je continue de me laisser porter vers des ouvrages auxquels les auteurs font référence, je fais du surf linking littéraire en quelques sortes, un peu comme une exploration hasardeuse une nuit d’insomnie sur Youtube, en moins risqué. Et c’est là que la magie de la sérendipité opère et que je me retrouve à lire « Matérialisme et empiriocriticisme » écrit par Lénine en 1909… Mais je m’éloigne du sujet.

Quelques mots sur vous et WeLoveWords :

Ce n’est pas la lecture qui m’a donné envie d’écrire, je ne me souviens pas avoir eu un jour l’envie d’écrire, j’ai écris, aussi loin que je me souvienne. Et autant vous dire qu’à l’époque, ce n’est pas Ratus qui m’a donné envie d’écrire des poèmes, j’en conviens, cette référence est très générationnelle et manque de trahir mon âge. Il existe des milliers de génies littéraires vierges de lecteurs qui n’ont jamais montré leurs écrits, des milliers de journaux intimes qui auraient un écho universel, moi, je ne suis pas un génie et je n’ai pas de journal intime, les choses sont mal faites que voulez-vous. Mes notes usent des dizaines de moleskines et la probabilité qu’ils soient lus ne m’effraie plus, notamment grâce à We Love Words où j’ai commencé à publier sans avoir peur, non pas d’un jugement littéraire, mais d’un jugement sur mes pensées. J’ai une mémoire défaillante et ma rencontre avec We Love Words appartient à mes souvenirs perdus mais je me souviens que c’était à la genèse du site, ce n’était pas le fabuleux vivier d’auteurs qu’il est aujourd’hui et j’y étais lectrice avant d’être auteur. J’y publie essentiellement des poèmes parce que c’est l’écriture qui m’est la plus naturelle, ils sont écrits d’une lancée de mots évidents. Mes thèmes de prédilection ont toujours été graves, ils s’étendent de la guerre en Syrie à la tragédie amoureuse, en passant par « la douleur de ne pas vivre » comme disait Camus. A l’exception du dernier poème que j’ai publié, qui restera sans doute une exception parce que je ne suis pas à l’aise avec l’expression du bonheur et de l’allégresse. Il m’est un terrain glissant vers la médiocrité. Les thèmes dans mes poèmes ne se dévoilent pas de façon évidente, ils sont une source d’inspiration, un élément déclencheur mais leur importance s’arrêtent là. Le côtoiement des mots entre eux et ce qu’il s’en dégage, suffisent à faire un monde de sens sans avoir à faire appel à une référence palpable dans le réel. Ils sont un outil et une arme merveilleuse pour mettre en beauté les pensées les plus cyniques et les tragédies humaines. Je m’accorde un peu d’espoir avec cette phrase que Dostoïevski faisait dire au prince Mychkine « C’est la beauté qui sauvera le monde ».

Votre Topwords :

J’ai appris tous mes mots des auteurs alors j’aime mieux citer des auteurs que des mots. Je me la joue Walter Benjamin et je déballe un peu de ma bibliothèque :

Cioran, Schopenhauer, Nietzsche, Wilde : pour la joie et la bonne humeur, toujours le mot pour rire !

Proust : pour sa petite phrase de Vinteuil et ses longues phrases qui boycottent les points.

Rousseau : qui lui met les points sur les « i ». Je le garde toujours sous la main quand j’ai besoin qu’on me fasse la morale. Je suis persuadée qu’une méthode d’apprentissage de la lecture avec Le Contrat Social remettrait les choses en ordre !

Louis Aragon : pour ses mots bleu ciel à bleu noyade.

Dante : parce qu’il a une belle descente.

Céline : on n’a jamais exprimé autant de haine avec autant de beauté et autant de mauvaise foi avec autant d’aplomb.

Dany-Robert Dufour : parce que je m’aventure rarement chez les contemporains mais le cynisme est une valeur sûre. Il m’a été conseillé par un professeur de physique quantique, en psychanalyse, chanteur de rock en mi-temps, souffrant sans mal du syndrome de Peter Pan et d’un cynisme aigu. Un homme de confiance donc !

Blaise Pascal : parce qu’il n’était pas loin de me convaincre de façon mathématique qu’il valait mieux pour moi d’être croyante. Et pour ça je dis « chapeau l’artiste » !

Albert Camus : Parce que son cynisme n’en est pas, c’est de la justesse d’esprit et de la beauté. Un monstre littéraire, un bienveillant déçu.

Deleuze et Lacan : Pour leur voix, qui même à l’écrit résonne rieuse et grave.

En fait mes lectures ne sont pas très glamour. Ma bibliothèque ressemble à un lobby pour le Prozac. Mon cynisme, ma bouderie des auteurs contemporains et des femmes auteures, ma misanthropie et mon ton tragique ne sont pas loin de me faire passer pour une réac-rétrograde tragédienne encline au terrorisme mais en fait tout va bien. Jusqu’à maintenant l’Amour a toujours eu gain de cause sur ma violence, notamment grâce à quelques êtres que je respecte et chéris sans qui « une épaisseur manquerait définitivement aux choses ».

Vous pouvez lire Julia sur son compte WeLoveWords ou sur son Tumblr mais ce sont principalement des textes chiants. C'est elle qui le dit. Vous pouvez aussi tweeter avec elle ici.

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